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Marché institutionnel du livre : du pain bénit pour l'import-import
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Publié dans El Watan le 06 - 02 - 2013

Le métier de libraire disparaîtra, à moins d'un sauvetage par le livre institutionnel.
Le marché institutionnel du livre consomme annuellement des centaines de milliards de dinars. Il est quasiment impossible de quantifier avec précision le total des fonds consacrés à ce chapitre budgétaire, mais à titre d'exemple, l'université de Constantine dépense annuellement entre 50 et 100 millions de dinars pour l'acquisition d'ouvrages et de périodiques. Un chiffre à multiplier, toute proportion gardée, par le nombre d'universités, de cités universitaires, d'établissements scolaires, de bibliothèques communales et de centres culturels, de centres de formation et aussi des ministères et des directions sectorielles, soit des milliers d'établissements.
A qui profite cette manne financière ? Pas aux libraires en tout cas, rétorquent, à l'unanimité, les propriétaires de librairies que nous avons interrogés. Ni aux éditeurs nationaux. Pendant que ceux-là tentent de préserver avec le peu de forces qu'ils ont la lecture et le lectorat, deux phénomènes en voie rapide de disparition, des commerçants grossistes pompent les ressources institutionnelles engagées pour l'acquisition de fonds documentaires. Le marché institutionnel est fait, en effet, de manière à profiter aux seuls importateurs qui, dans la majorité des cas, ne sont motivés que par le gain et sont totalement étrangers aux métiers du livre.
Azeddine Guerfi, libraire, éditeur et secrétaire général de l'Organisation nationale des éditeurs du livre (ONEL) brosse un tableau triste : «Ce qu'on déplore en tant qu'organisation, c'est que les institutions achètent directement chez les importateurs concentrés la plupart à Alger et court-circuitent les libraires. Ces institutions sont en grande partie responsables de la disparition du métier de libraire en quelque sorte, elles ont pénalisé tout le circuit du livre et aussi le lecteur. Si le libraire n'arrive pas à rentabiliser son commerce, il va hélas se convertir et changer d'activité. Dans de grandes villes comme Constantine, Annaba ou encore Adrar, il ne reste tout au plus qu'une librairie pour d'un million d'habitants.»
Le réseau est effectivement déstructuré et le nombre de librairies qui exercent encore ce métier correctement fait honte. «A l'époque de la SNED, il y avait au moins une librairie par wilaya. Aujourd'hui, il n'y a pas 10 véritables librairies à Alger», regrette Hassan Bendif. «Impossible de compter une cinquantaine sur le territoire national», renchérit Smaïl Mohand, lui aussi libraire et membre de l'Association des libraires algériens (Aslia).
Monopole castrateur
Tous les deux invités au Forum d'El Moudjahid en janvier dernier avaient tenu à préciser que le libraire est celui qui vit exclusivement de la vente de livres, excluant les boutiques déclarées comme telles par le Centre national du registre du commerce (CNRC), mais qui s'offrent le loisir de vendre du tabac, des produits cosmétiques et même des couches-culottes.
Dans certains pays alertés par l'affaiblissement du livre classique face aux multimédias et soucieux de protéger les circuits contre les parasites, des expériences intéressantes sont tentées. L'exemple du Canada est éloquent. En France, Jack Lang avait imposé en 1981, en sa qualité de ministre de la Culture, un prix unique du livre pour empêcher la mort des librairies face à l'émergence des grandes surfaces. En Algérie, et en attendant la loi sur le livre, en préparation actuellement, les professionnels déplorent l'absence de mécanismes capables de préserver l'équilibre de la chaîne du livre et protéger les maillons faibles, mais indispensables.
«A mon avis, il faut que les institutions dans chaque wilaya s'approvisionnent au niveau de la librairie locale, et ce n'est que de cette manière qu'on peut sauver le libraire et créer de nouveaux librairies.» Selon lui, pour sauver le métier, une partie du manuel scolaire doit passer aussi par la librairie. «Le lieu naturel du livre scolaire c'est la librairie», souligne le directeur du CNL. Chez les gens du métier, c'est désormais la panacée, d'autant qu'il s'agit d'un produit d'appel qui attire le client pour acheter un autre livre.
Smaïl Mohand considère lui aussi que le livre scolaire doit passer par la librairie. Ceci dit, le libraire d'El Biar explique que des libraires ont tenté d'obtenir une bonification des tarifs auprès de l'Office national des publications scolaires (ONPS), à hauteur de 15%, en vain. Le partenaire a offert 8% de remise seulement ; pas assez pour dégager des bénéfices.
Anarchie, duperie et t'chipa
Que reste-t-il alors en dehors du livre littéraire, souvent cher et peu diversifié ? Le parascolaire ? Hélas, là aussi, les libraires qui se respectent refusent d'offrir leurs étals à ces «sous-produits», ils considèrent ce créneau comme un marché de dupes, d'autant plus que ces livres «renferment parfois même des erreurs scientifiques aberrantes», s'indigne Bendif.
Le terrain est devenu propice à des pratiques frauduleuses, au monopole et au règne de puissants intrus, à tous les niveaux. «Une catastrophe», déclare un importateur spécialisé dans la fourniture de Larousse. La tchipa ? Oui, répondent des grossistes visiblement agacés par la part de marché grossissante que leur retire un Egyptien qui, disent-ils, recourt systématiquement aux pots-de-vin pour décrocher des marchés institutionnels. (Voir encadré)
Le livre institutionnel est vital aussi pour le métier de l'édition, encore fragile en Algérie. «Dans le monde entier, les premiers acheteurs sont les institutions. Ce qu'on souhaite, c'est qu'il y ait des mécanismes pour qu'une partie de la production nationale aille dans les institutions pour que les éditeurs amortissent une partie des coûts de leurs investissements. C'est la seule manière d'encourager la production algérienne», estime encore Azeddine Guerfi, patron des éditions Chihab. L'anarchie caractérise le circuit du livre depuis la liquidation des entreprises publiques du secteur et l'ouverture du marché au privé, sans même produire les instruments de régulation qui vont avec.Le département de Mme Toumi saura-t-il inverser la situation avec la nouvelle loi et permettre un retour triomphal du livre ? On le saura dans quelques mois.


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