Notre pays s'apprête à tenir les assises nationales de la santé. Encore des assises, serions-nous tentés de dire. En effet, depuis une quinzaine d'années, chaque ministre a eu ses assises. Des jours de réunions de travail sous les projecteurs des medias, des sommes astronomiques dépensées, des dizaines de rapports rédigés, pour quels résultats ? Oui, notre système de santé est malade et il faut une réflexion profonde et urgente pour essayer de trouver les voies et moyens à même de garantir à nos concitoyens l'équité et la qualité dans leurs prises en charge médicale. Avant de décider encore une fois d'organiser des séminaires ou des assises sur la santé, il aurait été à notre sens plus crédible et plus judicieux de répondre à quelques questions à même de garantir que «cette fois-ci sera la bonne». Notamment, pourquoi cela n'a-t-il pas marché jusqu'à maintenant ? Qu'est-ce qui fait que, cette fois-ci, notre réunion va être couronnée de succès et que nos recommandations n'iront pas s'empiler sur les dizaines qui les ont précédées dans un tiroir plein de poussière ? Nous pensons que la cause essentielle de nos échecs répétés est due au fait que les problèmes de fond, à notre sens, n'ont pas été abordés. Le choix d'un système de santé est un problème éminemment politique et dépend entièrement de l'économie et des ressources dont dispose un pays. Il ne peut être le résultat seul d'une cogitation de techniciens aussi doués soient-ils. Il ne peut être autrement pensé que faisant partie d'un projet de société globale. Et la question fondamentale à notre sens est la suivante : que pouvons-nous offrir comme système de santé à nos concitoyens ? La réponse à cette interrogation exige de nous lucidité et courage politique en nous débarrassant des habits du populisme et de la démagogie car les chiffres sont têtus. Ressources et financement de la santé L'Algérie consacre, bon an mal an, entre 5 et 7% de son produit intérieur brut (PIB) pour ses dépenses de santé avec une dépense nationale de santé(DNS) par habitant qui fluctue autour de 300 et 400 dollars. A titre comparatif et selon les chiffres 2012 de la Banque mondiale, Cuba y consacre 700 dollars par tête d'habitant, la France, 5000 dollars, le Canada, 6000 et les USA, 8500, pour ne citer que ceux-là. Les pays industrialisés à revenus élevés consacrent une moyenne de 11,2% de leur PIB pour les dépenses de santé selon les chiffres de l'OCDE de 2011. Quand on sait que le PIB de ces pays est cinq à dix fois plus élevé en moyenne que le nôtre, on comprend que nous ne pouvons et, surtout, nous ne devons pas nous comparer ou essayer de copier un système de santé très loin des réalités et capacités financières de notre pays. Penser un système de santé en faisant fi de ces données et contraintes financières serait faire preuve d'irréalisme. Avec ce qui est alloué à nos dépenses de santé, peut-on continuer à faire croire aux Algériens que le système de santé actuel peut prendre en charge tout le monde et tout le temps, toutes les pathologies, la prévention, les soins de base, etc. ? Assurément non car, même en économie de santé, les miracles n'existent pas. Les ressources dont nous disposons, il faut le souligner, et qui dépendent totalement de la rente pétrolière, ne nous le permettront jamais. Prétendre le contraire serait de la pure démagogie et de l'aveuglement politique. La couverture médicale universelle gratuite n'est totalement acquise dans aucun pays au monde. Les pays les plus industrialisés et les plus riches, qui consacrent dix à vingt fois plus pour leurs dépenses de santé, ont été obligés de faire des choix, douloureux certes, mais indispensables à l'équilibre global de leur système de santé. Il en est de même chez nous, des choix douloureux doivent impérativement être faits. Ce débat doit avoir lieu chez nous, on ne peut plus l'occulter, il y va de la survie de tout le système de santé. Il doit être éclairé, certes, par des professionnels de santé mais la décision finale doit être assumée par la société et ses représentants élus. Evidemment avec une meilleure gestion et quelques aménagements techniques, on pourra sûrement améliorer et optimiser ce que nous avons. D'autant plus que les experts pensent que 20 à 40% des ressources allouées à la santé sont gaspillées de par le monde. La Tunisie, par exemple, avec moins de moyens, fait beaucoup mieux que nous. Oui, il faudra certainement des actions urgentes et fortes pour colmater quelques brèches trop visibles, mais ceci ne fera jamais de notre système de santé tant décrié par nos concitoyens un système performant, humain, empreint d'équité et de justice. On peut sûrement augmenter notre DNS en relevant le taux du pourcentage du PIB consacré à celle-ci. D'ailleurs, un ancien ministre de la Santé, en l'occurrence M. Tou pour ne pas le nommer, avait promis de relever ce taux pour arriver à 15%, mais cela n'a pas dépassé le stade des promesses. Mais même si on arrive à ce taux maximum au-delà duquel les grands équilibres financiers du pays risquent d'être menacés, le changement ne risque pas d'être important. Il