Une Agence nationale de sécurité sanitaire vient d'être installée par le président de la République, avec à sa tête un ancien député FLN, M. Senhadji, un immunologue à la retraite après une carrière à l'étranger qui se voudrait exemplaire. Contrairement à sa dénomination, cette commission, si j'ai bien compris les déclarations de son président à la presse et notamment à l'émission «L'invité politique» de la chaîne 3 du 14 juin 2020, aurait pour objectif principal d'apporter des réformes urgentes au système de santé algérien. Questionné par l'animatrice de l'émission (par ailleurs très complaisante avec l'invité ) sur la dénomination de l'agence qui ne semblait pas correspondre à ce qu'il venait de lui définir comme mission, à savoir la réforme du système sanitaire, cet ancien député répondit que l'intitulé ‘‘sécurité sanitaire'' n'était qu' un «prétexte (sic)» ; comprenne qui pourra !! Peut-on imaginer que la présidence de la République de notre pays puisse être aussi légère dans le choix de la dénomination d'une agence aussi importante pour le pays ; je n'en reviens pas. Il aurait, toujours d'après ses déclarations, reçu carte blanche du président de la République et que cette agence aurait un pouvoir décisionnel et ses décisions seraient exécutoires !! Rien que cela !! Mais le meilleur est pour la suite. Dans sa vision, ou plutôt non-vision de cette réforme du système de santé algérien, il pense dans ses déclarations préliminaires à cette chaîne de radio nationale que «la réflexion ne devrait pas s'encombrer du carcan financier et des gestionnaires bureaucrates». Une réforme sans le ministère de la Santé en quelque sorte avec uniquement des techniciens bardés de diplômes et qui ont le feu vert du Président. Il annonce «qu'avant, c'était le ministère de la Santé qui faisait des réformes et ce n'était pas normal (sic)». Et il continue, je le cite toujours : «Si vous êtes gestionnaire et expert en même temps, vous allez regarder au financement et vous allez vous autocensurer». Et sa sentence tombe : «Ce n'est pas comme cela qu'on mène des reformes». Apparemment, on aurait trouvé l'homme providentiel, génie méconnu qui pourrait réformer notre système de santé sans s'encombrer des contraintes et capacités financières du pays. Et pourtant, l'histoire récente de notre pays aurait dû nous apprendre à nous méfier des hommes providentiels. Evidemment, il ne nous dit pas par quel miracle il pense y arriver. Et ce n'est sûrement pas parce qu'il avance pêle-mêle pour faire sérieux qu'il allait solliciter Zerhoun Elyes, expert en IRM pour lui (que je respecte énormément), l'intelligence artificielle, les mathématiciens, les statisticiens, ou qu'il utilise à chaque phrase des mots ronflants comme changement de paradigmes qu'il arrivera à convaincre qui que ce soit, à part peut-être ceux qui l'ont nommé à ce poste. Il se permet même de dire, cerise sur le gâteau, qui en dit long sur le profil du personnage, je le cite toujours : «Donald Trump a très bien fait de quitter unilatéralement l'OMS». Donne-t-il là un point de vue personnel ou celui de l'agence qu'il dirige, et donc cela devient un avis politique officiel du pays... En a-t-il conscience ? J'en doute fort. Evidemment que le président de la République a ce pouvoir régalien de nommer qui il veut au poste qu'il veut, mais il est aussi de notre devoir de citoyen d'attirer l'attention sur ce qui nous semble pouvoir porter préjudice à notre pays. Evidemment que notre système de santé est malade et qu'il faudra initier des réformes profondes, l'initiative en elle-même est louable, mais ne dit-on pas que l'enfer est pavé de bonnes intentions ? En effet, la vision et la méthodologie adoptée qu'on nous propose sont, à mon sens, absolument caricaturales d'une réflexion avec des ornières qui a mené aux échecs itératifs qu'on connaît et ce n'est pas la déclaration dithyrambique du président de la République qui pense qu'on a le meilleur système de santé d'Afrique qui me convaincra du contraire. Depuis plus d'une vingtaine d'années, chaque ministre a eu ses assises de la santé, sa réforme, ou sa loi sanitaire. Des jours de réunions de travail sous les projecteurs des médias, des sommes astronomiques dépensées, des dizaines de rapports rédigés, pour quels résultats ? Oui, notre système de santé est malade et il faut une réflexion profonde et urgente pour essayer de trouver les voies et moyens à même de garantir à nos concitoyens l'équité et la qualité dans leur prise en charge médicale. Mais avant de décider encore une fois de faire une énième réforme du système de santé, il aurait été, à notre sens, plus crédible et plus judicieux de répondre à quelques questions, notamment : pourquoi tant d'échecs jusqu'à maintenant et comment faire en sorte que cette fois-ci ça soit la «bonne» ? A-t-on appris les leçons du passé ? A entendre les déclarations