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Journée ordinaire en temps de coronavirus à Constantine : Un élan humain spontané envers les nécessiteux
Publié dans El Watan le 15 - 04 - 2020

A Constantine, comme ailleurs en Algérie, le mouvement associatif œuvrant dans le caritatif intervient pour apporter un soutien aux plus nécessiteux. Le coronavirus et le confinement ont fragilisé davantage cette frange de la société : familles sans revenus, veuves avec enfants, SDF et surtout de nombreux Subsahariens.
Dans le QG du jour, un domicile situé rue Frères Hamrouchi, dans la partie basse du quartier Belouizdad, la «task force» se regroupe pour la dernière étape de l'opération. C'est le quatorzième jour d'affilé que cette équipe d'aide humanitaire intervient pour apporter un soutien aux plus nécessiteux.
Le coronavirus et le confinement ont fragilisé davantage cette frange de la société : familles sans revenus, veuves avec enfants, SDF et surtout de nombreux Subsaharien livrés à eux-mêmes et vivant dans des conditions infrahumaines. L'heure avance et c'est bientôt le couvre-feu général, qui prend effet à partir de 19h à Constantine, mais les repas chauds ne sont pas encore prêts. Au menu du jour, «chakhchoukha» à la viande, ce mets constantinois riche est réservé généralement aux grandes occasions.
Dans le hall d'entrée du domicile de Borhane, transformé généreusement en un «resto du cœur», le spectacle des denrées alimentaires de première nécessité entassées à mi-hauteur du mur fait oublier l'odeur de la cuisine. Ce sont les dons qu'il récolte, lui et les autres membres de la «bande», Adam, Akram, Chahrazed, Soheib et Anis, pendant la première partie de la journée : farine, tomate en conserve, huile, sucre, légumes secs, eau minérale, etc.
Les bénévoles préparent des couffins qui seront distribués à des familles dans le besoin et dont la liste s'allonge chaque jour. A l'extérieur, les véhicules qui constituent le cortège s'alignent devant le bâtiment, même la bécane de Kamel, un artiste qui vient se joindre à l'équipe, est là. Le temps passe et quelques signes de nervosité se font sentir, mais comme des soldats, ils font preuve de discipline et d'organisation. Le port du masque, des gants et l'utilisation du gel désinfectant sont obligatoires.
18h. Enfin tout est prêt et rangé dans les malles selon les destinations. De jour en jour, ces jeunes apprennent et améliorent le fonctionnement de leur machine. Chahrazed Boukella fait profiter le groupe de son expérience dans le mouvement associatif et les opérations d'aide. C'est elle qui détermine le contenu du couffin et affiche la liste sur le mur. Les denrées sont récoltées dans la matinée chez des particuliers, des commerçants, les grossistes surtout. Borhane et Akram s'en occupent. Anis et Samir viennent en renfort. Les jeunes refusent naturellement l'argent en espèce.
Missionnaires discrets
A Constantine, comme ailleurs en Algérie, le mouvement associatif œuvrant dans le caritatif arrive à pallier au désengagement des services de l'Etat. Borhane et ses amis ne sont pas organisés en association. Ils se sont automissionnés, accourant au chevet de leurs concitoyens et des Subsahariens, dans un élan humain spontané et discret, mais ô combien utile et réconfortant pour ces couches vulnérables.
«La maladie la plus constante et la plus mortelle, mais aussi la plus méconnue de toute société, est l'indifférence», disait l'Abbé Pierre. Une maladie dont ne souffrent guère nos protagonistes, à l'instar de millions d'Algériens réunis par la dynamique et surtout l'éthique apportées par le hirak national.
Le premier arrêt du cortège a lieu au centre-ville devant le siège de l'UGTA. «Dès les premiers jours, nous avons demandé aux SDF de se passer le mot pour se regrouper à cet endroit à partir de 17h», nous explique Akram.
Ce jour-là, il n'y en avait pas beaucoup, à peine une vingtaine de personnes qui avancent une par une dignement, récupérer chacune son paquet. L'une d'elles nous explique qu'un autre groupe de bénévoles est déjà passé et a distribué des repas froids. «D'habitude, il y a une file d'environ 70 personnes», affirme Adam. L'opération terminée, la procession s'ébranle dans une course contre la montre en direction du pont géant. Les voitures se garent à environ 200 m du lieu de rendez-vous habituel où vivent (ou plutôt végètent) des jeunes Subsahariens.
Cartons entre les mains, les bénévoles courent à la rencontre d'Ibrahim, le contact nigérien. Mais les nouvelles sont tristes. Ibrahim raconte que la police a fait une descente ce matin pour chasser les réfugiés et nous montre le spectacle désolant des effets (couvertures et matelas de fortunes) brûlés. Ce soir, ils dormiront sans couchage, exposés au froid glacial des nuits de ce début avril.
Fâchés et non confiants, les jeunes Subsahariens temporisent d'abord avant de venir chercher les repas et exprimer timidement quelques plaintes. Les bénévoles, compatissants, promettent de leur trouver des effets pour le lendemain et sont obligés de les quitter pour descendre encore plus bas vers la rue de Roumanie où sont installées dans un terrain accidenté et envahi par les mauvaises herbes des familles entières originaires du Niger.
Les oubliés du système
C'est Chahra d'abord qui s'engage dans cette «jungle» d'orties pour établir le contact. Mais ce jour-là, nous n'avons trouvé que deux familles, les autres ayant changé de bivouac à cause de la descente de la police. Ici aussi, les dégâts sont visibles. La fumée se dégage encore des tas d'effets brûlés. Sur les visages, la tristesse et la résignation sont difficiles à cacher.
A l'appel, une ribambelle d'enfants, dont le plus âgé ne dépasse pas 5 ans, accourent dans une explosion de joie pour recevoir les repas chauds, une maigre consolation contre cette vie miséreuse, à moins que leur bas âge ne leur épargne de ressentir une telle injustice. Il ne reste que 15 minutes avant les coups de 19h. Un seul véhicule doit mener une dernière mission : se rendre à l'hôtel El Bey, près de l'aéroport Mohamed Boudiaf, où sont confinés plus de 20 médecins et infirmiers. Ce sont les membres du staff médical de l'EPSP Hraicha Amar à Aïn Smara (17 km à l'ouest de Constantine), soupçonnés d'être infectés suite au décès d'un homme âgé, voilà une dizaine de jours par le Covid-19, dans cet établissement.
Dégoûtés par la qualité des repas que leur envoyait le CHU, ces personnels médicaux ont eu la chance de tomber sur Borhane et ses amis qui leur assurent quotidiennement des repas de qualité. Mais cette dernière mission n'est pas sans risques puisque souvent ayant lieu au-delà de 19h. Le missionnaire a pu décrocher un document signé par le secrétaire général du CHU Dr Ben Badis, faute de mieux.
Depuis plusieurs jours, ces jeunes admirables attendent des réponses à leurs écrits adressés au chef de daïra et au wali de la wilaya de Constantine pour les autoriser à circuler et à mener leurs missions. Des écrits demeurés lettre morte, pour l'instant. Le reste de l'équipe se disperse et chacun rentre de son côté, pensant déjà à la journée suivante, mais sans se faire trop de soucis. Instinctivement, ils savent qu'avec tout l'argent du monde, on ne fait pas des hommes, mais avec des hommes qui aiment, on fait tout.


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