L'association Torba vise à promouvoir une agriculture écologique et durable en Algérie et travaille pour la valorisation des ressources des terroirs. Son président Karim Rahal estime que l'agriculture au Sahara est oasienne depuis des siècles, il y a donc, selon lui, de tout faire pour l'aider à s'auto-suffire et à développer de nouvelles palmeraies, loin des échecs d'une agriculture industrielle qui montrera ses limites à horizon 2040. -Avec les disponibilités financières actuelles et le manque de coordination entre le monde universitaire et le secteur agricole, comment se présente le pari d'engager l'Algérie dans le développement de l'agriculture saharienne, sachant justement que des investissements lourds sont nécessaires pour la mise en valeur de ces terres ? Il faut bien comprendre qu'avec l'agriculture saharienne à ciel ouvert (pivots), il n'y a pas de mise en valeur possible de ces contrées désertiques, à partir du moment où il n'y a pas de sol organique. On va créer un sol artificiel, qui va se saliniser au bout de quelques années et il faudra déménager, comme on le voit très fréquemment dans les images satellites (pastilles vertes en production et beige-sable abandonnées). R. Lahmar dans une étude de la culture du blé à Gassi Touil a estimé à 20 tonnes de dépôt de sel/hectare et par an. Et le double s'il s'agit de cultiver de la canne à sucre avec 20 000 m3 d'eau à l'hectare. Beaucoup de dépenses et d'investissements pour des résultats limités dans le temps et qui vont à la fin désertifier le désert. Tous les spécialistes le disent, le pari d'engager l'Algérie dans cette agriculture saharienne est risqué vu les résultats mitigés à court terme et certainement pas durables à long terme. Les nombreux cas d'échecs et d'abandons de candidats à la mise en valeur montrent que le processus en zones arides n'est pas encore totalement maîtrisé et que le tâtonnement reste important. Des budgets colossaux et des efforts importants risquent d'être dépensés encore une fois, pour des résultats peu maîtrisés, voire un effondrement du système de production, comme cela a été le cas en Arabie Saoudite, qui à un moment a réussi à devenir 6e exportateur mondial de céréales, avant de voir sa production diminuer jusqu'à s'annuler, après avoir endommagé son écosystème social et environnemental (Benadjila 2020). Serons-nous obligés d'emprunter la même trajectoire et compromettre la souveraineté alimentaire et la sécurité de la nation ? -Justement, quelles sont les filières sur lesquelles il y a lieu de miser, à la lumière des résultats des expériences déjà menées ? Les filières de betterave sucrière, maïs ou autres cultures maraîchères (tomates, pastèques) sont très exigeantes en eau. Même en obtenant des rendements élevés, la filière céréales sous pivots à une productivité (80 quintaux/hectare) négligeable par rapport aux systèmes agroécologiques oasiens, qui peuvent avoisiner les 600 qtx/ha. Comment est-ce possible ? Sous les palmiers qui jouent le rôle de parasol, il y a les arbres fruitiers (olivier, grenadier, vigne, abricotier, prunier, pommier, figuier, agrumes parfois...), plantés en bordure de parcelles (système de rotation maraîchage/fourrages/céréales). Les cultures se succèdent tout le long de l'année, cultures en dérobées, cultures intercalaires, en étages..., toutes ces pratiques font que l'unité de surface est exploitée à son maximum (surface et volume). La grande agro-biodiversité fait qu'en toutes saisons, il y a récolte-plantation-semis, c'est une permaculture spécifique très bien adaptée en milieu aride. Si on veut donc miser sur une filière qui peut durablement se développer, ce sera celle du palmier-dattier. La datte algérienne ne s'exporte pas assez, l'Algérie se classe 8e exportateur mondial, loin derrière la Tunisie, 1er exportateur mondial. Il y a des parts de marché à gagner... La transformation de la datte (sirop de Robb, vinaigre, farines, confitures…), est un créneau qui peut au moins partiellement remplacer le sucre blanc raffiné. Il faut rappeler que l'Algérien est un grand consommateur de sucre, en moyenne 40 kg/habitant/an, soit le double des recommandations de l'OMS, avec les problèmes de santé publique que l'on connaît. C'est pourquoi, nous sommes pour revenir à une nourriture saine et locale. Une céréale diététique qui s'est très bien adaptée au climat saharien est le quinoa, elle supporte la sécheresse et la salinité des sols. Elle a donné de très bons rendements, selon les essais de l'ITDAS (Institut technique du développement de l'agronomie saharienne). Cet Institut regorge d'innovations, il travaille à améliorer les plantes locales (olivier, vigne, pistachier, arganier, arachides, moringa, épices carvi, nigelle, fenugrec, fourrages tels que le sorgho, luzerne locale.) mais aussi à introduire des plantes acclimatées, telles que le Jojoba, qui est un arbre du désert du Mexique et qui se développe très bien en Egypte notamment. Cet arbre, peu gourmand en eau, accepte un certain degré de salinité. Son fruit sert à faire des huiles cosmétiques (comparable à l'huile d'argan), et la demande est très forte de par le monde. Son prix de vente est dix fois celui de l'huile d'olive. Il y a d'autres plantes prometteuses adaptées au climat saharien, comme la Moringa Oleifera qui peut supporter des taux de salinité importants. Ces productions peuvent s'implanter chez nous à grande échelle, et devenir de véritables filières pour la consommation locale et pour l'export. -Comment concilier sécurité alimentaire et rationalisation des eaux souterraines du Grand Sud ? Tous les spécialistes sont critiques quant aux proportions que les pouvoirs publics veulent donner à la dynamique de l'agriculture saharienne, forte consommatrice d'eau non renouvelable. En trente ans de mise en valeur, les premiers signes d'une crise hydraulique commencent à pointer dans de nombreux territoires. Le rabattement des niveaux des nappes exploitées, la baisse des débits atteignent dans ces territoires des niveaux inquiétants qui, non seulement freinent l'expansion de la mise en valeur, obligent à baisser les superficies déjà mises en culture, et risquent d'entraîner, à terme, l'effondrement de toute la néo-agriculture des zones arides (Daoudi 2018). Maintenant, si les autorités publiques veulent rationaliser les eaux souterraines, il faudrait mettre en place une véritable politique d'économie de l'eau, trouver un mécanisme de tarification pour lutter contre le gaspillage de cette ressource non renouvelable. -Quel modèle de développement choisir pour l'Algérie dans ce cadre ? «Cultiver le Sahara en dehors des oasis est le chemin le plus court pour priver les générations futures de l'eau et le peu de sols fertiles.», (Belgat 2020). Il est possible d'étendre le domaine des oasis là où les sols et l'eau le permettent ; soit à peu près sur 200 000 ha à court terme. En fait, là où il y a un sol organo-minéral et de l'eau, une oasis peut surgir et ce sont 1 800 000 ha selon les statistiques gouvernementales qui peuvent candidater à long terme à un aménagement oasien. Les premiers bénéficiaires de ces terres doivent être les Oasiens et notamment les jeunes. Pour que la gestion soit rationnelle et efficace, la taille des exploitations ne doit pas dépasser les 5 ha (Benadjila 2020). Impérativement, il faut encourager le phœniciculteur et sa famille à vivre dans l'oasis, c'est à cette condition que le verger sera entretenu. Pour conclure, citons M. Bais, expert à Filaha Innove : «Il s'agit d'oser s'engager dans un nouveau paradigme qui va capitaliser le savoir-faire traditionnel, dans la perspective d'atteindre la double performance économique et écologique et s'inscrire ainsi dans un véritable développement durable, qui est le meilleur cadeau que nous puissions léguer aux générations futures.»