Spécialiste en infectiologie, président du conseil scientifique de la faculté de médecine de Blida, le professeur Rabah Bouhamed, parle d'une régression de la moyenne du nombre de malades contaminés par le Covid-19, arrivant au service qu'il dirige à l'hôpital Frantz Fanon de Blida, mais aussi l'état stationnaire des cas sévères hospitalisés. Dans l'entretien qu'il nous a accordé, il évoque les cas de guérison, le dépistage au scanner pulmonaire, le nombre important des cas traités à titre externe, mais interpelle aussi sur la nécessité d'un service d'épidémiologie à Blida, une ville de brassage, dit-il, à haut risque sanitaire… – La courbe des contaminations ainsi que celle des mortalités connaissent une légère baisse. Selon vous, peut-on parler d'une tendance stationnaire ou baissière ? Je dirais plutôt à la baisse. Pour comprendre, il faut revenir en arrière. Lorsque le service a été ouvert le 30 mars dernier, nous recevions une moyenne de 15 à 20 malades par jour. C'était infernal. Tous les lits étaient occupés. Nous avons eu des pics de plus de 20 malades. Mais, aujourd'hui, nous recevons 4 à 5 malades par jour seulement. Il y a de moins en moins de contaminés. Ceux qu'on reçoit ne viennent plus de la ville de Blida, mais de sa périphérie où les gens continuent à se regrouper et respectent moins les consignes de confinement. L'état de santé de la quarantaine de cas sévères hospitalisés à notre niveau est stationnaire. Durant les dernières 72 heures, ils n'ont pas eu de fièvre ni dyspnée. Leur formule sanguine est normalisée et les lésions révélées par le scanner sont stables. Pour nous, ce sont de bons signes. Cela n'était pas le cas durant le début du mois en cours, où tous les indicateurs étaient au rouge, sans compter le nombre de plus en plus important de malades qui affluaient à l'hôpital. – Est-ce le résultat du confinement ? Seul le confinement peut stopper la propagation du virus. A Blida, la population a pris conscience de la gravité de la situation. S'il n'y avait pas eu le confinement, la situation aurait été catastrophique. Nous ne sommes pas à la fin. Il y a encore des personnes contaminées. Soyons vigilants. Continuons à respecter le confinement et à porter une bavette à chaque fois qu'on sort. Il faut se protéger et protéger les personnes vulnérables qui vivent avec nous dans nos foyers. Ne les exposons pas à une mort certaine… – Justement, comment expliquer ce taux de mortalité assez important ? En fait, dans beaucoup de cas, ces malades arrivent un peu tard à l'hôpital. Généralement, ce sont des personnes souffrant de maladies cardiaques, de tension ou de diabète, dont les traitements cachent souvent les symptômes du Covid-19, tels que la fièvre ou la toux. Lorsque ces malades n'arrivent plus à respirer, ils se dirigent vers les urgences, mais les lésions sont déjà importantes. Il y a aussi des personnes qui ressentent cette contamination au coronavirus comme une honte. Elles préfèrent rester chez elles jusqu'à ce que leur état se dégrade. Lorsqu'elles sont évacuées vers les urgences, leur état est déjà très grave. Nous ne cesserons jamais d'appeler les gens à respecter le confinement pour éviter que les personnes âgées et les malades chroniques soient contaminés. Rester chez soi, c'est couper la transmission du virus et diminuer sa propagation. C'est de cette manière que nous arriverons à faire baisser la tendance. Bien sûr, il y a aussi la prise en charge des malades et également le traitement dont ils bénéficient… – Vous parlez de l'hydroxychloroquine ? Effectivement. Mais, ce qu'il faut retenir, c'est qu'à notre niveau, nous n'avons pas attendu ce protocole pour commencer à soigner les patients. Les patients que nous recevons étaient, en général, des malades chroniques. Nous normalisons les fonctions en dysfonctionnement, en basant sur l'hydratation, l'oxygénation, tout en continuant à donner le traitement qu'ils prenaient. Nous avons introduit l'hydroxychloroquine, associée parfois à un antibiotique. Ce ne sont pas tous les contaminés au Covid-19 qui en bénéficient. Nous le donnons surtout aux cas sévères. Nous comptons 106 malades pris en charge par notre service qui sont soignés à l'hydroxychloroquine. Mais, de nombreux patients ont vaincu le Covid-19 sans aucun traitement, grâce à l'organisation et à l'importante logistique mise à la disposition du service par l'administration, à laquelle je rends hommage tout autant qu'au personnel soignant. Nous