Pour de nombreux libraires – déjà ébranlés par un secteur du livre en plein marasme – l'annonce de la réouverture de leurs librairies a été bien accueillie. Pour rappel, le Premier Ministre, Abdelaziz Djerad, avait émis, samedi 25 avril 2020, une instruction à l'adresse des départements ministériels concernés ainsi que les walis de la République pour l'élargissement des secteurs d'activités et l'ouverture des commerces, «à l'effet de réduire l'impact économique et social de la crise sanitaire« , induite par l'épidémie de coronavirus (Covid-19). Les librairies ont été donc concernées par cette mesure, permettant ainsi aux clients de renouer avec ses espaces avec bien entendu le respect des exigences sanitaires et hygiéniques. La mythique librairie du Tiers monde, ayant pignon sur rue, a rouvert ses portes le lendemain de la décision ministérielle. Les horaires d'ouverture et de fermeture sont fixés de 9h00 à 15h00. Le gérant de cet espace livresque, Abderrahmane Ali Bey, s'est félicité de la reprise de l'activité mais note, toutefois, que le principe de sécurité sanitaire reste primordial. Preuve en est, tout client désirant rentrer à l'intérieur de la librairie se doit de porter, obligatoirement, un masque ou une bavette. A l'entrée de la librairie, un premier grand tapis javellisé est posé. Un second tapis est déroulé pour essuyer ses chaussures. Des bouteilles de gel hydro-alcoolique sont mises à la disposition des clients et du personnel. Notre interlocuteur confie que la direction a acheté une centaine de masques. «Les clients qui n'ont pas de masque, on leur en offre gratuitement. Pour le moment, il n'y a pas de gants. L'hôte de caisse a devant lui une bouteille de gel hydro-alcoolique et juste au moment où il encaisse, il enduit ses mains de ce liquide», détaille-t-il. Pas plus de deux personnes par étage A la question de savoir combien de clients sont autorisés à accéder à la librairie, Abderrahmane Ali Bey rappelle, à toutes fins utiles, que le lieu dispose de trois étages. L'APC a donné son aval pour autoriser l'accès à deux personnes par étage. «Pour l'instant, tout se passe bien. Les clients que nous accueillons sont ceux qui ont terminé leur lecture et reviennent pour se ravitailler en livres. Il faut dire que ce sont des habitués de notre espace» dit-il. Dalila Nedjam, directrice des éditions Dalimen et de la librairie Point Virgule de Chéraga, confie pour sa part que sa librairie a rouvert ses portes, timidement, le 28 avril dernier. Cette professionnelle du métier estime qu'il faut du temps pour que la clientèle se réapproprie les lieux, eu égard à une fermeture qui aura duré quatre semaines. «Ce n'est pas rien, argumente-elle, en revanche, nous sommes en ligne avec nos clients. Nous avons eu des demandes durant le confinement. Nous avons, aussi, assuré des livraisons. Je dirai que cela a bien marché. On mettait dans des sacs et on déposait à l'adresse indiquée. On a donné une heure précise au client pour réceptionner son paquet. Nous avons fait quelques livraisons. C'était pas mal et je pense que nous allons continuer même après le confinement. Nous allons mettre un fichier avec toute la disponibilité de tous nos livres. Ce n'était pas une mauvaise idée la livraison. Depuis 200 1 que Dalimen existe, c'est la première fois que j'ai des manuscrits d'aussi bonne qualité. Cette année, c'est du lourd. Espérons que nous pourrons publier et redynamiser le secteur car l'édition est au point mort». Et d'ajouter : «Les clients qui nous ont écrits et demandé de leur livrer des ouvrages sont des demandes et des titres spécifiques : des livres pour enfants, de coloriage et surtout les livres fantastiques. Il y a eu beaucoup de demande pour les jeunes.» Prise de conscience des clients Elle souligne que sa librairie Point Virgule avait fait l'objet, avant la fermeture, d'un grand nettoyage sur toute la superficie de la librairie ainsi qu'un rangement et un classement des ouvrages. Les règles sanitaires sont respectées à la lettre. Un dispositif a été mis en place. Tout d'abord pour accéder à la librairie, la poignée de la porte est recouverte d'un plastique jetable et changeable à chaque visite. La porte reste ouverte. Un tapis javellisé est posé au bas des escaliers pour s'essuyer les pieds, suivi d'un deuxième passage sur une moquette. Des gants et du gel désinfectant sont mis à la disposition des intéressés. Ces derniers, peuvent, par la suite, déambuler, librement dans les rayons de la librairie. Selon Dalila Nedjem, il y a une belle prise de conscience des habitués clients puisqu'ils arrivent avec des masques ou encore avec des bavettes. La propriétaire de la librairie Point Virgule rappelle toutefois que durant la période du ramadhan, la librairie ouvre ses portes de 10h00 à 14h00. Elle avoue que les rencontres littéraires et les ventes dédicaces sont dures à gérer en cette période du coronavirus. Elle qui, à son grand désarroi, avait préparé un intéressent programme nocturne pour ce ramadhan 2020. Mais promet, cependant, qu'après le mois sacré, des ventes dédicaces seront à l'honneur. Autre librairie d'ouverte, celle de l'Arbre à dires de Sidi Yahia à Alger, depuis le 27 avril dernier. Le