Militant de la cause tamazigt, Farid Rabia est auteur de plusieurs ouvrages, dont un manuel lié aux mathématiques et un jeu de scrable en tamazight. Dans cet entretien, l'universitaire donne son approche sur la réhabilitation de la langue et de la culture amazighes tout en ne manquant pas de mettre l'accent sur les problèmes rencontrés par les enseignants. – Militant au long cours de la culture berbère, vous avez à votre actif plusieurs travaux et publications. Vous avez consacré un manuel à l'enseignement des mathématiques en tamazight intitulé Tussnakt i yemghurbizen et réalisé un jeu de scrabble en tamazight. Donnez-nous des détails sur vos travaux ? Je suis militant de la cause amazighe, professeur de mathématiques, lauréat du 1er prix de la meilleure œuvre pédagogique en 1996 décerné par le ministère de l'Education. J'ai réalisé le premier logiciel maths «installable» en Algérie en 2008 Ed Baghdadi, dans le domaine amazigh, Tussnakt i yemghurbizen (mathématiques pour écoliers), c'est un manuel didactique sur l'histoire des mathématiques et son enseignement en tamazight, édité chez les éditions Baghdadi en 2016, la 2e édition s'est faite durant le mois de février en France chez les éditions Tazrigt n tummast de Julien Pesheur qui sera présenté au Salon du livre à Boujima en avril prochain. Le scrabble en tamazight intitulé Awalen inmidagan, un titre officiel donné par le défunt Pr Mohand Akli Haddadou, la partie d'inauguration a été jouée au SILA en 2016 avec mon ami Mokrane Chemim. D'autres travaux sont en cours de réalisation surtout dans le domaine de la traduction, beaucoup de manuscrits ont été réalisés dans ce domaine, à citer La proclamation du 1er Novembre avec mon ami Habib Allah Mansouri au compte du ministère de la Communication en collaboration avec le HCA, la proclamation de 1963, la charte internationale des droits de l'enfant, des synopsis de films d'adaptation en tamazight. J'ai édité une encyclopédie scientifique en tamazight chez les éditions La pensée en 2019, une œuvre qui a été primée au concours national des inventeurs, cette dernière est une icône du savoir avec la participation d'enseignants et chercheurs dans le domaine amazigh. – Vous étiez responsable de la commission d'enseignement de tamazight au sein d'Idles. quel a été l'apport de cette association dans le long combat de la réhabilitation de la langue et la culture amazighes ? L'association Idles était la première et la plus grande association agréée en 1989 à Tizi Ouzou, son siège était situé à l'ex-Cinéma Studios. Elle avait comme président le Dr Mouloud Lounaouci, une des grandes figures du combat identitaire, Kateb Yacine, Mouloud Mammeri étaient des membres d'honneur de l'association. Idles était le berceau de la promotion de tamazight dans sa triple dimension : langue, culture, identité en organisant le premier colloque de la langue maternelle en 1990 avant sa proclamation officielle par l'Unesco en 1999 durant une Assemblée générale au Bangladesh, avec la présence de grands linguistes, à l'image du Marocain Bounfoul, Khendriche et autres. Des rapports de différents ateliers ont été réalisés sur la langue maternelle dans le domaine de l'enseignement. Idles a concrétisé la première expérience d'enseignement avec un effectif de plus de 5000 élèves, un programme unifié et un encadrement formé de plus de 845 enseignants dont la plupart sont de la famille éducative. Pour l'unification des programmes, Idles a organisé en juin 1993 un séminaire national sur l'enseignement de tamazight avec des enseignants du département langue et culture amazighes de Tizi Ouzou, à citer M. Kahlouche, Soueur Louis de Vincennes, M. Lahlou, Mme Khendriche, M. Oubagha Hamid et d'autres personnalités du monde amazigh. A Idles, nous avons construit les fondations de l'enseignement de notre langue maternelle tel qu'il était souhaité par Dda lmouloud ath Maamar. – Quels sont les problèmes auxquels font face les enseignants de tamazight ? Beaucoup de problèmes font de tamazight tutlayt «tarbibt», le concept du facultatif est le problème le plus épineux, sans compter l'organisation pédagogique en programmant tamazight dans des horaires les plus difficiles pour les élèves, le poids