Déjà en proie à une myriade de difficultés, les 5000 marins pêcheurs de la wilaya de Boumerdès ont vu leur situation socioprofessionnelle empirer depuis l'apparition de la pandémie du nouveau coronavirus. Après plus de 20 jours de cessation d'activité, l'inquiétude et la peur de lendemains incertains semblent s'installer dans les esprits. Si la pêche a repris cette semaine timidement aux ports de Zemmouri et de Cap Djinet, ce n'est pas le cas à Dellys, où plus de 20% de la population vit des métiers de la mer. En dépit de son exiguïté, le port de cette localité est fréquenté par plus de 1500 pêcheurs et une flottille de plus de 200 embarcations, dont des dizaines de sardiniers et de chalutiers. «Notre port est fermé depuis le 16 de ce mois sur décision du wali en tant que président de la cellule de crise et de suivi de l'épidémie. Cette décision a été motivée par le souci d'éviter la propagation du virus. Or, il n'y a eu aucun cas positif parmi les pêcheurs. On parle d'une proche d'un camarade qui serait contaminée, mais certains ont amplifié les choses. Maintenant que le port est fermé, qu'adviendra-t-il des pêcheurs ? Qui va nourrir leurs familles ? » s'interroge Sid Ahmed avec dépit. Propriétaire d'un sardinier acquis dans le cadre de la Cnac, cet armateur emploie une douzaine de personnes, entre pêcheurs, mécaniciens et le capitaine. Depuis le 20 mars dernier, il a fait deux sorties en mer. «Ce n'est pas la bonne saison. La récolte était très maigre. Une fois, on a pêché 7 caisses de sardines, soit l'équivalent de 56 000 DA. Le mandataire obtient une commission de 10% des gains. Moi en tant qu'armateur j'ai droit à 45%. Le reste est partagé entre les membres de l'équipage. Le capitaine aura 2 parts, le mécanicien 1,5, le pêcheur 1,25%. Mais les gens pensent qu'on gagne des milliards. Certains nous tiennent pour responsables de la hausse des prix de la sardine alors que la plupart d'entre nous vivent à crédit», révèle-t-il. Selon lui, le meilleur des pêcheurs gagne 35 000 DA/mois. Les armateurs, eux, se plaignent des charges. A titre d'exemple, le filet de pêche coûte plus de 3 millions de dinars et doit être ramendé à 3000 DA avant chaque sortie en mer. Cet outil de travail peut se déchirer à la moindre fausse manœuvre. A cela s'ajoutent les cotisations Cnas, les frais du gasoil, estimés à 20 000 DA par semaine et ceux liés à l'entretien du navire. Celui-ci doit subir une opération de carénage chaque année dont la moins chère dépasse 40 millions de centimes. Très critiquée, la fermeture du port va donc durement impacter le quotidien des marins pêcheurs. «On ne met pas les gens au chômage forcé à la moindre rumeur. L'idéal serait de renforcer les mesures de précaution contre le virus. Certes, il y a eu des campagnes de sensibilisation et des opérations de désinfection au niveau du port. Les pêcheurs portaient des bavettes et la sardine se vendait à la criée. Malgré cela, la semaine passée, il y avait des bousculades à chaque arrivage de poisson», regrette un mandataire. Natif de la région, le vice-président de la Chambre nationale de la pêche, Ali Boulissia, joint sa voix à celle des marins pêcheurs en souhaitant la réouverture du port et le respect des mesures d'hygiène, que ce soit dans les felouques ou sur les quais et espaces de vente et d'embarquement. Pour lui, «cette frange travaille dur mais gagne moins. La preuve est que tous les pêcheurs s'activent pour bénéficier de la prime de 10 000 DA sans savoir quels sont les critères et les conditions pour son attribution».