Elles sont de plus en plus nombreuses ces Algériennes, qu'elles soient lycéennes, collégiennes, universitaires et même écolières, à porter le voile, communément appelé le hidjab. De gré ou de force. Cet accoutrement typiquement islamique, qui a connu ses « années de gloire » en Algérie avec l'avènement du Front islamique du salut (FIS), est « importé » tout droit du Moyen-Orient et des pays du Golfe. Cette tenue, qui a tout de même survécu à la mort de ce parti, colle, aujourd'hui, à la peau de la jeune fille et de la femme algériennes et prend une place de choix dans le circuit commercial national. Pourquoi donc nos filles et nos femmes sont subitement attirées par le hidjab ? Qu'est-ce qui explique ce soudain excès de religiosité en Algérie qui frise la hidjabmania ? Plongée dans l'univers du hidjab algérien sous toutes ses coutures. Si en Tunisie les autorités viennent de déclencher une campagne antihidjab suivant une fetwa « politique » du président Zine El Abidine Benali, en Algérie, on semble s'accommoder avec cette tenue de plus en plus prisée par les jeunes filles. Le fait est que les femmes voilées ne sont jamais inquiétées par les autorités dans leurs lieux de travail. Et c'est comme cela que les Algériennes en hidjab ont grignoté des espaces et bénéficié de la mansuétude des autorités. Au 40, rue Larbi Ben Mhidi (ex-rue d'Isly), le magasin ne désemplit presque pas. Sageda, cette grande boutique, au nom évocateur, appartenant à un Jordanien, est devenue, ces derniers mois, La Mecque des femmes et des filles de tout âge. Et pour cause, elle propose toutes sortes de hidjab (voile) et une variété de khimar (écharpe) déclinés dans toutes les couleurs et sous toutes les coutures. Bien située dans cette rue emblématique au cœur d'Alger, Sageda attire toutes les femmes et les filles de passage, qu'elles soient voilées ou en voie de l'être. Elle met d'emblée l'acheteuse dans l'atmosphère ensorcelante de la spiritualité avec ces cantiques religieux et ses « madaihs » diffusés à pleins décibels par une chaîne Hi fi. Le décor, lui est impressionnant. Le propriétaire a même usé de mannequins « made in » pour mettre en valeur le raffinement de ses tenues et leur élégance. Les jeunes filles qui y font un tour sont assitôt happées par ces beaux visages en plastique et soigneusement voilés, disposés dans tous les sens. Ils invitent presque les « clientes » à les imiter... Les couleurs, elles, sont très chatoyantes à la limite du sexy. Le patron a voulu sans doute accéder au goût des Algériennes qui aimeraient marier agréablement religion et classe… « Zine Ou Dine », ou le hidjab « high-tech » Et pour cause, beaucoup de jeunes filles ne veulent point « enterrer » leur beauté dans le hidjab. Porter le voile c'est bien, mettre en valeur leurs atouts physiques, c'est encore mieux. C'est là toute la philosophie et la religion des partisanes de plus en plus nombreuses de « zine oua dine » (beauté et religion). C'est ce qui explique, du reste, le rush des filles et des femmes vers le magasin Sageda qui leur propose ces hidjab version moderne. Le succès commercial de ce voile « light » désormais, préféré à celui conventionnel (noir généralement) en vogue jusque-là, est tel, que le patron jordanien de Sageda a ouvert trois autres magasins à Alger pour faire face à une demande de plus en plus grandissante pour ce hidjab très tendance. Le patron de ces magasins a curieusement intimé à ses agents l'ordre de ne rien dire aux journalistes sur son business. Nous avons d'ailleurs vainement demandé des explications sur le boom que connaît le commerce du hidjab. Le boss de Sageda, qui a été informé au téléphone par son agent de notre présence, l'a instruit… d'avaler sa langue. « Nous n'avons pas encore les papiers, nous sommes juste des importateurs, ne lui dites rien… », ce sont là les bribes de la conversation que nous avons pu capter entre le patron et son subalterne. A-t- il vraiment quelque chose à cacher ? La « hidjab mania » a-t-elle donné naissance à une « hidjab connexion » ? Les voies de ce business semblent pour l'heure