Rached Ghannouchi sera interrogé par l'Assemblée des représentants du peuple (ARP) sur les limites à donner à ses actions diplomatiques, le 3 juin prochain, après sa communication téléphonique avec le président du Gouvernement d'union nationale libyenne, Fayez Al Sarraj, juste après les dernières victoires du camp de ce dernier, sur le terrain, en Libye. «Il n'y a qu'un seul Président en Tunisie», avait déclaré le président Saïed, dans son discours aux Tunisiens à l'occasion de l'Aïd. Comme toujours, c'est la présidente du Parti Destourien Libre (PDL), Abir Moussi, qui a lancé l'alerte, en demandant d'interroger le président de l'ARP, Rached Ghannouchi, suite à son contact téléphonique avec Fayez Al Sarraj. Le PDL a demandé à questionner le président de l'ARP, sur la question. Les députés du PDL ont même organisé un sit-in à l'ARP, pour réclamer le questionnement de Ghannouchi sur le sujet. Mais il avait fallu un communiqué des quatre blocs parlementaires, Qalb Tounes, Tahya Tounes, El Islah (la Réforme) et Al Mostaqbil (l'Avenir), pour que le bureau de l'ARP se décide à tenir la plénière. Attributions C'est la 2e fois, en six mois, que Ghannouchi est interrogé. Et c'est toujours en rapport avec ses attributions, en tant que président de l'ARP. La première, ce fut en rapport avec sa visite en Turquie, en janvier dernier, suite à l'échec du Parlement à attribuer la confiance au gouvernement de Habib Jamli. Une séance houleuse a eu lieu, le 19 janvier dernier, pendant laquelle plusieurs blocs parlementaires, dont notamment Qalb Tounes, ont demandé à Ghannouchi de respecter son devoir de réserve, en tant que président de l'ARP, représentant l'Assemblée, non le parti islamiste d'Ennahdha. Il a été convenu, suite à cette réunion, que le président de l'ARP informe davantage le bureau de l'Assemblée de son ordre du jour, notamment ses déplacements à l'étranger. Mais «il ne faut jamais oublier que Ghannouchi appartient à une secte, qui est les Frères musulmans, et il n'est pas habitué aux pratiques démocratiques», remarque le député Mustapha Ben Ahmed, président du bloc parlementaire de Tahya Tounes, le parti de l'ex-chef de gouvernement, Youssef Chahed. Il est clair que «Ghannouchi et ses alliés ne font que ce qui leur plait», soutient quant à lui l'universitaire et constitutionnaliste, Slim Laghmani. Mécontentement Le Président Kais Saied n'a pas digéré que le président de l'ARP, Rached Ghannouchi, exprime une position différente de celle de la neutralité affichée par la République tunisienne dans le dossier libyen. Le pire, c'est que la diplomatie fait partie de la chasse gardée de la présidence de la République, dans les attributions de la Constitution de 2014. Et il a donc fallu que le Président Saied le dise ouvertement dans son allocution télévisée, pour présenter ses félicitations à l'occasion de l'Aid au peuple tunisien. «Il n'y a qu'un seul Président en Tunisie», avait-il martelé, exprimant sa colère face à cette atteinte à ses prérogatives. Or, l'absence d'une Cour constitutionnelle rend difficile un arbitrage efficace entre les trois têtes de l'Etat, à savoir les présidences de la République, de l'ARP et du gouvernement. Un précédent accrochage avait déjà opposé Ghannouchi à Elyes Fakhfakh, le chef du gouvernement, lorsque ce dernier a refusé d'assister à une réunion du bureau de l'ARP. La Tunisie peine clairement à asseoir son modèle démocratique. Les divisions au sein de l'ARP rendent compliquée la formation de la Cour constitutionnelle, nécessitant la majorité des deux tiers des membres de l'ARP. Laquelle Cour pourrait vraisemblablement stabiliser le nouveau pouvoir. Le Président Saied cherche certes à changer le modèle politique, à travers un référendum populaire. Mais cela nécessite, également, d'avoir l'approbation de la majorité des deux tiers de l'ARP. Et si l'on ajoute, encore, la crise socioéconomique, il est clair qu'une décennie n'a pas suffi pour stabiliser le nouveau pouvoir. Pour l'instant, il s'agit donc de délimiter l'attribution des trois présidences.