Les mesures préventives extrêmement rigoureuses prises par le gouvernement Al-Maliki renseignent sur sa crainte de voir les groupes armés recourir à des méthodes extrêmes. L'Irak est en état d'alerte maximum après la condamnation de Saddam Hussein. Bien qu'une procédure automatique d'appel doit être engagée pour les condamnés à mort ou à la prison à vie, après les verdicts rendus dimanche par le Haut tribunal pénal contre Saddam Hussein et ses coaccusés, ce qui pourrait retarder de plusieurs mois l'exécution de la sentence, on craint la réaction des divers groupes qui mènent la guérilla à Baghdad et dans les grandes villes du pays. Saddam Hussein a été condamné à mort par pendaison, tout comme son demi-frère Barzan al-Tikriti et l'ancien président du tribunal révolutionnaire, Awad Ahmed al-Bandar. L'ancien vice-président, Taha Yassine Ramadan, a été condamné à la prison à vie. En cas de ratification de la décision prise en première instance, la sentence doit être appliquée dans les 30 jours, selon les statuts du tribunal. En cas de condamnation à mort, le décret d'exécution doit être signé par le président de la République ou ses vice-présidents. La réaction qui va suivre, et qui est somme toute prévisible, n'est pas à mettre au crédit de Saddam lui-même. Celui-ci a toujours eu les plus mauvaises relations avec les islamistes de son pays et les groupes armés d'obédience djihadiste en général, qui lui reprochent son idéologie baâthiste, largement puisée des thèses de Michel Aflak et Satî al-Huçari, et qui a été jugée par les salafistes comme une théorie anti-islamique, hérétique et rénégate. Entre Saddam et les djihadistes, c'est une longue et profonde guerre d'usure qui dure depuis trente années. Sauf que cette fois-ci, les donnes ont changé et depuis la première guerre lancée par Washington contre Baghdad, en 1991, le djihad a pris la décision de soutenir le peuple irakien. Le regain de foi de la part de Saddam, qui a fait diffuser de lui des scènes de prière, a repositionné les alliances en sa faveur. Aujourd'hui, si l'on peut prévoir que ses anciennes troupes du Haras el-Joumhouri, la Garde républicaine, ou des services spéciaux, largement recyclés dans la guérilla, vont tout faire pour lui venir en aide, et même tenter de le libérer, il y a aussi à prévoir que les groupes djihadistes, soit ceux qui se réclament d'Al Qaîda, comme Qaîdate al-jihad fi bilad er-Râfidaïne, soit ceux qui sont autonomes et plus «politisés», comme l'Armée islamique en Irak, entrent en action. Le fait de donner un «cadeau» à Bush, à la veille d'élections importantes aux Etats-Unis, est décodé comme une allégeance totale de Baghdad à Washington, et se traduira sur le terrain par une flambée d'actes de violence. Scott Ritter, inspecteur de l'armement en Irak pour le compte des Nations unis de 1991 à 1998, et auteur du célèbre livre Frontier Justice: Weapons of the Mass Destruction and the Bushaking of America, donnait récemment cette terrible prophétie: La bataille pour l'avenir souverain de l'Irak est une bataille pour le coeur et l'esprit du peuple irakien. Dans l'état actuel des choses, il apparaît que la victoire sera du côté de ceux qui sont le plus en phase avec les réalités de la société irakienne d'aujourd'hui, à savoir les dirigeants de la résistance anti-américaine. Au lendemain de la première guerre du Golfe, le régime de Saddam Hussein s'est transformé en un mélange de fondamentalisme musulman, de tribalisme et de nationalisme qui reflétait mieux la réalité politique de l'Irak. Grâce à sa planification méticuleuse et sa clairvoyance, les lieutenants de Saddam sont actuellement en train de diriger la résistance irakienne, y compris les groupes islamistes. Scott Ritter estime que l'idéologie traditionnelle baâsiste, basée sur un nationalisme arabe autour de l'Irak, n'était plus la force motrice qu'elle était dix ans auparavant. La création d'une nouvelle base de pouvoir exigeait de rallier, non seulement la majorité chiite -qui s'était révoltée contre lui au printemps de 1991- mais aussi de tenir compte de l'intégrisme religieux croissant chez les traditionnels alliés, tels que les principales tribus sunnites de l'ouest de l'Irak.Scott Ritter termine son analyse par cette sentence: «Une fois encore, le Pentagone se trompe. La politique des Etats-Unis en Irak est incapable ou refuse de voir la réalité de l'ennemi sur le terrain. La résistance irakienne n'est pas un ´´mariage d'intérêts´´, mais plutôt le résultat de plusieurs années de préparation. Quel que soit le nombre de soldats que les Etats-Unis fourniront et quelle que soit la durée de leur séjour, le gouvernement irakien est condamné à échouer. Et plus il échouera, plus il devra compter sur les Etats-Unis pour le maintenir en place. Et plus les Etats-Unis soutiendront ce gouvernement, plus il se discréditera auprès de la population irakienne - ce qui créera encore plus d'opportunités pour la résistance irakienne. Le calcul est très simple: plus nous nous retirerons rapidement du pays, plus ce mouvement sera faible. Et l'inverse aussi est vrai bien sûr. Plus nous resterons et plus ce mouvement, sous-produit de la guerre décidée par Bush, sera fort. Il n'y a pas de solution élégante à notre débâcle en Irak. Il n'est plus question de gagner, mais de limiter la défaite».Si le gouvernement irakien, et son allié américain, s'en sortent indemnes de ce piège que représente la condamnation de Saddam, il peut lancer un grand ouf de soulagement.