gérant de ce lieu, à savoir, Mohamed Skander Boucharef, affirme que la distanciation sociale et les consignes sanitaires sont strictes. A propos du gel hydro-alcoolique il en a acheté en quantité suffisante pour les clients. Les distances de sécurité sont respectées ainsi que la matérialisation de la distance au niveau de la caisse. La librairie est assez grande pour accueillir une moyenne de cinq personnes. Si le personnel est ganté et masqué, la plupart des gens viennent eux aussi équipés. La livraison logistique Ce jeune gérant reconnaît que durant les trois premiers jours avant la fermeture de la librairie, beaucoup de monde s'est bousculé au portillon pour se ravitailler en ouvrages. «Nous avons fermé le 23 mars durant trois semaines et lorsque nous avons rouvert, ces mêmes personnes sont revenues pour prendre une certaine quantité d'ouvrages. Là, depuis la réouverture, il y a un rythme un peu moins que l'avant-Covid-19» juge-t-il. Il affirme, également, que durant le confinement, une application de livraison a pris contact avec la librairie l'Arbre à dires pour proposer son service de livraison à domicile. Un accord est vite conclu entre les deux parties, compte tenu des commandes importantes enregistrées auprès des clients. Si pour l'heure, les rencontres littéraires et les ventes dédicaces sont de l'ordre de l'impensable, il n'en demeure pas moins que notre source estime que la programmation pourra reprendre, éventuellement, vers la mi-juin, si les conditions sanitaires s'améliorent. Du côté de la librairie Chiheb International, à Bab El-Oued, point d'ouverture immédiate. On a préféré jouer la prudence et retarder les retrouvailles avec les lecteurs. La conjoncture actuelle n'est pas propice à l'ouverture Le directeur des éditions Chiheb et de la librairie Azzedine Guerfi pense que cela ne sert à rien d'ouvrir, aujourd'hui, sa librairie. Selon lui, la difficulté, si l'ouverture de la librairie se fait, il faudrait que tous les professionnels du livre travaillent pour approvisionner les librairies. «Nous, ce n'est pas n'importe quel commerce que nous exerçons. Une librairie sans animation n'est pas une librairie. Une librairie, c'est avant tout une vitrine. Il faut qu'elle soit bien achalandée. C'est toute la difficulté. Il faut que toute la chaîne du livre fonctionne pour que la librairie puisse fonctionner correctement.» Azzeddine Guerfi soutient que la conjoncture actuelle n'est pas propice à l'ouverture. «Car d'une part, le ramadhan a toujours été un mois difficile pour les libraires sachant que la priorité des gens est le côté alimentaire. Cela a toujours été un chiffre d'affaires Toujours, selon le directeur des éditions Chiheb, la période des examens a été hypothéquée : période propice pour les ventes d'annales pour les révisions. «Généralement, ce sont les plus grosses ventes en mars et avril. Le troisième point, on va aussi hypothéquer la remise des prix car elle n'aura pas lieu pour les lauréats de fin d'années et aussi pour l'acquisition de bibliothèques. Si les écoles n'ouvrent pas, cela ne sert à rien qu'on ouvre notre librairie.» Azzeddine Guerfi ne s'en cache pas pour dire que sa librairie va très mal depuis trois ans. « Le pays est en crise et cette période va achever le peu de libraires qui activent aujourd'hui. Nous avons raté les trois chiffres d'affaires les plus importants, c'est-à-dire, les livres de révision pour les examens, les remises des prix et les acquisitions des bibliothèques. Il faut reconnaître aussi que l'été est aussi une période creuse. Je crois que la reprise, pour nous, se fera peut-être en septembre», étaye t-il sans rappeler que le secteur est en mauvais état. « Il y a des secteurs sinistrés. Nous attendons des actions concrètes du gouvernement pour sauver le secteur du livre.» Concernant, les livraisons d'ouvrages à domicile, notre source indique qu'elles sont inexistantes, mais toutefois, la maison d'édition sous-traite avec des ventes en ligne avec entre autres Jumia et shop books. «Nous traitons avec eux mais ce n'est pas énorme parce que le problème de la vente en ligne reste problématique à cause des payements. Celui qui part faire la chaîne à la poste en période de confinement pour virer 1000 da pour acheter un livre, c'est un risque terrible. Le seul payement valable, c'est le mandat. Cette période n'est pas propice pour aller à la poste. Tant que le payement par carte ou autres ne se fait pas à partir de chez soi, je trouve qu'il n' y a pas des ventes importantes au niveau de l'achat en ligne» explique t-il. Sinon pour garder le contact avec ses lecteurs, la maison d'édition Chiheb International a misé sur une page facebook très animée : Manière de rappeler qu'il y a eu des actions, des notes de lecture… Bref, une activité au pluriel. En somme, depuis le confinement, l'ensemble des librairies implantées sur le territoire national ont perdu le plus grand chiffre d'affaires sur les mois de mars et avril. Les pertes des mois prochains s'annoncent, à coup sûr, des plus lourdes. C'est pour cela qu'il est urgent d'instaurer une véritable politique de la chaîne du livre, en instaurant entre autres des aides d'urgence pour les professionnels du livre.