Trois mois de confinement et nombre de paradoxes. De la dizaine de milliers de contaminations, quelques centaines de décès, le tribut payé au virus peut paraître lourd mais dérisoire par rapport aux ravages causés annuellement par les maladies chroniques (cancers et affections cardio-vasculaires), le tabagisme et les accidents de la route. S'il faut réformer en profondeur le système de santé, c'est d'abord dans cette direction qu'il faut travailler, sans négliger bien sûr le nouveau danger que représente pour la société algérienne – et le monde entier – la résurgence des graves maladies infectieuses. Et s'il faut se pencher sur la sécurité nationale, volet économique et social, il y a, d'ores et déjà, des leçons à tirer. Depuis quelques jours, les commerçants comptent leurs pertes dues au confinement obligatoire mais, globalement, ils ne sont pas à plaindre. Rapidement, ils finiront par retomber sur leurs pieds, beaucoup ne se gêneront pas, comme de tradition, à répercuter les pertes sur les consommateurs. Ce sont ceux-là, c'est-à-dire les ménages, qui sont à plaindre : outre les dépenses en tous genres, ils auront à subir les nouvelles taxes publiques ; les salariés, eux, verront leur paye grignotée, les employeurs comptant récupérer quelques sous, y compris dans la Fonction publique. Précisément, c'est dans cette maison-là qu'a lieu la bérézina : des millions de fonctionnaires payés sans contrepartie avec un argent problématique. Déjà exsangues avant l'apparition de l'épidémie de coronavirus, les caisses de l'Etat se sont tout simplement asséchées, le pétrole et le gaz ne rapportant plus que des miettes, et encore quand ils trouvent preneurs. Une brève accalmie sur le marché mondial après une entente entre Russes et Saoudiens, à la faveur de calculs géostratégiques, et tout retombera comme avant, c'est-à-dire dans les rets de l'impitoyable loi du marché et dans la guerre des prix. Parce qu'elle sera nue dès que le bas de laine sera vidé, plus rapidement qu'on ne le pense, l'Algérie sera confrontée à de redoutables défis. Le premier, c'est de se doter de ressources pérennes et solides d'entrées en devises, ne pouvant plus compter sur les recettes des hydrocarbures. Vite, car la population n'attend pas. Si elle tolère une dose de sacrifices, elle n'acceptera pas une chute dans la paupérisation, d'autant qu'elle est persuadée, du fait d'un certain discours populiste, que le pays est en mesure de prendre en charge tous ses besoins. Ce discours, qui a fait la fortune du système politique antérieur, a créé une redoutable habitude, les transferts massifs de l'Etat vers la société. Le jeu était possible du fait des prix élevés d'exportation des hydrocarbures, mais il ne l'est plus. Que faire alors ? Deux voies possibles, une difficile mais productive à terme, une autre assez facile mais à hauts risques. La première est que l'autorité politique écoute les experts les plus judicieux et les plus crédibles dans leurs propositions pour un redressement structurel de l'économie. Cela demande du temps et une acceptation par la population d'une période d'attente difficile. Les Algériens joueront le jeu dès lors qu'ils sont convaincus que les dirigeants s'engagent réellement dans une démarche politico-économique révolutionnaire. La seconde voie est que l'Etat impose ses propres réformes, en vase clos et par la coercition. On devine que les décisions qui seront prises dans ce cas de figure seront lourdes de conséquences sur la stabilité du corps social.