du président de cette agence censé mener ces réformes, j'en doute fort. Nous pensons que la cause essentielle de nos échecs répétés est due au fait que les problèmes de fond n'ont pas été abordés. Le choix d'un système de santé est un problème éminemment politique et dépend – contrairement à ce qu'on veut nous faire croire aujourd'hui – entièrement de l'économie et des ressources dont dispose un pays. Il ne peut être autrement pensé que faisant partie d'un projet de société global. Il ne peut en aucun cas être le résultat seul d'une cogitation de techniciens aussi doués soient-ils. La question fondamentale à notre sens est la suivante : quel système de santé veut-on, ou, surtout, peut-on proposer à nos concitoyens ? Et la nuance n'est pas uniquement sémantique, comme nous allons le voir par la suite. En effet, ce choix est intimement lié aux capacités financières du pays. La réponse à cette interrogation exige de nous lucidité et courage politique en nous débarrassant des oripeaux du populisme et de la démagogie, car les chiffres sont têtus. Ceci étant dit, permettez-moi de rappeler ce qui, à mon sens, constitue les principaux problèmes de fond dont souffre la santé de mon pays. RESSOURCES ET FINANCEMENT DE LA SANTE L'Algérie consacre, bon an mal an, entre 5 et 7% de son Produit intérieur brut (PIB) pour ses dépenses de santé, avec une Dépense nationale de santé (DNS) par habitant qui fluctue autour de 300 et 400 dollars. A titre comparatif et selon les chiffres de la Banque mondiale de 2018, Cuba consacre 990 dollars par habitant, la France 4500 dollars, le Canada, 7000 dollars et les Etats-Unis 9000 dollars, pour ne citer que ces pays-là. Les nations industrialisées à revenus élevés consacrent une moyenne de 11,2% de leur PIB pour les dépenses de santé, selon les chiffres de l'OCDE de 2011. Quand on sait que le PIB de ces pays est cinq à dix fois plus élevé en moyenne que le nôtre, on comprend que nous ne pouvons et, surtout, nous ne devons pas nous comparer ou essayer de copier un système de santé très loin des réalités et capacités financières de notre pays. Penser un système de santé en faisant fi de ces données et contraintes financières serait faire preuve d'un irréalisme infantile. Avec ce qui est alloué à nos dépenses de santé, peut-on continuer à faire croire aux Algériens que le système de santé actuel peut prendre en charge tout le monde et tout le temps, toutes les pathologies, la prévention, les soins de base, etc. Si on ajoute à cela une transition épidémiologique qui s'annonce très coûteuse pour le pays, est-ce possible ? La réponse est assurément non, ce grand écart est impossible à faire !! Car même en économie de santé, les miracles n'existent pas. Les ressources dont nous disposons, il faut le souligner, et qui dépendent totalement de la rente pétrolière, ne nous le permettront jamais. Prétendre le contraire serait de la pure démagogie et de l'aveuglement politique. La couverture médicale universelle gratuite n'est pas totalement acquise dans aucun pays au monde. Les pays les plus industrialisés et les plus riches, qui consacrent dix à vingt fois plus pour leurs dépenses de santé, ont été obligés de faire des choix, douloureux certes, mais indispensables à l'équilibre global de leur système de santé. Il en est de même chez nous, des choix douloureux doivent impérativement être faits. Ce débat doit avoir lieu chez nous, on ne peut plus l'occulter, il y va de la survie de tout le système de santé. Il doit être éclairé, certes, par des professionnels de santé, mais la décision finale doit être assumée par la société et ses représentants élus et légitimes, qui pour le moment, faut-il le rappeler, n'existent pas. Evidemment, avec une meilleure gestion et quelques aménagements techniques, on pourra sûrement améliorer et optimiser ce que nous avons. D'autant plus que les experts pensent que 20 à 40% des ressources allouées à la santé sont gaspillées de par le monde. La Tunisie, par exemple, avec moins de moyens, fait beaucoup mieux que nous, mais c'est vrai aussi que son système de santé reste très inéquitable. Oui, il faudra certainement des actions urgentes et fortes pour colmater quelques brèches trop visibles, mais ceci ne fera jamais de notre système de santé tant décrié par nos concitoyens un système performant, humain, empreint d'équité et de justice. On peut sûrement augmenter notre DNS en relevant le taux du pourcentage du PIB consacré à celle-ci. D'ailleurs, un ancien ministre de la Santé, en l'occurrence M. Tou pour ne pas le nommer, avait promis de relever ce taux pour arriver à 15%, mais cela, comme d'habitude avec nos ministres, n'a pas dépassé le stade des promesses. Mais même si on arrive à ce taux maximum au-delà duquel les grands équilibres financiers du pays risquent d'être menacés, le changement ne risque pas d'être important. Il est