Tu es parti. Tu es parti finalement a Hamid. Au printemps. Tu as choisi cette saison, le moment où ta Kabylie bien-aimée se pare de toutes les couleurs, où le retour des oiseaux, le ruissellement des eaux du Djurdjura et les parterres de fleurs semblent cette fois offrir un dernier hommage à l'enfant de l'exil. Tu es parti. Au royaume de Massinissa, de Jugurtha, de Koceila, de Dihya et des seigneurs d'antan. Tu nous as quittés pour les rejoindre. En silence. Wa hamid, ton combat a été long, douloureux. Tu as chanté par la force de tes entrailles, dans des mots que toi seul as trouvés dans le répertoire kabyle ancestral. Tu as su fouiller dans les décombres de notre Histoire et ressusciter les racines tombées depuis longtemps dans l'oubli. Tu as célébré mieux que quiconque ce qu'il y a de vrai, de généreux et d'immortel pour perpétuer la mémoire. Et tes chansons imagées mettent en scène, dans chacune d'elles, la trame de notre culture. Dans la clameur des montagnes assoiffées de liberté confisquée, d'identité bafouée, ta voix douce sort de tous les murs, comme un hymne dans ces villages fièrement suspendus aux sommets de cette terre offensée. Elle a réveillé tant et tant de consciences égarées. Tu as choisi très tôt le chemin de la poésie, couronnée par une musique que tu es allé chercher dans les profondeurs d'un patrimoine tout aussi perdu. Tu es parti dans la discrétion, tout comme ta vie a été empreinte de modestie, de simplicité et de cœur. Que n'as-tu attendu un peu Hamid, pour porter la bonne nouvelle au royaume des cieux ? Le sort en a décidé autrement En ce dimanche de mai, le peuple kabyle te pleure, Idir. Celui des montagnes, des villes, de l'exil et au-delà. Décidément, la Nature s'acharne sur ce peuple déjà endeuillé par ton disciple Lounès, dont le fracas du verbe faisait trembler les âmes des sinistres défenseurs de l'arabo-islamisme imposteur. Du village d'Aït Lahcène à Alger, des Pères Blancs d'Aït Larbaâ au lycée Bugeaud, ta vie a été forgée par les tristes épisodes d'abus et d'injustices, et un jour tu as enfanté les chants de la douleur : Ay azwaw s umendilawragh, a vava inuva, yugurten, ont voyagé au-delà des mers avant toi, pour répandre le nom de la Kabylie soigneusement effacé par la cruauté des oppresseurs. Tu as été le précurseur de l'espoir pour un peuple interdit d'être. D'innombrables pays ont entendu, grâce à toi, ta poésie et ta musique et les mots magiques de Kabyles et de Kabylie. Ton œuvre les a déterrés de l'oubli. Tu as été une étoile, Idir. Sur la route de la Kabylie vers son destin, cette étoile brillera jusqu'à la fin des temps. Repose en paix, Idir. Va rejoindre désormais les Seigneurs dont tu es, à la Tribune de l'histoire berbère. Par Mohamed d'Aït Saïd