Un de plus. Après la JSK, le MCO, l'USM Annaba, hier le MCA a donné naissance à sa Société par actions le Doyen Mouloudia Club d'Alger. Et la semaine prochaine, on connaîtra les clubs sélectionnés pour devenir professionnels. Un passage obligé pour 2011, date à laquelle aucun club algérien ne pourra s'engager dans la compétition internationale ou régionale sans licence de club professionnel. Mais le projet ne fait pas l'unanimité… Voilà les questions qui font débat. Où les clubs vont-ils trouver l'argent pour tourner ? « Le fond du problème de la professionnalisation, c'est l'argent. Pour l'instant, l'Etat donne des subventions mais il ne pourra pas le faire indéfiniment. Alors après, où va-t-on trouver l'argent ? », s'interroge un président de club. « A l'exception des grands clubs qui pourront vivre de leur image, pourquoi les entreprises privées investiraient de l'argent si elles ne réalisent pas de bénéfices ? », analyse un journaliste sportif. « Prenons la principale source de revenus d'un club dans les autres pays : les droits de retransmission télé. Aujourd'hui, ils ne représentent quasiment rien, car l'ENTV a le monopole sur le championnat national. » Autre source d'argent : les supporters, s'ils sont très nombreux, ne consomment pas « football ». C'est-à-dire abonnements, maillots et autres produits dérivés. « Sur un marché inondé par la contrefaçon, quel équipementier se risquerait de toute façon à les fabriquer ? », poursuit le journaliste. Enfin, les clubs ont besoin de s'endetter. « En Espagne, par exemple, c'est permis. Mais en Algérie, où le système bancaire est défaillant et miné par la bureaucratie, quel établissement va accorder un prêt à un club pour construire un stade ? » Pour un consultant, qui soutient le projet, il n'y a pas d'autre issue. « Aujourd'hui, 99,99% des clubs vivent des subventions de l'Etat, ça ne peut plus durer, on ne peut plus continuer à gaspiller l'argent de la sorte. Le serpent doit changer de peau. Dans un an à un an et demi, les dirigeants à vie, comme on en connaît aujourd'hui, n'existeront plus. Bien sûr, le changement gêne mais il ne gêne que ceux qui se servent dans la caisse. » La solution ? « Il faudrait mettre en place, au niveau de la FAF, une véritable politique incitative pour que les clubs se restructurent, propose Kheireddine Zetchi, président du Paradou AC. Au même titre que les aides à la création d'entreprise, on doit aussi aider les clubs sportifs, en particulier pour les clubs formateurs, avec des réductions fiscales et un arsenal juridique qui les protège. Parce qu'aujourd'hui, nous ne sommes pas protégés ! Nous n'avons pas d'arsenal juridique pour signer des contrats avec les différentes tranches d'âge avant 18 ans. Quand on investit sur un gamin, on n'a aucune protection. Bref, qu'on n'aide pas seulement les clubs qui achètent des joueurs. Avec une politique adéquate, l'Algérie devrait, d'ici dix à quinze ans, être le premier exportateur de footballeurs en Afrique. » L'état va-t-il lâcher le football, enjeu politique, au secteur privé ? « Professionnaliser le football signifie rendre les clubs autonomes de leur gestion, et donc, pour l'Etat, leur donner davantage de liberté. Mais comment cela est-il possible ? s'interroge Youcef Fates, politologue et auteur de Sport et politique en Algérie, Les privés veulent entrer dans la course aux profits mais l'Etat, lui, n'entend pas se délester de son pouvoir public. Et le football représente un tel enjeu que l'Etat n'est pas près de le laisser aux mains de privés. Comment va-t-il gérer le fait que le président de la Fédération devienne plus puissant –on le voit déjà- que le ministre de la Jeunesse et des Sports ? Je ne crois pas que la professionnalisation obéisse à un objectif de bonne gouvernance… » Une réalité que nuance un journaliste sportif : « Il est clair que l'Etat ne va pas lâcher le foot comme ça. N'oublions pas qu'avec le parcours des Verts, le pouvoir a eu une année plutôt tranquille. Et puis ne nous leurrons pas : s'il accorde des prêts à taux bonifiés, ce n'est pas pour les beaux yeux des clubs. S'il voulait, il pourrait mettre une bonne partie des dirigeants en prison. Mais je crois que progressivement, l'Etat va lâcher du lest. Sinon il ne s'impliquerait pas dans la réalisation d'infrastructures pour les clubs. » Pour Youcef Fates, organiser des états généraux du football en invitant les partenaires –présidents de club, supporters, techniciens…- aurait été une façon de