est donc urgent que cette donnée financière et les contraintes inévitables qui en découlent soient prises en compte dans toute réflexion sur la politique de santé dans notre pays. On ne peut offrir que ce qu'on a et non ce qu'on rêve d'avoir. De la contractualisation La décentralisation dans la gestion et la contractualisation de nos hôpitaux et structures sanitaires est à la fois une nécessité et une solution aux problèmes qui se posent avec acuité à notre système de santé. Actuellement et embellie financière de ces dernières années aidant, le financement de nos différentes structures de santé est assuré une partie par l'Etat, une partie par la sécurité sociale et, enfin, une partie par les ménages. Les deux premiers chapitres sont alloués comme un forfait sans négociations, ni contrôle, ni justifications. Pourtant, l'ordonnance 96-17 du 6 juillet 1996 qui a modifié l'article 65 de la loi 83-11 relative aux assurances sociales stipule, dans sa nouvelle rédaction, que «les frais de soins et de séjour dans les structures sanitaires publiques sont pris en charge sur la base de conventions conclues entre les organismes de sécurité sociale et les établissements de santé concernés». À partir de 1992, la loi des finances dispose chaque année que «la contribution des organismes de sécurité sociale aux budgets des secteurs sanitaires, des établissements hospitaliers spécialisés et des centres hospitalo-universitaires est destinée à la couverture financière de la charge médicale des assurés sociaux et de leurs ayants droit. La mise en œuvre de ce financement sera effectuée sur la base de rapports contractuels liant la sécurité sociale et le ministère de la Santé et de la Population, suivant des modalités fixées par voie réglementaire». Des tentatives de contractualisation à titre expérimental ont eu lieu à partir de 1993 dans des centres pilotes mais elles ont été malheureusement, par manque de courage politique, sans lendemain. Peut-on continuer à allouer des budgets forfaitaires aux hôpitaux sans contrepartie, sans programmes et sans véritable évaluation de leurs activités ? Ce principe de contractualisation qui vise à financer les structures de santé en fonction des actes, négociable chaque année, est évoqué, on le voit, depuis les années 1990. Pourquoi est-il resté lettre morte alors que le pouvoir politique est conscient de l'importance de cette mesure ? Et plus que jamais, on continue contre toute logique à faire les mêmes erreurs que par le passé en finançant des structures et non des programmes. De l'autonomie et de la décentralisation des structures de santé Peut-on espérer une gestion efficace et efficiente de nos structures de santé sans leur autonomie et en continuant à tout centraliser ? J'en veux pour exemple cette anecdote vécue, il y a quelques temps, dans le service où j'exerce. On a dû fermer le bloc opératoire pendant plusieurs jours par manque de «femme de ménage». Avec une douzaine de chirurgiens, de réanimateurs et des dizaines de paramédicaux, l'activité chirurgicale a été paralysée. En dehors du fait que cela démontre, si besoin est, l'importance de tous les maillons de la chaîne des soins, cet incident est la caricature même de l'obsolescence du système de gestion de nos hôpitaux. En effet, le gestionnaire de l'établissement malgré l'urgence de la situation ne pouvait en aucun cas recruter le personnel qui manquait car la loi ne le lui permettait pas. Voilà le carcan dans lequel se meurent et étouffent nos hôpitaux. Peut-on continuer à fonctionner au XXIe siècle avec un modèle de gestion centralisé et complètement sclérosé de nos hôpitaux ? Peut-on continuer d'exiger de nos gestionnaires des résultats tout en leur liant les mains par des contraintes administratives obsolètes? Des hôpitaux gérés par des gestionnaires qui, par la force des choses, sont devenus de simples dépensiers sans aucune liberté d'initiative. Réévaluation des actes Les tarifs de la sécurité sociale n'ont pas été réévalués depuis des décennies, ce qui fait que les assurés sociaux qui s'adressent au secteur privé paient de leurs poches les prestations dont ils bénéficient. Quand on sait que 70% des actes sont pratiqués dans le secteur libéral, on s'explique aisément cette augmentation vertigineuse de la part des ménages dans la dépense de santé globale. Celle-ci avoisine actuellement les 40% alors qu'elle ne devrait pas dépasser les 20 à 30% au maximum. La part des dépenses supportée par les ménages étant le témoin de l'équité d'un système de santé, cette injustice doit cesser car le citoyen assuré social doit devoir être remboursé à hauteur de ses cotisations. Certes, cela risque d'être délétère sur les comptes et les équilibres de la sécurité sociale mais continuer à nier un droit fondamental des assurés sociaux et à faire l'autruche ne réglera rien. On ne bâtit rien sur une injustice et casser le thermomètre n'a jamais fait baisser une fièvre. De la Médecine gratuite Autre sujet ou questionnement à notre avis incontournable et indispensable si on veut sauver ce qui reste de notre système de santé : la médecine