donc urgent que cette donnée financière et les contraintes inévitables qui en découlent soient prises en compte dans toute réflexion sur la politique de santé dans notre pays, surtout que les perspectives futures quant aux capacités financières de notre pays ne sont guère rassurantes. En effet, plus d'un demi-siècle après l'indépendance, nous dépendons toujours dramatiquement pour manger et nous soigner entièrement des hydrocarbures !! Et ce ne sont sûrement pas les déclarations sans lendemain de nos dirigeants qui nous promettent depuis des lustres de nous sortir de l'économie de rente qui nous rassureront, car il est connu qu'en politique, les promesses n'engagent que ceux qui les écoutent. Des choix doivent être faits et des priorités fixées, conditions sine qua none pour éviter un effondrement de tout le système. La réflexion doit se faire de manière globale en prenant en compte les besoins du pays, en médecine préventive, curative, etc. Un exemple caricatural à mon sens de cette problématique est celui des demandes insistantes et très médiatisées faites par des confrères pour l'introduction de «molécules innovantes» destinées au traitement entres autres de certains types de cancers. Si je ne peux que partager l'idée de faire profiter nos concitoyens des derniers développements et innovations de la médecine, est-ce pour cela une demande juste, réaliste et réfléchie dans le contexte économique et financier de notre pays ? Assurément non si on se réfère à leurs coûts exorbitants avec une cagnotte allouée à la santé incompressible et très limitée comme nous l'avons vu. Et là aussi les chiffres sont là et ils sont têtus. Un CHU de l'Est de la capitale se retrouve avec 60% du budget alloué à la pharmacie consommé par un seul service, celui de l'oncologie médicale !! Les 8 autres services hospitalo-universitaires de cet hôpital doivent se contenter du partage des 40% restants !! Cela avec des médicaments anticancéreux classiques !! On n'ose pas imaginer le déséquilibre si on introduisait des molécules coûtant 10 à 20 fois plus cher. Les mêmes chiffres, les mêmes pourcentages et les mêmes déséquilibres inquiétants sont retrouvés pour la consommation des médicaments au niveau national. On voit la nécessite d'une réflexion profonde et objective, prenant en compte les besoins des uns et des autres et les capacités du pays pour éviter de tomber dans le populisme, la démagogie en une surenchère que nos concitoyens ne nous pardonneront pas. Comme le dit un proverbe bien de chez nous : «On ne peut mettre à nu une personne pour couvrir une autre». Voilà ce que devrait méditer notre ex-député FLN avant de s'octroyer le droit de débiter des inepties du genre réformer le système de santé en faisant fi du carcan financier. DE LA CONTRACTUALISATION La décentralisation dans la gestion et la contractualisation de nos hôpitaux et structures sanitaires sont à la fois une nécessité et une solution aux problèmes qui se posent avec acuité à notre système de santé. Actuellement, le financement de nos différentes structures de santé est assuré comme suit : une partie par l'Etat, une partie par la sécurité sociale et, enfin, une partie par les ménages. Les deux premiers chapitres sont alloués comme un forfait sans négociations, ni contrôles, ni justifications. Pourtant, l'ordonnance 96-17 du 6 juillet 1996 qui a modifié l'article 65 de la loi 83-11 relative aux assurances sociales stipule, dans sa nouvelle rédaction, que «les frais de soins et de séjour dans les structures sanitaires publiques sont pris en charge sur la base de conventions conclues entre les organismes de sécurité sociale et les établissements de santé concernés». A partir de 1992, la loi des finances dispose chaque année que «la contribution des organismes de sécurité sociale aux budgets des secteurs sanitaires, des établissements hospitaliers spécialisés et des centres hospitalo-universitaires est destinée à la couverture financière de la charge médicale des assurés sociaux et de leurs ayants droit. La mise en œuvre de ce financement sera effectuée sur la base de rapports contractuels liant la Sécurité sociale et le ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière suivant des modalités fixées par voie réglementaire». Des tentatives de contractualisation à titre expérimental ont eu lieu à partir de 1993 dans des centres pilotes, mais elles ont été malheureusement, par manque de courage politique, sans lendemain. Peut-on continuer à allouer des budgets forfaitaires aux hôpitaux sans contrepartie, sans programmes et sans véritable évaluation de leurs activités ? Ce principe de contractualisation qui vise à financer les structures de santé en fonction des actes, négociable chaque année, est évoqué, on le voit, depuis les années 1990. Par Nacer Djidjeli Professeur, chef de service de chirurgie pédiatrique [email protected]