Pourquoi est-il resté lettre morte alors que le pouvoir politique est conscient de l'importance de cette mesure ? Et plus que jamais, on continue contre toute logique à faire les mêmes erreurs que par le passé en finançant des structures et non des programmes. DE L'AUTONOMIE ET DE LA DECENTRALISATION DES STRUCTURES DE SANTE Peut-on espérer une gestion efficace et efficiente de nos structures de santé sans leur autonomie et en continuant à tout centraliser ? J'en veux pour exemple cette anecdote vécue, il y a quelques temps, dans le service où j'exerce. On a dû fermer le bloc opératoire pendant plusieurs jours par manque de «femme de ménage». Avec une douzaine de chirurgiens, de réanimateurs et des dizaines de paramédicaux, l'activité chirurgicale a été paralysée. En dehors du fait que cela démontre, si besoin est, l'importance de tous les maillons de la chaîne des soins, cet incident est la caricature même de l'obsolescence du système de gestion de nos hôpitaux. En effet, le gestionnaire de l'établissement, malgré l'urgence de la situation, ne pouvait en aucun cas recruter le personnel qui manquait car la loi ne le lui permettait pas. Voilà le carcan dans lequel se meurent et étouffent nos hôpitaux. Peut-on continuer à fonctionner au XXIe siècle avec un modèle de gestion centralisé et complètement sclérosé de nos hôpitaux ? Peut-on continuer d'exiger de nos gestionnaires des résultats tout en leur liant les mains par des contraintes administratives obsolètes ? Des hôpitaux gérés par des gestionnaires qui, par la force des choses, sont devenus de simples dépensiers sans aucune liberté d'initiative. REEVALUATION DE LA NOMENCLATURE DES ACTES ET REMBOURSEMENT Les tarifs de la Sécurité sociale n'ont pas été réévalués depuis des décennies, ce qui fait que les assurés sociaux qui s'adressent au secteur privé paient de leurs poches les prestations dont ils bénéficient. Quand on sait que 70% des actes sont pratiqués dans le secteur libéral, on s'explique aisément cette augmentation vertigineuse de la part des ménages dans la dépense de santé globale. Celle-ci avoisine actuellement les 40%, alors qu'elle ne devrait pas dépasser selon les normes 20 à 30% au maximum. La part des dépenses supportée par les ménages étant le témoin de l'équité d'un système de santé, cette injustice doit cesser car le citoyen assuré social doit devoir être remboursé à hauteur de ses cotisations. Certes, cela risque d'être délétère sur les comptes et les équilibres de la Sécurité sociale, surtout avec la pléthore de son personnel payé au-dessus de la moyenne nationale à l'image de son ex-président du conseil d'administration, Sidi Saïd pour ne pas le nommer, coupable selon son propre aveu de faux et usage de faux dans l'affaire Khalifa et bizarrement à ce jour non encore inquiété par la justice. Mais continuer à nier un droit fondamental des assurés sociaux et à faire l'autruche ne réglera rien. On ne bâtit rien sur une injustice et casser le thermomètre n'a jamais fait baisser une fièvre. DE LA MEDECINE GRATUITE Autre sujet ou questionnement à notre avis incontournable et indispensable si on veut sauver ce qui reste de notre système de santé : la médecine gratuite. Sujet on ne peut plus sensible mais qui, à notre sens, ne doit plus être occulté. Instaurée en 1973 par décret présidentiel, son objectif, on ne peut en douter, était très noble et il a permis, en assurant un accès aux soins à toutes les couches de la population, d'améliorer les principaux indicateurs de santé de notre pays. Et nous ne pouvons qu'être fiers de cette démarche qui a honoré notre pays. Mais n'est-il pas temps de faire le bilan de ce concept de médecine gratuite et voir, 50 ans après, quelle est l'efficience de ce système qui, d'ailleurs, n'a plus de gratuité que le nom ? Doit-on continuer à donner des soins gratuits à tout le monde sans distinction, même à ceux qui sont parmi les plus nantis et qui passent souvent en priorité car ayant leurs entrées à l'hôpital ? Est-ce équitable ? Ceci rappelle l'hérésie des subventions des produits de première nécessité aussi bien pour le démuni que le milliardaire. Et qu'on ne nous fasse pas dire ce que l'on n'a pas dit : oui, l'accès aux soins pour les plus nécessiteux et les plus faibles d'entre nous doit être garanti par l'Etat, nous le réaffirmons haut et fort. Mais nos ressources étant ce qu'elles sont, n'est-il pas temps de revoir ce système pour l'optimiser en ciblant et en orientant l'aide de l'Etat spécialement vers ces populations véritablement démunies et nécessiteuses ? Décision certes éminemment politique et, là aussi, il ne revient pas aux techniciens et professionnels de la santé d'y répondre seuls, mais pour la pérennité, l'efficience et surtout pour l'équité de notre système de santé, cette question ne peut et ne doit plus être occultée. MEDECINE À DEUX VITESSES Je ne terminerai pas cette contribution sans parler de ce véritable abcès de fixation, symbole pour le commun de nos citoyens de profonde injustice et d'une médecine à deux vitesses que sont les transferts pour soins à l'étranger. Et