du livre, en utilisant les trois caractères dans la même manuel. L'inexistence d'une formation effective en pédagogie même en psychologie pour les enseignants a créé des difficultés de compréhension dans l'enseignement de tamazight dans les trois cycles Dans la wilaya de Tizi Ouzou, où on peut constater une prise en charge effective de cet aspect, ailleurs il y a plus de problèmes que de solutions. A l'ouest du pays, des enseignants assurent des cours avec une présence de deux ou trois élèves dans la classe. Au sud du pays, à Ghardaïa, un inspecteur, M. Ouali, qui fait son travail avec dévouement, encadre plus d'une cinquantaine d'enseignants de tamazight, dont la majorité est de Kabylie, ils enseignent le mozabite à In Guezzam, ils enseignent le tamahaqt. Abdellah et sa femme, enseignants de tamazight à Tamanrasset, font une primauté du militantisme sur la pédagogie. En plus des problèmes cités dans le contexte pédagogique, on cite aussi le manuel scolaire qui ne s'adapte pas avec le niveau de l'élève, le manque de produits parascolaires dans la matière. – Dans un atelier consacré à la loi d'orientation, les participants ont plaidé pour la révision de ce texte. Plus de détails… Que faudra-t-il faire, selon vous, pour promouvoir réellement l'enseignement de la langue amazighe ? Oui, effectivement, vu la Constitution de 2016 qui garantit le statut national et officiel de tamazight, notamment son article 4 : « Tamazight est également langue nationale et officielle, cet article n'a aucun sens du moment une loi organique qui consacrera le contenu de l'article n'existe pas, eh oui une loi organique qui implique des modifications dans la loi d'orientation scolaire, qui doit revoir le contenu de la loi de la magistrature, et même pour le code de wilaya qui concerne la toponymie et les enseignes commerciales en tamazight. Devenue langue officielle en Algérie, tamazight n'occupe pas encore la place qui lui revient en tant que telle dans les textes fondamentaux du pays. La plupart des lois régissant directement ou indirectement l'enseignement de cette langue, depuis son introduction dans l'éducation nationale en 1995, ont été promulguées avant sa reconnaissance officielle (nationale en 2002 et officielle en 2016). Aussi, il est impératif de revoir les articles des lois en rapport avec la constante nationale «amazighité», en particulier la loi n°08-04 du 23 janvier 2008 portant loi d'orientation de l'éducation nationale. A cet effet, il s'avère nécessaire d'opérer des modifications qui s'imposent sur cette loi afin d'appréhender tamazight dans son nouveau statut de «Langue nationale et officielle», conformément à la nouvelle Constitution du 6 mars 2016, car l'école est le laboratoire par excellence de fabrication d'une politique linguistique effective. Le verrou de «la demande sociale» (stipulé dans cette même loi d'orientation, p 11 au titre de «tamazight en tant que langue, culture et comme patrimoine) ne peut en aucun cas contribuer à la promotion de la langue. Quelle langue maternelle «tamazight» dont on parle, c'est une langue «tarbibt» en enseignant la langue arabe à l'enfant à l'âge de 6 ans (1re AP), le francais à l'âge de 9 ans (3e AP) et ce n'est qu'à l'âge de 10 ans (5e AP) qu'il découvre sa langue maternelle et encore selon la demande sociale «facultatif» faisant fi de toutes les études et expertises menées par l'Unesco sur l'apprentissage de la langue maternelle. Pour une concrétisation effective de la promotion et le développement de cette langue, qui lui permettront d'être effectivement fonctionnelle à terme, tel que stipulé dans la Constitution, l'obligation de l'enseignement de tamazight doit faire l'objet de modification de ladite loi, cette obligation doit se concrétiser d'une façon graduelle en un temps de cinq ans pour arriver à sa généralisation. L'académie de tamazight doit enregistrer, constater et évaluer les différents caractères enseignés dans les différentes régions du pays dans une perspective à long terme pour adopter le caractère officiel pour la langue. Loin de toute considération idéologique ou autre, il n'y a que le caractère qui développera la langue qui doit l'emporter car tamazight appartient à ses locuteurs.