Ce n'est qu'à 22h30, avant-hier soir, que Hichem Mechichi, le chef du gouvernement nominé, a remis sa liste au chef de l'Etat, Kaïs Saïed, tellement les tractations étaient difficiles, bien qu'il s'agisse d'un gouvernement de compétences indépendantes. Les dernières retouches concernaient les ministères de la Justice et de l'Intérieur. Les délais constitutionnels de 30 jours ont été respectés et l'Assemblée des représentants du peuple (ARP) dispose de 10 jours pour se réunir en plénière, afin d'examiner l'octroi de sa confiance à cette équipe. Le qualificatif d'indépendants n'enlève en rien les affinités politico-culturelles des membres du gouvernement Mechichi. Ainsi, si le choix s'est finalement porté sur le juge Mohamed Boussetta pour le portefeuille de la Justice, c'est pour tranquiliser Ennahdha. Boussetta est jugé «acceptable» dans le camp Bhiri, le chef du bloc parlementaire des islamistes. Ce choix s'impose pour équilibrer l'équipe, puisque c'est l'avocat Taoufik Charfeddine, ami du président Saïed alors qu'il enseignait à la faculté de droit de Sousse, qui a été proposé à l'Intérieur. Charfeddine est connu pour être anti-islamiste. Le président Saïed avait voulu maintenir Thouraya Jeribi à la Justice. Mais, il a fallu ménager tout le monde. Mme Jeribi a été gardée dans le gouvernement, au poste de Chargée des relations avec les instances constitutionnelles et la société civile. L'autre venu de dernière minute fut Mohamed Trabelsi, aux Affaires sociales. Trabelsi est l'homme de l'UGTT, que le Président veut associer dans les décisions. Parmi les autres faits saillants de la composition proposée, il faut citer la proposition d'un médecin militaire, le Dr Faouzi Mehdi, à la tête du ministère de la Santé, un secteur gangrené par l'indiscipline et où il faut remettre de l'ordre. La proposition d'un brillant jeune docteur malvoyant de 34 ans, Walid Zidi, pour le ministère des Affaires culturelles, constitue un geste envers les personnalités aux besoins spécifiques. A part Thouraya Jeribi, trois ministres du gouvernement Fakhfakh repartent avec la nouvelle équipe. Il s'agit de Fadhel Kraiem aux Technologies de la Communication, Ahmed Adhoum aux Affaires religieuses, Ali Hafsi, le chargé des relations avec l'Assemblée, alors que Akissa Bahri est passée ministre de l'Agriculture, de la Pêche et des Ressources hydrauliques, après avoir été Secrétaire d'Etat dans ce département. L'indépendance de Ali Hafsi est contestée, puisqu'il a été, il y a quelques semaines, le secrétaire général du parti Nidaa Tounes. Chances En gros, personne ne doute de la qualification des compétences choisies. Mais, en politique, si on fait des élections, c'est pour choisir les personnes qui vont gouverner, comme ne cesse de le rappeler Rached Ghannouchi, le président d'Ennahdha et de l'ARP, pour justifier son rejet de cette option de gouvernement de compétences indépendantes. Et ce n'est pas uniquement Ennahdha (54 sièges) qui a exprimé des réserves sur cette formation, le bloc Al Karama (19) s'est, lui-aussi, montré réticent par rapport à l'équipe Mechichi. Par ailleurs, le parti Ettayar (23), présidé par Mohamed Abbou, a carrément rejeté cette proposition. Si l'on ajoute les quelques députés proches de l'actuel chef de gouvernement, El Yes Fakhfakh, qui veut rester aux commandes six à huit mois, le temps de préparer des élections anticipées, le sort du gouvernement Mechichi dépend, en grande partie, du vote des islamistes d'Ennahdha. Pour renforcer ses chances d'obtenir la confiance, Hichem Mechichi n'a cessé de rappeler, lors de ses dernières rencontres avec les partis politiques, que son gouvernement appliquera le programme qu'il présentera pour approbation à l'ARP. Mais, les partis sont divisés entre deux peurs. D'un côté, ils savent pertinemment que l'électorat en a marre de leurs tracasseries, d'où la montée dans les sondages de Abir Moussi, un des symboles du régime déchu de Ben Ali. Rached Ghannouchi risque de perdre son poste de président de l'ARP. De l'autre, faire de la politique, sans leurs visages au-devant de la scène, risque de les faire oublier, même s'ils sont encore à l'Assemblée. La réussite de Mechichi équivaut leur échec à eux. Une équation difficile à laquelle les prochains jours apporteront une réponse. Tunis De notre correspondant Mourad Sellami