L e Pentagone commence à voir d'un mauvais œil les activités de la Russie en Libye. Un des responsables du Commandement des Etats-Unis pour l'Afrique (Africom) est même allé jusqu'à estimer que la présence de mercenaires russes dans ce pays ravagé par la guerre était plus dangereuse que celle du groupe terroriste Daech. Impliquées dans le contexte des interventions militaires de Moscou en Ukraine à partir de 2014, puis en Syrie à partir de 2015, les sociétés militaires russes ont plus récemment fait leur apparition en Libye aux côtés de Khalifa Haftar, dont les troupes assiègent Tripoli depuis avril 2019. Selon de nombreux chercheurs, les sociétés militaires privées russes, parmi lesquelles le groupe Wagner dont les éléments opèrent en Libye, agissent souvent pour le compte de l'Etat russe. Elles seraient, selon eux, le bras militaire officieux du Kremlin. Washington soupçonne ainsi Moscou de chercher à se positionner sur le flanc sud de l'OTAN. Un haut responsable du Pentagone a confié mardi dernier au Washington Examiner que les Russes menacent les intérêts stratégiques des Etats-Unis en Afrique du Nord. Ils cherchent, selon lui, à s'implanter en Libye afin d'avoir accès à ses ports, son pétrole et accroître leur influence en Méditerranée orientale. Une autre source militaire américaine, citée par le même journal, a expliqué que la Russie pourrait bénéficier de toute une série d'avantages économiques et géopolitiques si Haftar arrive à prendre durablement le pouvoir en Libye. Les autorités russes n'avaient pas réagi hier aux accusations américaines. Objectifs géopolitiques et économiques La présidente du Département de science politique du Barnard College, Kimberly Marten, citée par le Washington Examiner, rappelle que depuis le départ des Etats-Unis de Libye à la suite de l'offensive des troupes de Khalifa Haftar contre Tripoli en avril 2019, la Russie a renforcé son partenariat militaire avec le pays. S'agissant des éléments de Wagner qui opèrent pour le compte de Haftar, Kimberly Marten indique qu'«il a été rapporté que la plupart d'entre eux sont des tireurs d'élite», ajoutant qu'«ils ont joué un rôle important dans le siège de la capitale libyenne». Un autre responsable du Pentagone a déclaré au journal américain que le groupe Wagner se trouve en Libye et dans d'autres parties du continent africain depuis le début de l'année 2018. Le lieutenant de marine de l'Africom Christina Gibson a indiqué, dans un communiqué transmis au Washington Examiner, que sa structure avait constaté que la Russie recourrait «de plus en plus à des sous-traitants militaires privés pour fournir de la formation militaire et de l'aide à la sécurité, ce qui offre à Moscou une plus grande flexibilité pour atteindre ses objectifs géopolitiques et économiques». Faute stratégique Les Etats-Unis reconnaissent toutefois que la Russie a su profiter du retrait américain de Libye et qu'ils n'ont aujourd'hui que peu de moyens pour influer sur le cours des choses. Les responsables du Pentagone admettent en effet que «le départ américain a nui à la capacité américaine de contribuer à la stabilité de la Libye et au succès du gouvernement d'union nationale (GNA) reconnu par l'ONU». «Le fait que nous n'ayons pas de présence militaire en Libye, je veux dire, en tant que partenaire ou quoi que ce soit, cela nous place très loin derrière», a déclaré un haut responsable du Pentagone. «D'un point de vue militaire, le retour nous permettrait de nous engager dans la formation, ainsi qu'une certaine influence américaine sur les activités au sein du gouvernement de la Libye, et nous permettrait de garder la trace de l'Etat islamique en Libye et d'autres groupes terroristes», a-t-il ajouté. Les Etats-Unis envisagent-ils de revenir à moyen terme en Libye ? La Libye deviendra-t-elle un nouveau terrain d'affrontement entre Washington et Moscou ? «Nous pensons qu'il y aura un besoin à l'avenir, une opportunité pour nous d'y revenir (…), mais il est un peu difficile de répondre à cela étant donné la crise qui sévit là-bas et les incertitudes qui pèsent sur la Libye», a répondu la même source. La question reste de savoir aussi si le constat fait par l'Africom de la présence russe en Libye va s'accompagner de la révision de la position de la Maison-Blanche sur le conflit libyen. La position défendue par Donald Trump est actuellement décriée par de nombreux sénateurs (y compris républicains) qui reprochent au président américain de soutenir la même partie que celle qu'appuient les Russes, à savoir Khalifa Haftar. Et pour eux, c'est un non-sens et cela équivaudrait à se tirer une balle dans le pied.