rompre avec « la gouvernabilité autoritaire » et de laisser la place à l'humain, délaissé. « Le foot a besoin d'une enquête sérieuse. Aujourd'hui, on ne s'interroge pas sur la mentalité des jeunes dont l'algérianité s'exprime à travers le ‘‘One, two, three, viva l'Algérie'' et les couleurs de l'équipe nationale. Pourtant, il serait utile d'analyser cet imaginaire… » Comment transformer les stades en lieux sûrs ? Flashback. En mars dernier, deux experts britanniques sont venus en Algérie pour présenter leur modèle de sécurité. Après les drames de Bradford, Midllesbrough et Heysel, ayant causé des centaines de morts, le gouvernement britannique avait adopté 76 recommandations imposant aux 96 clubs professionnels anglais de rénover leurs stades, d'offrir les meilleures conditions d'accueil aux supporters, de prendre en charge leur confort dans l'enceinte, grâce à l'instauration de places numérotées, de restaurants, de loges, parfois d'hôtels au sein du stade, d'accès et sorties sécurisés, de parkings aménagés, de caméras de surveillance dans tous les stades, d'un Monsieur sécurité au sein de chaque club. Bref, impossible pour un supporter de passer aux travers des mailles. « Mais installer un tel système de sécurité en Algérie va coûter cher et va prendre du temps. Car aujourd'hui, les questions de sécurité relèvent des prérogatives de l'Etat, souligne un journaliste sportif. Et puis les stades ne sont pas équipés pour être aménagés avec une grande salle de contrôle, des caméras partout… Quand on sait que la plupart des éclairages des stades ne fonctionnent pas ! » La technologie seule n'est en tout cas pas la solution à la violence dans les stades. « La question de la sécurité ne se pose pas uniquement en termes techniques, car ce n'est pas en multipliant les caméras que l'on régulera la violence dans les stades, mais en inculquant de nouveaux comportements, soulignent plusieurs journalistes sportifs. Ni même en augmentant la présence policière. Aujourd'hui, s'il y a un problème dans les gradins, un policier ne peut pas y accéder, il est obligé d'attendre la mi-temps pour arrêter les fautifs… » Plus tard, l'amélioration de la sécurité passera aussi par la suppression des grillages et de tous les obstacles qui séparent les tribunes du terrain. « Aujourd'hui, en cas de problème, les supporters ne peuvent pas s'échapper vers le terrain, ils sont pris au piège dans les tribunes. Ce n'est pas une solution, ajoute le journaliste. Mais il faut pouvoir empêcher les gens de débarquer sur le terrain. Comment ? En légiférant et en avertissant les gens : celui qui pose un pied sur le terrain est passible de cinq ans de prison, et de dix à quinze ans d'interdiction de stade ! » A-t-on la patience d'attendre la formation de jeunes talents ? « Obliger les clubs à ouvrir un centre de formation n'est pas un gage de réussite. On demande à tous les clubs d'avoir le leur alors qu'une quinzaine dans le pays suffiraient Oui, on peut créer des structures, mais elles n'auront d'écoles que le nom s'il n'y a pas derrière une véritable volonté politique, avance Kheireddine Zetchi, président du Paradou AC dont l'école –la seule en Algérie- accueille 27 jeunes de 11 à 16 ans. L'Etat montre qu'il a la volonté de relancer le foot en donnant aux clubs des conditions favorables pour se structurer. Mais est-ce que les clubs sont en train de répondre par des politiques responsables ? Non. La preuve : on a aujourd'hui une pénurie de sportifs de haut niveau. Regardez l'équipe nationale : on se réjouit d'avoir des binationaux, mais ils viennent tous de l'étranger. Pour mener une véritable politique de formation, il faut de la patience, admettre qu'un gamin qui entre dans une école à 10 ans n'en ressortira pro qu'à 20 ou 21 ans. Parce qu'un cycle de formation dure dix ans. » L'émergence de nouveaux talents dépendra aussi de la qualité des formateurs recrutés. Car les jeunes qui entrent dans une telle école ne doivent pas seulement devenir d'excellents footballeurs mais aussi des citoyens éduqués. « Il faut trouver de bons formateurs, qui soient aussi des pédagogues, car on n'entraîne pas des enfants comme une équipe première, poursuit Kheireddine Zetchi. Le tout n'est pas de mettre un enfant dans un centre, lui donner à manger, le faire dormir et lui apprendre le foot. Ces jeunes doivent avoir un bagage, des connaissances pour se réinsérer dans la société une fois leur carrière finie ou avoir le choix de partir dans une autre direction. »