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Importation de véhicules neufs : Le cahier des charges, les incohérences d'une démarche
Publié dans El Watan le 12 - 08 - 2020

Les citoyens et les professionnels du secteur l'attendaient pour fin juillet. Le cahier des charges pour l'importation de véhicules neufs n'est toujours pas prêt. Il a pourtant été adopté en Conseil des ministres il y a deux semaines. Il ne manquait que sa publication dans le Journal officiel n°42. A la parution de ce dernier, point de cahier des charges.
A la surprise générale, on en reparle encore dans le dernier Conseil des ministres, où le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, presse encore le ministre de l'Industrie, Ferhat Aït Ali, en insistant sur le caractère urgent de sa présentation avant la fin de la semaine. Mieux encore, le chef de l'Etat demande à ce que l'on sépare le texte destiné aux opérateurs nationaux.
Mais dans le document élaboré par les services du ministère de l'Industrie, il n'y a pas que cet aspect qui pose problème. «Les conditions draconiennes» imposées aux opérateurs de l'automobile aussi.
La première remarque dans le milieu de l'automobile en Algérie porte sur l'obligation faite aux postulants étrangers d'intégrer 51% de résidents nationaux. «Cette disposition est-elle rétroactive, puisque la loi de finances 2020 d'où elle est inspirée ne l'est pas ?» s'interrogent des opérateurs qui posent la question de savoir si la remise en cause de tous les agréments attribués relevant du décret 15-58 du 8 février 2015 suffit pour remettre en cause les participations au capital d'une société exerçant depuis des années auparavant ? Cette rétroactivité s'appliquera-t-elle aux autres secteurs d'activité ? Sinon pourquoi seulement l'automobile ? Autant de questionnements qui restent sans réponse dans le texte élaboré par le ministère de l'Industrie.
Plus précisément, nos sources relèvent que l'article en question dispose du même objet que le projet du ministère du Commerce relatif aux conditions et modalités d'exercice de l'activité d'importation de matières premières, produits et marchandises destinés à la revente en l'état. Pourquoi une telle disposition ne s'appliquerait-elle pas aussi à l'activité de concessionnaire de véhicules neufs ? Un véhicule est aussi un produit.
Chevauchement entre deux ministères
La réglementation de la revente en l'état relèverait-elle également de la responsabilité du ministère de l'Industrie ? se demandent par ailleurs nos interlocuteurs, qui pensent qu'il aurait été «préférable de laisser la réglementation de l'aspect commercial de l'importation automobile en CBU à la charge et à la responsabilité du Ministère du Commerce, et l'aspect technique au ministère de l'Industrie pour assurer la coordination et la cohérence entre les deux projets de décret».
Le cahier des charges suggère et suscite autant de questions qu'il n'apporte visiblement de réponses. Ainsi, pour la disposition qui stipule que «le concessionnaire, personne physique ou morale, ne peut prétendre qu'à un seul agrément de concessionnaire lui permettant d'exercer l'activité et représenter jusqu'à deux marques de véhicules sur le territoire» est elle problématique. «Si l'activité d'importation de véhicules neufs pour la revente en l'état est ouverte aux sociétés commerciales, la personne physique pourrait-elle être concessionnaire ?» s'interroge, en effet, un expert contacté par El Watan, qui met également l'accent sur «l'exigence de l'exclusivité qui impose au constructeur de choisir un seul concessionnaire».
Qu'en sera-t-il, dit-il, pour les constructeurs qui disposent d'une gamme multimarque ? Devront-ils avoir autant de concessionnaires que de marques, ou faire le choix de la marque qui sera représentée en Algérie ? Dans le secteur de l'automobile, on considère en effet que «la limitation de la concession à deux marques pour une société commerciale est une restriction à la liberté d'investissement et de commerce garantie par l'article n°43 de la Constitution». «Cette limitation, estiment nos sources, ne favorise ni la concurrence ni la liberté de choix du consommateur.
