Il a fallu plus de huit mois au président tunisien, Kaïs Saïed, pour décider d'aller à Paris, malgré le travail d'approche soutenu de l'ambassadeur français, Olivier Poivre d'Arvor. La récente motion parlementaire de demande d'excuses par la France pour ses crimes coloniaux, quoique rejetée, est peut-être pour quelque chose dans l'accélération de cette visite. La décision du président tunisien d'effectuer une visite en France a été prise lors de l'entretien téléphonique entre les présidents Saïed et Macron, le 3 juin, jour du passage devant l'Assemblée des représentants du peuple (ARP) de la motion réclamant des excuses à la France pour ses crimes coloniaux. Au-delà du fait que la motion n'a pas été votée, le scénario laisse croire que le timing de l'échange entre les deux Présidents et de l'accord sur la visite ne résultent pas du simple hasard. Le président Saïed aurait voulu exprimer, à ce moment-là, son intérêt pour le renforcement du partenariat tuniso-français, et dire à Macron que la Tunisie officielle, qu'il représente, tient à préserver sa relation privilégiée avec la France. La preuve, c'est la première visite officielle qu'il effectue en Occident. Auparavant, le présidentSaïed n'a effectué que deux voyages, à Oman, pour les condoléances du Sultan Kabous, et en Algérie, «le grand frère» auquel il avait promis sa première visite, depuis sa campagne électorale. Par ailleurs, le président Saïed saisira cette occasion pour affirmer sa mainmise sur la diplomatie tunisienne. Ainsi, d'un côté, sa visite est le symbole du maintien des relations historiques privilégiées avec la France, perturbées, que l'on le veuille ou pas, par cette motion parlementaire. Et, de l'autre, il exprimera la position officielle tunisienne en ce qui concerne le dossier libyen, à savoir l'attachement à une solution libyo-libyenne. Quoique Paris fait, elle aussi, partie des axes régionaux sévissant en Libye. Mais ce sera pour le président Saïed une occasion pour dire qu'il ne fait pas partie de l'axe Istanbul-Doha, surtout que le président Erdogan et l'émir Tamime sont passés, en 2020, à Tunis. Donc, cette visite est une manœuvre sur un échiquier diplomatique très sulfureux. Intérêts Concernant le volet économique, il sera également très présent. La Tunisie compte sur cette visite pour obtenir davantage d'aides afin de faire face à sa crise socioéconomique, aggravée par la pandémie de Covid-19. La présence du ministre des Finances, Mohamed Nizar Yaiche, dans la délégation tunisienne, traduit l'intérêt économico-financier de la visite. La décélération économique sera de l'ordre de 4% et la Tunisie aura besoin de soutien pour espérer sortir de sa crise. Une aide de la France serait la bienvenue, même s'il s'agit de transformer une partie de ses crédits en projets de développement. Il est à rappeler que la France demeure, et depuis toujours, le premier investisseur étranger en Tunisie, avec près de 1500 entreprises générant 160 000 emplois. Les entreprises françaises n'ont pas quitté la Tunisie après la révolution du 14 janvier. Les IDE français ont poursuivi leur progression et se sont accrus de plus de 34% en 2018. Cela représente plus du tiers du total des IDE hors énergie. La France est également le premier client de la Tunisie, qui lui réserve le tiers de ses exportations, alors qu'elle est le deuxième fournisseur, assurant 16% des besoins du pays. Donc, cette visite pourrait constituer une belle opportunité pour relancer ce partenariat tuniso-français. Tunis De notre correspondant Mourad Sellami