impénétrables.Ce circuit commercial fort juteux est partagé entre Jordaniens, Syriens, Koweitiens et à un degré moindre les Saoudiens. Et les Algériennes raffolent de ces tenues qui leur confèrent, pensent-elles, le statut de musulmanes pratiquantes bon chic, bon genre (BCBG). Le sombre hidjab noir ou marron a nettement perdu la côte auprès des jeunes filles qui lui préfèrent un voile aux couleurs plutôt vives et bigarrées. Quitte à faire entorse aux préceptes de l'Islam, recommandant plutôt les couleurs sombres. Mais si on relève une nouvelle tendance nettement plus moderne du port du voile islamique et l'abandon progressif du « noir corbeau », il faut reconnaître généralement que le hidjab est devenu un phénomène de société en Algérie. Par conviction, par frime, de force ou simplement en raison d'une indigence sociale, elles sont de plus en plus nombreuses à adopter le hidjab, y compris parmi les femmes issues des catégories socioprofessionnelles théoriquement « vaccinées » contre l'intégrisme religieux et ses signes ostentatoires. Il s'avère en effet que le voile n'est plus désormais perçu comme un signe d'intégrisme. Le haut et le bas ! Le choix des hidjab sous forme d'ensembles en deux pièces (pantalon manteau) en est l'illustration. Il est significatif de remarquer la nouvelle tendance du « hidjab » qui fait fureur en ce moment et qui consiste pour les jeunes filles à porter uniquement un khimar et un haut sans se soucier du « bas ». Ce voile à moitié qui associe beaucoup le jean est très en vogue. Malika, stagiaire dans une banque publique, se sent très à l'aise dans son khimar « correct » et sa longue jupe orange qui met en valeur les rondeurs de son corps. « C'est vrai, je vous l'accorde, les préceptes du Coran précisent bien que le hidjab doit être sombre, mais moi, pour l'instant, je préfère m'habiller comme cela. » Par pudeur, Malika ne veut peut-être pas évoquer les vraies raisons. « Rabbi yahdîna mena lelqedam ! (que Dieu nous guide) », dit-elle. Chez Malika, la conviction est bien sûr indiscutable, mais le cœur y est aussi. « Par les temps qui courent, une belle fille voilée est très recherchée par les jeunes qui souhaitent se marier avec une fille de bonne famille. Le hidjab rassure au moins que la fille n'a pas d'antécédents en termes de fréquentation », pense Mustapha, cadre. Ainsi donc, le souci du mariage serait un motif assez sérieux qui pousse les jeunes filles à porter le hidjab précocement pour attirer les regards des hommes pieux. L'explication la plus répandue est que les filles de « bonne famille » ne courent pas les rues. Au sens propre et au figuré. La réflexion de Mustapha paraît cependant assez naïve en ce sens que la fille modèle n'est pas forcément celle qui porte le voile. Du moins chez nous. Il y a tout juste une semaine, un imam, d'une grande mosquée de la banlieue ouest d'Alger, a interdit aux jeunes filles de venir accomplir la prière des tarawih les accusant de faire du racolage. Cet homme de culte a même expliqué à tous les habitants du quartier via un haut-parleur ce qui l'a amené à excommunier les jeunes filles. « Sachez, ô croyants, que vos filles qui enfilent chaque soir leur hidjab pour, prétendent-elle, venir accomplir la prière des tarawih, ne rentrent jamais à la mosquée. Elles passent leur temps à attendre qu'elles soient embarquées dans des voitures sur la route et reviennent juste à la fin de la prière et vous font croire qu'elles étaient à la mosquée. » Ce terrible constat de cet imam, qui a dû prendre la décision extrême contre le gent féminine, témoigne à l'évidence que, de jour comme de nuit, toutes les filles et toutes les femmes voilées ne sont pas forcément les parangons de la vertu, ni les vraies gardiennes du temple. Il suffit de lever un coin du voile sur ce phénomène et on aurait sans doute droit à de grosses surprises… Nadia 25 ans, voilée, vient au moins deux fois par semaine de Tipaza à Alger. Motif ? « Juste pour sortir et aller à Alger me changer les idées. Le hidjab est mon meilleur allié puisque mes parents ne se doutent bien sûr de rien. Sans