Photo :M. Hacène Par Ziad Abdelhadi Selon des patrons de pêche rencontrés juste après l'arrimage de leurs sardiniers, les faibles quantités de poissons ramenés ces derniers temps ne suffisent même plus à rembourser le gasoil consommé pendant la durée des sorties en mer. «Il faut parfois aller plus loin que les zones de pêches habituelles et donc nous consommons plus de fuel, sans pour autant voir nos filets ramener de quoi au moins rentabiliser nos sorties», nous ont expliqué nos interlocuteurs. «Il devient difficile de rencontrer des bancs de poissons, c'est à croire qu'ils ont fui nos côtes. Et ces jours-ci, c'est le courant qui persiste. Ce qui rend vain tout espoir de pêche», ajouteront-ils. Il suffit de se poster sur le quai pour constater que les chalutiers pélagiques spécialisés dans la pêche au poisson bleu, à leur retour au port d'accostage, n'ont pas ramené grand-chose. La pêche a été maigre. Le nombre infime de cageots de sardines prêts à être débarqués, le confirme. Ce petit «butin» sera réceptionné par un mandataire qui se chargera d'écouler la marchandise à un prix «raisonnable», nous dira l'un d'eux en réponse à notre question de savoir sur quelle base est élaboré le prix. A six heures du matin, la «criée» annonçait 250 DA la caisse de 20 kg (120 DA /kg) de sardines de calibre moyen c'est-à-dire, la plus marchande. Autour de chaque amoncellement de casiers se forme un attroupement de détaillants cherchant à faire une bonne affaire. Le mandataire attend une offre. Elle viendra mais très discrètement. L'intéressé lui soufflera à l'oreille son prix. Par un signe de la tête, il lui fera comprendre qu'il est encore loin. Au bout de quelques minutes, les détaillants se décident à accepter le prix demandé. Ils n'ont pas beaucoup le choix. Ils risquent de ne plus trouver de sardines à acheter compte tenu des faibles quantités ramenées par les embarcations. Ceux qui n'ont pas pu avoir de la sardine fraîche pourront toujours se rabattre sur celles proposées par quelques camionnettes frigorifiques présentes sur les lieux aux premières lueurs de l'aube, comme nous avons pu le constater lors de notre passage au port de pêche. Mais les sardines dont les propriétaires se garderont bien de révéler les origines, sont moins fraîches et d'un calibre plus ou moins marchand. On apprendra par d'anciens pêcheurs que le port de pêche de Bouharoun n'est plus ce qu'il était sur le plan de l'activité et qu'il accuse un net recul en matière d'activité. «Les sardiniers sont de plus en plus nombreux à rester à quai à cause de la rareté du poison», nous affirment certains patrons de chalutiers. «C'est un manque à gagner aux lourdes conséquences pour ceux n'ayant pas encore remboursé leur crédit d'achat», indiquent-ils. Pour étayer leur propos, ils nous montrent du doigt un sardinier sous séquestre car son propriétaire n'a pas pu payer ses créances. Cette baisse d' activité inquiète les marins pêcheurs qui voient les journées de travail sans rétribution se suivre. Quelques-uns nous rappellent dans la foulée qu'ils sont «pénalisés par les mauvaises pêches, car nous sommes payés à la part, en fonction du produit pêché par jour». «Les 50% du produit de la pêche vendu que nous nous partageons devient de plus en plus maigre alors que les besoins de nos familles grandissent. Aussi, nous demandons aux pouvoirs publics de mettre en place un système de compensation qui puisse nous assurer un minimum de salaire en cas de longue période d'inactivité», diront des marins pêcheurs. «Nous voulons seulement bénéficier des mêmes avantages de couverture sociale existant dans d'autres secteurs d'activité», soutiennent-ils. On continue de pêcher de façon artisanale Pour en revenir à la problématique des faibles quantités pêchées, un marin pêcheur qui a plus de trente années d'expériences nous affirme que, contrairement à ce qu'on pense, cela est dû non pas à l'indisponibilité de la ressource halieutique, notamment les poissons démersaux, mais au manque de matériel moderne de pêche. «Les méthodes de pêche chez nous restent encore artisanales, alors qu'il aurait été plus judicieux de s'équiper en sondeurs, sonars et autres appareils GPS pour localiser et traquer les bancs de poissons, tout en préservant les ressources halieutiques de la prédation», explique le marin. Au sujet de la cherté du poisson sur les étals, notamment la sardine, «la faiblesse de l'offre est, certes, matière à élever les prix mais il y a toutefois un autre facteur derrière la cherté des produits halieutiques, c'est la part de bénéfice que prélèvent les détaillants sur chaque kilogramme vendu», nous ont affirmé les pêcheurs. Nous l'avons d'ailleurs constaté. Le poisson acquis sur le quai, en la matinée du mercredi 30 juin à 120 dinars le kilo est revendu au détail, à Bouharoun même, 200 dinars. Une aussi importante marge de bénéfice explique la multiplication du nombre de détaillants de poisson frais. C'est pourquoi les marins pêcheurs ne cessent de répéter qu'ils ne sont pas responsables de la cherté du poisson mais que le véritable responsable n'est autre que le marchand ambulant. «Il serait temps que les choses changent, si l'on veut relancer l'activité de la pêche. C'est à ceux qui bravent les dangers de la mer que devrait revenir la plus grande part de gains et non pas au marchand ambulant du coin qui, sans trop se fatiguer, fait le plein de recettes», s'accordent à dire les marins pêcheurs de Bouharoun qui estiment qu'au train où vont les choses la profession risque de disparaître pour laisser la place aux pêcheurs occasionnels. Z. A. Développement de la production halieutique : un programme ambitieux La production halieutique nationale est, bon an mal an, en moyenne de 187 000 tonnes, et peut aller jusqu'à 220 000 tonnes les bonnes années. Mais elle reste en deçà des objectifs tracés par les pouvoirs publics pour porter à au moins 8-10 kg de poissons consommés par an par chaque algérien. Pour développer le secteur et l'intégrer dans la dynamique du développement national, un programme devant permettre la production de quelque 274 000 tonnes de poissons a été mis en place par le ministère de la Pêche. Lancé depuis l'année 2000, ce programme intitulé «Plan d'orientation du développement des activités halieutiques et d'aquaculture», vise à valoriser la ressource halieutique, tant maritime que continentale, pour atteindre à l'orée 2025 une production d'environ 221 000 tonnes pour la pêche maritime et 53 000 tonnes pour la pêche continentale, et ce, à travers les différents projets d'aquaculture. Le projet est ambitieux, mais, selon les spécialistes, il n'a pas encore atteint ses objectifs. Selon un récent bilan du syndicat national des marins pêcheurs, seuls 25% des ressources halieutiques disponibles sont exploitées.