tout dernièrement, la vidéo d'un collègue qui dénonçait ce système sur les réseaux sociaux a fait le buzz , même si à mon sens ses propos comportaient plusieurs fausses informations et points de vue que je ne partage pas. En effet, contrairement à ce qui a été avancé, les chefs de service continuent à signer des demandes de prise en charge pour des malades qu'ils estiment ne pas pouvoir traiter dans notre pays, et dans un sens je dirais tant mieux. Pour l'année 2019 par exemple selon les chiffres qu'on a pu avoir et contrairement à ce qui a été dit, 800 demandes de transfert émanant bien de chefs de service hospitalo-universitaires ont été enregistrées par la commission des transferts et 234 ont été accordées. Deuxième désaccord et de taille avec mon collègue qui prônait l'arrêt total et immédiat de ces transferts à l'étranger pour soins : on ne peut décréter à mon sens cet arrêt du jour au lendemain sans s'assurer au préalable que ces malades peuvent être traités dans notre pays, sinon ce serait l'équivalent d'une condamnation à mort, éthiquement et humainement inacceptable et ne devant en aucun cas être assumée par des professionnels de santé seuls. Oui, il faut qu'on sache pourquoi plus de 60 ans après l'indépendance de notre pays nous avons encore besoin de transférer des malades pour soins à l'étranger. Oui, on doit savoir pourquoi les sommes colossales dépensées dans les conventions signées avec les structures publiques ou privées pour arrêter ces transferts ont certes fait énormément diminuer leur nombre, mais n'ont pas pu les stopper définitivement. Et même si ces dépenses ne représentent que 0,79% des dépenses de la CNAS, le débat doit être ouvert et si ces prises en charge pour soins à l'étranger doivent continuer, ce qui est discutable, on doit impérativement leur trouver un cadre plus juste et plus transparent pour assurer l'égalité pour tous les citoyens devant la maladie. Actuellement, deux caisses se partagent ce pouvoir de transfert pour soins à l'étranger, la Caisse nationale des assurés sociaux (CNAS) et la Caisse de sécurité sociale des militaires. Il est évident que ce débat et cette transparence doivent impérativement toucher les deux caisses, militaire et la CNAS, car il n'y a pas pire injustice que celle qui touche le citoyen devant la maladie. Voilà ce qui nous semble être les véritables enjeux et défis auxquels on doit s'atteler si on veut réussir là où nos prédécesseurs ont échoué. Arriver à réformer en profondeur le système de santé algérien sans remettre en cause ses principes d'équité, tel est le challenge qui nous attend. Nous avions publié une contribution en 2014 sur le système de santé algérien parue dans la presse écrite et sous forme de conférence lors des assises de la santé de la même année. Nous avions soulevé exactement les mêmes questionnements et les mêmes problèmes à la virgule près. Six ans après, force et de constater qu'absolument rien n'a changé ! Alors, pourquoi notre système de santé reste plus d'un demi-siècle après l'indépendance tant décrié ? Pourquoi les gouvernements et ministres passent, les lois sanitaires se succèdent et rien ne change ? Parce qu'à mon avis et à l'instar de ce qui se passait dans les autres secteurs notamment économique (avec des subventions tous azimuts, dépendance totale aux hydrocarbures etc.), nos gouvernants, même pour ceux qui étaient conscients des défis qui attendaient notre pays, plaçaient cette sacro-sainte notion de paix civile qui leur permettait de perdurer à leur poste, au-dessus de toutes autres considérations, y compris celle de l'avenir du pays et des générations futures. Ceci n'était nullement dû aux professionnels de la santé mais à l'incompétence et au manque de volonté et de courage politique de nos dirigeants qui ont fait perdre à notre pays plus d'un demi-siècle de réformes possibles et nécessaires. L'Algérie ne peut plus s'offrir le luxe de faire dans la précipitation une réformette sans lendemain, nous n'avons plus le droit à l'échec. Cette réforme vitale pour notre pays doit découler et traduire dans un texte les grands choix et arbitrages d'une politique de santé que toute la nation doit assumer. Je dis bien toute la nation et pas uniquement un panel de techniciens, aussi doués soient-ils encore une fois. Faire l'inverse s'apparentera à mettre un pansement sur une jambe de bois. Nos ressources provenant exclusivement de la rente pétrolière, tout un chacun comprendra la fragilité de notre économie et par là de notre système de santé. La chute drastique des cours du pétrole à moins de 10 dollars en 1986 et les énormes difficultés qu'a connues l'Etat pour maintenir à flot le système de santé publique sont là pour nous rappeler si besoin est l'urgence de décisions politiques courageuses et responsables… Serons-nous entendus cette fois ci ? Nous l'espérons pour l'avenir de nos enfants et des générations futures, car ne dit-on pas que la véritable erreur est celle dont on ne retire aucun enseignement. Par Nacer Djidjeli Professeur chef de service de chirurgie pédiatrique [email protected]