cela, il m'aurait été impossible de bouger de la maison ! » Pour Nadia, la conviction est accessoire à la fonction sociale que remplit son hidjab. Dalal, 28 ans, fonctionnaire dans un grand hôpital d'Alger, a dû fuguer de chez elle pour une histoire de hidjab. Obligée par son grand frère de le porter, Dalal s'y est astreinte mais n'a pas pour autant lâché son petit ami, plutôt branché, qui vit à Londres. Son frère lui intima plus tard l'ordre de porter le djelbab (variante plus rigoriste du voile islamique). Ne pouvant plus supporter, Dalal a filé à… l'anglaise rejoindre son amour à Londres. Ils se sont mariés depuis trois ans. Hidjab : Ce cache-misère Il est bien sûr difficile de connaître le nombre exact de jeunes filles qui comme Dalal ont été forcées à se voiler. Tout comme il est difficile de ne pas tenir compte des ces jeunes filles qui adoptent le hidjab uniquement pour cacher une malformation du visage ou du corps. Parfois, c'est simplement le mal-être qui pousse certaines filles à se voiler. Evidemment, il est quasiment impossible de trouver une femme qui pourrait expliquer son recours au voile par son physique pas très attrayant par exemple. Par pudeur, elles mettent souvent en avant la conviction. Une conviction qui cache mal le fossé séparant l'être et le paraître. Un autre genre de jeunes filles voilées se recrute parmi les indigentes, socialement parlant. N'ayant pas une grande garde-robe, ou carrément une robe de rechange, beaucoup de malheureuses filles, des étudiantes notamment de l'intérieur du pays, adoptent le hidjab pour servir de… cache-misère. Il faut tout de même reconnaître que le port du voile en Algérie tient beaucoup plus aux convictions religieuses. Il est utile de souligner ici le rôle des chaînes de télévision satellitaire du Golfe dans la multiplication de ses adpetes. « Vous savez, je suis prête à faire tout ce que dira Amr Khaled, c'est un grand mufti et un vrai connaisseur de l'islam. » L'argument de Safia est sans doute partagé par des milliers de jeunes filles qui vénèrent le célèbre prédicateur égyptien. Prêchant un islam tolérant et une pratique moins rigoriste et peu orthodoxe, Amr Khaled est devenu la coqueluche des jeunes filles qui voient en lui « le modèle d'un musulman pratiquant en costume et sans barbe ». Ses cassettes, ses CD ainsi que ses nombreux livres sont avalés comme de l'eau bénite. A lui seul, ce prédicateur qui sévit sur la chaîne Iqra, fait campagne pour un Islam moderne qui s'accommode du hidjab tendance et des bienfaits de la modernité. Khimar et… Jean « Diesel » Djamila, étudiante en 7e année de médecine à Tizi Ouzou fait partie de celles qui ont succombé à la capacité de persuasion de Amr Khaled. Depuis un mois elle porte le hidjab. Un hidjab qui, espère-t-elle, lui épargnera les mauvaises surprises pendant ses gardes à l'hôpital. Farida est simplement influencée par sa voisine de palier. « Elle me parlait tellement du hidjab, que j'ai fini par le porter sans trop savoir comment », avoue-t-elle. Meriem, journaliste dans un grand journal francophone, avoue y avoir pensé depuis quelque temps déjà. « La mort de mon père à été pour moi un déclic pour porter le hidjab », reconnaît-elle. Meriem, Djamila, Malika et toutes ces Algériennes qui font partie de la nouvelle vague des « converties » au hidjab, n'ont pas forcément abandonné leurs beaux habits modernes. Elles marient ostensiblement de scintillantes vestes et khimar avec des jeans estampillés « Diesel ». Beaucoup parmi ces jeunes filles n'observent pas les consignes strictes du port du hidjab telles que le choix des couleurs et le camouflage des rondeurs du corps. Pis encore, certaines « moutahadjibates » enfreignent même la sacro-sainte règle islamique qui veut que la femme voilée ne doit pas serrer la main à un homme. En Algérie, hidjab ou pas, nos filles et femmes recourent même aux embrassades et autres accolades au point où la bise est devenue un autre phénomène de société. Et les femmes voilées semblent s'y adapter. C'est dire que même en matière de hidjab, les Algériennes font exception.