avions commencé la prise en charge des malades atteints de Covid-19 avec un seul service. Aujourd'hui, ils sont au nombre de trois, qui travaillent en coordination avec une salle de réanimation. Vous êtes au service de chirurgie cardiaque, nouvellement construit et dédié depuis le 30 mars dernier aux malades de Covid-19, et je peux vous dire qu'au début, c'était la course contre la mort. Nous avons trois types de patients. Les cas modérés, au nombre de 61, que nous soignons à titre externe, les cas sévères, au nombre de 21, nécessitant un traitement spécifique à l'hôpital, et une quarantaine de cas gaves qui sont en soins intensifs. – Quelle différence y a-t-il entre les cas sévères et ceux que vous considérez comme étant graves ? Les cas sévères sont ceux qui nous viennent avec une dyspnée, une fréquence respiratoire anormale et avec des tares sous-jacentes. A titre d'exemple, nous avons pris en charge sept femmes enceintes, atteintes du Covid-19. Six ont guéri et une seule est toujours hospitalisée. Nous travaillons beaucoup avec l'image scanographique, qui nous dévoile assez bien les lésions au niveau des poumons et nous permet de décider tout de suite du protocole à suivre. Mais le plus grand nombre des malades que nous avons reçus représente des cas modérés, auxquels nous avons donné un traitement qu'ils ont pris chez eux, en prenant toutes les mesures nécessaires de confinement. – Pas d'hospitalisation pour les cas positifs au Covid-19 ? Nous ne gardons pas les malades modérés. Les 56 lits que nous avons au service sont destinés à l'hospitalisation des cas sévères devant être mis sous surveillance médicale. Nous travaillons en coordination avec le service de réanimation pour assurer un lit à chaque patient dont l'état se dégrade et nécessite des soins intensifs. De même que nous faisons en sorte qu'à chaque fois qu'un malade en réanimation est hors de danger, il puisse trouver une place pour une courte hospitalisation, le temps qu'il guérisse. Du 30 mars au 17 avril, 54 malades sont rentrés chez eux. Chaque jour, une moyenne de 5 à 8 patients quittent le service après être guéris. Cette rotation est importante. Elle permet de garantir l'hospitalisation aux plus atteints. Les soins à l'extérieur nous ont facilité cette rotation parce qu'ils nous évitent l'occupation des lits. – Ne présentent-ils pas de risque de contamination une fois dehors ? Jusqu'à présent tous nos malades soignés à titre d'externes reviennent au contrôle guéris. Ils respectent scrupuleusement les consignes. Ils viennent pour le contrôle. Aucun d'eux n'a été défaillant. Ils sont très vigilants et très respectueux des conseils médicaux. – Comment dépistez-vous vos malades ? Dès le départ, nous avons utilisé, comme moyen de dépistage, les images que nous renvoie le scanner pulmonaire. Ce sont les lésions constatées qui nous servent d'indicateurs. Les premiers kits de dépistage rapide ne nous ont été livrés que cette semaine. Je peux vous dire qu'aucun des malades hospitalisés n'est négatif. – Vous aviez évoqué le cas de sept femmes enceintes contaminées et prises en charge par votre service. N'y a-t-il pas de risque de contamination de la mère à l'enfant ? Pas du tout. Même si le cas de la femme enceinte devient grave et qu'elle nécessite d'être intubée, une césarienne est alors pratiquée pour sauver l'enfant et permettre à la mère de bénéficier de soins intensifs. Nous avons fait des simulations et tout est prêt. – En tant qu'infectiologue, comment expliquez-vous que Blida soit l'épicentre de la pandémie, comme elle l'a été lors du choléra, il y a à peine deux ans ? La ville de Blida a été l'épicentre non seulement du choléra mais aussi de la méningite et de la grippe aviaire. C'est une ville de brassage. Les 48 wilayas sont représentées sur son territoire et elle est à 45 minutes de la capitale. Elle constitue un terrain propice à la propagation des épidémies. Pourtant, la wilaya ne compte aucun service d'épidémiologie. En tant qu'experts, nous avons maintes fois attiré l'attention des autorités, en vain. Nous avions espéré qu'après l'épidémie de méningite, ce service verrait le jour à l'hôpital Frantz Fanon. Mais cela n'a pas été le cas. Il y a eu par la suite l'épidémie de choléra et rien n'a été fait. Aujourd'hui, Blida est l'épicentre de la propagation du Covid-19 et, encore une fois, elle n'a toujours pas de service d'épidémiologie. Il est donc plus qu'urgent de tirer les leçons de cette crise sanitaire.