gratuite. Sujet on ne peut plus sensible mais qui, à notre sens, ne doit plus être occulté. Instaurée en 1973 par décret présidentiel, son objectif, on ne peut en douter, était très noble et il a permis, en assurant un accès aux soins à toutes les couches de la population, d'améliorer les principaux indicateurs de santé de notre pays. Et nous ne pouvons qu'être fiers de cette démarche qui a honoré notre pays. Mais n'est-il pas temps de faire le bilan de ce concept de médecine gratuite et voir, 50 ans après, quelle est l'efficience de ce système qui, d'ailleurs, n'a plus de gratuité que le nom ? Doit-on continuer à donner des soins gratuits à tout le monde sans distinction même à ceux qui sont parmi les plus nantis et qui passent souvent en priorité car ayant leurs entrées à l'hôpital ? Est-ce équitable ? Ceci rappelle l'hérésie des subventions des produits de première nécessité aussi bien pour le démuni que le millionnaire. Et qu'on ne nous fasse pas dire ce que l'on n'a pas dit : oui, l'accès aux soins pour les plus nécessiteux et les plus faibles d'entre nous doit être garanti par l'Etat, nous le réaffirmons haut et fort. Mais nos ressources étant ce qu'elles sont, n'est-il pas temps de revoir ce système, en ciblant et en orientant l'aide de l'Etat spécialement vers ces populations véritablement démunies et nécessiteuses ? Ce principe de contractualisation qui vise à financer les structures de santé en fonction des actes, négociable chaque année, est évoqué, on le voit, depuis les années 1990. Pourquoi est-il resté lettre morte alors que le pouvoir politique est conscient de l'importance de cette mesure ? Et plus que jamais, on continue, contre toute logique, à faire les mêmes erreurs que par le passé en finançant des structures et non des programmes. Décisions certes éminemment politiques et, là aussi, il ne revient pas aux techniciens et professionnels de la santé d'y répondre seuls mais pour la pérennité, l'efficience et surtout pour l'équité de notre système de santé, cette question ne peut et ne doit plus être occultée. Médecine à deux vitesses Je ne terminerais pas ce point de vue sans dénoncer le problème de ces scandaleuses prises en charge pour soins à l'étranger qui font que le droit à la santé et à l'égalité des chances devant la maladie pour toutes les populations quels que soient le sexe, l'âge ou le niveau social, est devenu une chimère chez nous. Peut-on accepter alors que sur les 28 000 cancéreux nécessitant une radiothérapie chaque année, seuls 8000 peuvent en bénéficier faute de structures pour les accueillir et qu'en même temps, des prises en charge pour soins à l'étranger continuent à se faire dans l'opacité et l'iniquité la plus totale ? Les militaires ont leur caisse de sécurité sociale où l'on concocte en toute discrétion les prises en charge des assurés. La presse a révélé que «Le groupe pétrolier public Sonatrach a attribué dernièrement un contrat de prestation de transfert, de prise en charge médicale et d'assistance des patients à l'étranger pour ses salariés au Centre méditerranéen de diagnostic (CMD) pour 41 millions d'euros». Ce contrat permet aux salariés de Sonatrach de se faire traiter dans les meilleurs cliniques et hôpitaux européens. Rien n'étant plus injuste que l'injustice devant la maladie, cela doit cesser. Le débat doit être ouvert et si ces prises en charge pour soins à l'étranger doivent continuer ce qui est discutable on doit impérativement leur trouver un cadre plus juste et plus transparent pour assurer l'égalité pour tous les citoyens devant la maladie. Les assises nationales de la santé Les problèmes que nous venons d'évoquer et qui, a notre avis, ne doivent plus être occultés ne peuvent être traités en deux jours avec des centaines de personnes d'horizons et de niveaux très hétéroclites. Si nous sommes conscients de la gravité et de l'urgence de la situation, nous ne pouvons qu'être en désaccord avec cette méthodologie. De même que nous ne pensons pas qu'une nouvelle loi sanitaire puisse à elle seule être la panacée aux problèmes de la santé dans notre pays qui semble être le but attendu de ces assises. Une loi sanitaire ne peut précéder la résolution de ces problèmes. Elle doit découler et traduire dans un texte les grands choix et arbitrages d'une politique de santé que toute la nation doit assumer. Faire l'inverse, c'est mettre à l'évidence la charrue avant les bœufs et s'apparentera à mettre un pansement sur une jambe de bois. Nous ne doutons des bonnes intentions ni des uns ni des autres mais voilà ce qui nous semble être les véritables enjeux et défis auxquels on doit s'atteler si on veut réussir là où nos prédécesseurs ont échoué. Nos ressources provenant exclusivement de la rente pétrolière, tout un chacun comprendra la fragilité de notre économie et par là, de notre système de santé. La chute drastique des cours du pétrole a moins de 10 dollars en 1986 et les énormes difficultés qu'a connues l'Etat pour maintenir à flot le système de santé publique sont là pour nous rappeler si besoin est l'urgence de décisions politiques courageuses et responsables.