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«Agissons dans le savoir explicite de la science»
Contribution
Publié dans El Watan le 13 - 05 - 2020

L'une des rares bonnes nouvelles de cette pandémie est que, par nature, ce coronavirus a besoin d'un corps pour exister, que 20 secondes d'un lavage minutieux des mains suffisent à l'éliminer et une des mauvaises est qu'il provoque des séquelles sanitaires et psychologiques difficiles à mesurer au présent et encore plus difficile à prédire leurs évolutions.

Nous observons que beaucoup de choses sur cette pandémie ne font pas consensus et restent sans réponses claires. Exemples : pourquoi certaines personnes tombent-elles plus gravement malades que d'autres ? A quel point le virus est-il transmissible ? Combien de personnes ont effectivement été infectées ? Combien de temps les restrictions sociales doivent-elles encore durer ? Les modèles d'analyses de la pandémie sont-ils trop optimistes ou trop pessimistes ? Cependant et non sans difficultés, les données épidémiologiques livrent quelques réponses qui nous aident à mieux comprendre le déroulement de cette pandémie où elle pourrait se produire, et ce, à quoi nous devrions réfléchir pour la contenir.
Une des statistiques importantes sur le coronavirus est le calcul du CFR (Case Fatality Ratio) qui estime le taux de létalité. Pourquoi ce CFR est-il si élevé en Algérie ? L'explication vient en fait de la variable au dénominateur de l'équation de son calcul, qui dépend essentiellement du nombre de cas diagnostiqués au jour le jour.
Actuellement, ce diagnostic se fait en utilisant la technique de RT-qPCR à partir d'un prélèvement nasopharyngé par la recherche de l'ARN (Acide ribonucléique) viral. Plus le nombre de cas diagnostiqués est élevé, et plus la valeur du CFR calculé est faible. Malheureusement, il faut être réaliste et reconnaître que nous manquons de temps et de moyens pour atteindre une telle capacité de tests de dépistage et influencer à court terme la hausse du CFR.
Afin de combler le faible nombre de tests pratiqués, nous avons mis au point au Centre de recherche en biotechnologie (CRBT) une stratégie de dépistage augmenté à défaut d'être massif. Le principe est simple : au lieu que chaque test disponible est utilisé pour un seul patient, il servira au fait à tester un groupe d'individus.
Dans le cas où le test est négatif, l'ensemble du groupe est considéré indemne et si le signal est positif, ce groupe sera alors confiné ou re-tester en créant des nouveaux sous-groupes. Les scientifiques utilisent depuis longtemps ces stratégies de tests groupés pour gérer des problématiques de dépistage massif ou tests d'échantillons groupés «Pooled Samples Testing». Cette stratégie est pertinente pour une pathologie à faible prévalence et pour des groupes d'individus asymptomatiques avec une forte relation d'infection : comme les corps constitués, personnel hospitalier, cluster familial ou professionnel d'un cas index…
Pour tester cette stratégie, nous avons pris 12 individus tous Covid-19 positifs qui ont été groupés avec d'autres individus Covid-19 négatifs. L'ensemble des patients utilisés dans cette expérience ont été au préalable analysés individuellement par la RT-qPCR et leur statut Covid-19 positif ou négatif confirmé. Chacun des 12 ARN positif est alors dilué au ¼, 1/8, 1/16 et 1/32 avec des ARNs Covid-19 négatifs pour former 48 pools distincts qui seront analysés par RT-qPCR.
Ce test nous a permis d'estimer la dilution à laquelle nous obtenons le changement de statut d'un individu initialement positif vers négatif, donc non détecté par la RT-qPCR. Pour rappel, la RT-qPCR est une technique d'amplification, chaque molécule virale est démultipliée de manière exponentielle et les résultats de l'analyse sont obtenus sous forme d'une courbe.
De l'allure de cette courbe, nous extrayons la valeur des Ct (Cycle threshold) qui est une valeur référence et correspond au nombre minimal de cycles pour lequel le signal amplifié est détectable donc positif (Figure 01). Nous avons comparé les Ct obtenus en tests individuels de chacun des 12 patients avec les nouvelles valeurs après pooling et les résultats montrent une concordance à 92%.
Un second test, en aveugle (sans connaître au préalable le statut Covid-19 positif ou négatif des patients) a été réalisé avec 4 nouveaux ARN. Chacun d'eux a été ajouté à 15 autres ARN Covid-19 négatifs (dilution au 1/16) et les valeurs des Ct obtenus montrent un taux de concordance avant et après dilution égal à 100%.
Enfin, d'autres tests sur des individus asymptomatiques ont été réalisés dans des conditions diverses d'échantillonnage : statuts Covid-19 inconnus, par genre, par âge et par groupe à forte relation d'infection et tous les résultats observés confirment ceux obtenus précédemment.
Une évaluation du coût financier en fonction de la taille d'un pool a été réalisée avec un prix estimatif unitaire de 15 000 DA et les résultats obtenus montrent l'abaissement du prix de revient pour 1000 individus en pool de 10 à 90% (Figure 02).
Les opportunités offertes par cette stratégie, permettent, si elle est généralisée sur l'ensemble des sites de diagnostic de réaliser des réductions réelles du coût d'un test en RT-qPCR, mais pas seulement, puisque le gain de temps pour l'analyse de grands nombres d'individus est sans commune mesure avec ce qui se fait actuellement.
Elargir le test de diagnostic par RT-qPCR à défaut de le rendre massif va nous permettre de réaliser une image instantanée de la situation nationale et enfin mesurer nos capacités à y faire face en anticipant l'évolution de la pandémie et ne pas la subir.
Néanmoins pour réussir une telle stratégie, il faut :
1. Une étroite collaboration entre le personnel soignant et celui en charge des tests diagnostic pour pouvoir identifier, isoler et manager les cas asymptomatiques, cause majeure de la transmission du virus. En effets, une anamnèse imprécise est une cause sérieuse de la prépondérance de cas positifs dans un pool, ce qui abaisse les performances de cette approche
2. Orienter cette stratégie vers une approche prophylactique afin de déterminer la prévalence de cette pandémie en Algérie.
Pour toutes ces raisons, nous avons besoin de beaucoup plus de collaboration et de communication entre les équipes hospitalières et les centres de diagnostic, que lors des toutes les précédentes crises sanitaires.

Par Dr. Mustapha Bensaâda
Maître de conférences classe B, université de Khenchela Abbes Laghrour
Enseignant en génétique, cytogénétique, génétique de développement et génétique humaine.


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