Pis, elle restreint, selon elles, également l'investissement et conséquemment la création d'emplois.» Nos interlocuteurs font, par ailleurs, remarquer que «la consolidation dans la construction de l'automobile regroupe plusieurs marques chez la plupart des constructeurs, qui croisent leurs capitaux dans l'objectif de rechercher l'économie d'échelle, le partage de composants et des technologies». «Concéder les différentes marques de leur gamme à des concessionnaires différents ne serait pas à l'avantage de ces derniers, qui seront dans l'obligation de stocker des références communes de la pièce de rechange pour différentes marques d'un même constructeur, avec le risque certain d'une accumulation de stock néfaste pour les concessionnaires et fatalement pour le pays avec l'aggravation que cette démultiplication engendrera dans la facture d'importation», expliquent-il.
D'où cette interrogation sur l'objectif de la limitation de la concession à deux marques contraire aux pratiques commerciales : «S'agit-il d'une répartition des marques pour augmenter le nombre de concessionnaires ou pour limiter le nombre de constructeurs et marques ?»
Des mesures pénalisantes pour les concessionnaires
Autre mesure que ne comprennent pas les professionnels de l'automobile est le dimensionnement des infrastructures et autres installations. Dans le milieu de l'automobile, on considère que «l'obligation à des niveaux de surface importants constitue une double pénalisation pour le concessionnaire, qui est poussé à surinvestir, et par conséquent à augmenter ses coûts dans une période de restriction des importations dont l'objectif est d'en réduire la facture liée au secteur de l'automobile». «La réalisation de ces investissements ne semble pas cohérente dans un contexte caractérisé par une double crise financière et sanitaire, qui n'encourage pas les volumes d'activité», nous expliquent des spécialistes, qui ne manquent pas de relever dans le cahier des charges d'autres lourdeurs liées aux tracasseries bureaucratiques, qui décourageraient le plus téméraires des investisseurs.
La demande de l'agrément est un véritable parcours du combattant sans être sûr du résultat à la fin. «L'autorisation provisoire engage le concessionnaire à confirmer et créer ses investissements, à recruter ses compétences, à mettre en place ses équipements, etc. pour ensuite demander l'autorisation définitive.» Dans le milieu des opérateurs, la disposition inquiète. On pense que «cette obligation met en péril le concessionnaire si celui-ci n'obtenait pas l'autorisation définitive par la suite».
La question des normes reconnues à l'échelle mondiale
«La propriété est-elle exigée pour toutes les infrastructures ou seulement pour les enceintes d'exposition ? Pourquoi contraindre le concessionnaire à disposer de la propriété des infrastructures ? L'objectif est-il de vendre des véhicules ou de posséder des infrastructures ?» s'interrogent encore des opérateurs, qui craignent de consentir de lourds investissements, qui pèseront lourd dans leurs bilans, sans pour autant avoir la certitude de la pérennité de l'activité de concessionnaire de véhicules neufs.
Même l'obligation de facturation et d'approvisionnement directement du constructeur est problématique, indiquent nos sources. Selon ces dernières, «elle n'est pas compatible pour certains constructeurs, notamment japonais, qui ont recours à des maisons de commerce qu'ils accréditent dûment pour la commercialisation à l'exportation de leurs produits».
Des connaisseurs du secteur de l'automobile affirment que «les constructeurs considèrent que ces maisons de commerce réalisent de meilleures performances économiques dans l'exercice du métier de distributeur à l'intérieur du pays d'origine comme à l'extérieur, en offrant de meilleurs prix aux clients».
Ils estiment, en outre, qu'obliger «le concessionnaire de disposer d'un dépôt sous douanes est une interférence dans ses décisions d'investissement qui peut s'avérer antiéconomique, si le niveau de son activité n'est pas adapté». Pour eux, «les surcoûts que générerait une telle décision impacteront directement les coûts des produits et les tarifs aux clients». Des observations sont également faites sur «l'exigence de disposer de toutes les références de la pièce de rechange».
Cela entraîne, prévoient encore nos sources, «la création de stocks morts», sans compter, estime-t-on, que «l'arrêt de fabrication d'un modèle de véhicule met la disponibilité de sa pièce de rechange dans l'after-market, ce qui implique la difficulté d'obtention de la pièce de rechange chez le constructeur lui-même».
L'une des remarques les plus pertinentes de nos interlocuteurs porte sur les normes évoquées par le projet de cahier des charges, largement répercuté par les médias ces derniers jours.
Nos interlocuteurs soutiennent que «l'adoption des normes UN-UCE serait plus précise que la notion indéfinie de normes reconnues à l'échelle mondiale».


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