Les Irakiens se gardent de pavoiser. Ils savent que les anciens alliés se livrent un combat sans merci pour le contrôle du pouvoir. Et encore, la phase actuelle n'a rien d'ordinaire. Elle détermine bien au contraire l'avenir politique et institutionnel de l'Irak post-Saddam Hussein, c'est-à-dire le régime du parti unique, et de l'hégémonie d'une minorité appelée aujourd'hui à faire de la figuration ou à servir d'alibi à un pouvoir qui se veut pluraliste, alors même qu'il est fondamentalement ethnique comme l'expliquent les batailles actuelles. Une phase certainement la plus facile au regard de ce qui reste à faire a donc été franchie dimanche avec l'élection plus tard que prévu du président du Parlement issu des élections du 30 janvier dernier, ce qui, normalement, doit ouvrir la voie à la formation d'un nouveau gouvernement. Après des semaines de tractations ardues, l'Assemblée nationale transitoire a élu dimanche à sa troisième réunion le ministre sortant de l'Industrie, le sunnite Hajem Al Hassani et annoncé pour demain l'élection du Conseil présidentiel, la plus haute instance de l'Etat irakien. M. Al Hassani, 51 ans, a obtenu 215 voix des 241 députés présents (le Parlement compte 275 sièges). Originaire de Kirkouk et porte-parole du Parti islamique irakien (proche des Frères musulmans), il est devenu ministre de l'Industrie du gouvernement sortant d'Iyad Allaoui en juin 2004. Deux vice-présidents du chef du Parlement ont été élus, le chiite Hussein Chahristani, un scientifique spécialiste du nucléaire emprisonné sous le régime de Saddam Hussein, et le Kurde Aref Tayfour, un responsable du Parti démocratique du Kurdistan (PDK de Massoud Barzani). M. Hassani a demandé à toutes les confessions et ethnies d'Irak d'avancer « la main dans la main », pour « mettre fin à toutes les corruptions, financières et administratives, cesser tout jugement partisan » ou encore « faire face au terrorisme ». Après la discussion de questions diverses, M. Hassani a déclaré que « l'ordre du jour de la prochaine session, qui aura lieu mercredi (matin), sera l'élection du Conseil présidentiel et le règlement intérieur de l'Assemblée nationale ». Le Conseil présidentiel, composé du chef de l'Etat et de deux vice-présidents, doit être élu par les deux tiers des députés. Cette instance doit choisir à l'unanimité le Premier ministre. Une fois choisi, le Premier ministre a deux semaines pour former le gouvernement, qui doit être approuvé à l'unanimité par le Conseil présidentiel. Interrogé sur la possible élection mercredi du Conseil présidentiel, le futur Premier ministre pressenti Ibrahim Jaâfari, a dit être « optimiste » et a « souhaité que les pourparlers (pour la formation de l'exécutif) se fassent au rythme annoncé par l'Assemblée nationale ». Le favori pour le poste de chef de l'Etat est le dirigeant kurde Jalal Talabani président de l'Union patriotique du Kurdistan (UPK), et le poste de vice-président dévolu aux chiites devrait revenir au ministre des Finances sortant Adel Abdel Mehdi. Les sunnites ont trois candidats déclarés pour le poste de vice-président leur revenant : le président sortant Ghazi Al Yaouar, le vieux politicien Adnane Pachachi et un descendant de la famille royale, Chérif Ali. Toutes ces batailles se déroulent sur fond de violence. En effet, trois personnes ont été blessées hier dans une explosion près de la prison d'Abou Ghraïb tenue par les forces américaines à l'ouest de Baghdad, a indiqué une source au ministère irakien de l'Intérieur. Cette prison sortie à son corps défendant de l'anonymat, après les révélations sur les tortures infligées aux détenus irakiens, a fait l'objet d'une attaque samedi dans laquelle au moins 44 soldats américains et 12 prisonniers ont été blessés et un rebelle tué. L'armée américaine a de son côté déploré la mort de deux soldats, l'un samedi et l'autre dimanche, dans des explosions au nord de Baghdad, ce qui porte à 1529 le nombre de militaires américains tués en Irak depuis l'invasion de ce pays en mars 2003. Là est l'autre réalité irakienne rendant dérisoire, voire surréaliste le débat politique actuel qui se déroule sous haute protection, il est vrai.