La Turquie et le Gouvernement d'union nationale reconnu par la communauté internationale (GNA) discutent de l'utilisation par les forces turques de deux importantes bases militaires en Libye. Selon l'agence Reuters qui a cité lundi une source turque à Ankara, il s'agit de la base navale de Misrata et de la base aérienne d'Al Watiya, récemment reconquise par les forces du GNA, soutenues par la Turquie. Aucune décision définitive n'a cependant été prise. D'autres sources évoquent la possibilité de voir également la Russie installer une ou deux autres bases dans l'Est libyen, où les combats se poursuivent entre les forces alliées au GNA et les unités de l'autoproclamée Armée nationale libyenne (ANL) dirigée par le maréchal Khalifa Haftar. Sur le terrain, le rapport de force s'est inversé depuis plusieurs en faveur du camp du GNA aux dépens de l'armée de Haftar, soutenue par l'Egypte, la Russie et les Emirats arabes unis. L'intervention directe de la Turquie dans le conflit libyen a scellé l'échec de l'offensive de l'ANL lancée en avril 2019 sur Tripoli pour renverser le GNA. Les forces de l'ANL ont été chassées de toute la Tripolitaine. Les forces loyales au GNA poursuivent désormais leur contre-offensive et assiègent la ville de Syrte. La localité constitue un verrou stratégique en direction de l'Est et des installations pétrolières clés du pays, toujours aux mains du camp de Khalifa Haftar. Dans les coulisses, la Turquie et la Russie, les principaux parrains des deux belligérants, ont néanmoins entamé des discussions sur l'avenir de la Libye. Ces discussions incluent la possibilité d'instaurer un cessez-le-feu. Une première rencontre devait officiellement réunir, dimanche à Ankara, des responsables turcs et russes. La partie russe devait être représentée par le ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, et son homologue de la Défense, Sergueï Choïgou. Bien que cette réunion ait été reportée, les deux parties ont convenu de poursuivre leurs «discussions techniques». Jeu de coulisses Le chef de la diplomatie turque, Mevlut Cavusoglu, a assuré qu'il n'y avait pas de divergences entre la Turquie et la Russie sur «les principes fondamentaux» en ce qui concerne la Libye, mais qu'il leur fallait plus de temps pour œuvrer à un cessez-le-feu pérenne, après l'échec de nombreuses précédentes trêves. Le 11 juin, la Turquie s'était déclarée favorable à un cessez-le-feu parrainé par les Nations unies en Libye, rejetant un appel à la trêve de l'Egypte, alliée de Haftar. Selon le journal progouvernemental turc Yeni Safak, «les modalités de cessez-le-feu proposées par Moscou à Ankara dans la perceptive de la visite des deux ministres russes se rapprochaient de celles formulées par l'Egypte et d'ores et déjà refusées par la Turquie». Marché gagnant-gagnant Moscou et Ankara, indiquent des experts, sont actuellement en train de se positionner pour la deuxième phase du conflit, qui s'est ouverte après l'échec de la conquête de Tripoli. Les deux parties misent d'abord sur le compromis. Aucun des deux pays n'a intérêt en effet à ce que le conflit se prolonge. Dans l'état actuel des choses, ils sont tous deux gagnants dans la mesure où chacun d'eux exerce une influence sur une importante portion du territoire libyen. Comme ils ont à le faire en Syrie, les Turcs et les Russes peuvent également trouver un terrain d'entente à la fois politique et militaire en Libye. La question maintenant est de savoir si la trêve interviendra avant ou après la prise par les forces du GNA de la ville de Syrte. Bien évidemment, une entente entre Recep Tayyip Erdogan et Vladmir Poutine n'est pas suffisante pour faire taire les armes durablement. Les deux responsables devront aussi tenir compte des desiderata de leurs protégés et ainsi que celles des pays impliqués dans le conflit. Des interrogations entourent également l'avenir du maréchal Khalifa Haftar que les responsables du GNA refusent d'avoir comme interlocuteur. Selon de nombreux observateurs, il pourrait être le grand perdant de l'arrangement que sont en train de concocter les Turcs et les Russes. Pour eux, Khalifa Haftar fait plus partie du problème que de la solution.