Une rencontre entre les différents acteurs économiques et sociaux a eu lieu les 18 et 19 août pour définir les objectifs d'un plan de relance socio-économique et d'arrêter les voies et moyens pour les concrétiser. C'est une démarche intéressante qui nous pousse à nous interroger sur les véritables raisons ou causes qui ont fait échouer les anciens plans de relance. Pour pouvoir identifier quelques éléments de réponse à cette question, voyons ce que nous enseigne l'histoire de l'économie du développement. Depuis les années 50', les théoriciens de l'économie essayaient de définir un modèle qui permettra l'amorce d'un décollage économique et assurera une croissance continue à moyen et long termes. Ils ont voulu identifier les facteurs aptes à déclencher le processus de développement et circonscrire également les causes qui peuvent le faire échouer. Mais, l'histoire de l'économie du développement nous apprend que les résultats positifs ou négatifs des différentes options appliquées n'ont pas permis de définir un modèle type, applicable à tous les pays sans tenir compte de leurs spécificités économiques et sociales, de la nature de leur gouvernance et de la qualité de leurs institutions. Les expériences en développement menées par des pays d'Amérique latine et d'Asie nous confirment qu'en matière de développement, il n'y a pas de miracle économique. Il y a une démarche, souvent pragmatique, des conditions préalables liées à la gouvernance et aux choix économiques. Le prix Nobel d'économie Michael Spense souligne le rôle décisif des conditions suivantes dans tout plan de développement ou de relance économique : – la volonté politique ; – la recherche d'un consensus ; – le renforcement de la communication ; – la transmission d'une vision d'avenir qui engage le citoyen à s'impliquer et à participer d'une manière positive et conséquente au développement. En outre, la Banque mondiale, dans ses travaux sur les stratégies de croissance, a mis en relief l'importance de certains principes qui agissent favorablement sur la réussite de tout plan de relance économique. Ces principes sont : – la croissance est un facteur-clé pour le développement et pour la lutte contre la pauvreté et les inégalités ; – la croissance est une démarche à long terme qui a besoin de la stabilité politique et économique ; – la croissance exige un fort taux d'investissements, privés et publics : un taux de 25 à 30% du PIB constitue une bonne référence ; – la croissance suppose une intégration à l'économie mondiale pour acquérir et maîtriser de nouvelles technologies et s'introduire au marché international ; – l'intégration régionale est un précieux atout de développement ; – la concurrence est une option nécessaire durant tout le processus de développement, c'est un outil de régulation, de réduction de coûts et de promotion de la qualité ; – la croissance suppose la mobilité de la main-d'œuvre et la lutte contre le marché informel dans le monde du travail. Une politique de protection sociale efficace et égalitaire est un élément constitutif d'un développement équitable ; – la croissance doit conduire à un partage équitable des résultats ; – la qualité de l'éducation et de la formation et l'égalité des chances sont des facteurs déterminants pour un meilleur développement. Ils constatent également que la qualité de la gouvernance, l'engagement politique et une présence agissante et efficiente de l'Etat sont des facteurs qui ont joué un rôle déterminant dans la croissance. En outre, ces expériences réussies ont accordé une importance capitale à l'entreprise en lui accordant les moyens les plus adéquats pour assurer sa pérennité et ses performances : facilités dans la création des entreprises, régime fiscal stimulant, soutien technique, financier et managérial, soutien à l'exportation… Le pragmatisme dans le processus de développement a été un élément essentiel de la démarche qui a favorisé l'adaptation aux changements et la maîtrise du processus, avec des possibilités d'évaluation et de prise de décisions correctives au moment opportun. Le pragmatisme ne veut pas dire improvisation, c'est une démarche empirique et réaliste qui s'inscrit dans une stratégie dont les objectifs sont connus et bien cernés. Tenant compte de ces enseignements, voyons quelles sont les causes qui ont fait échouer les précédents plans de relance économique. Nous classons ces différentes causes en quatre catégories : – les causes induites par la non-maîtrise des outils de conception d'un modèle économique et à la définition des objectifs stratégiques ; – les causes liées à la gouvernance et à la qualité des institutions ; – les causes liées aux différentes étapes d'exécution du plan et les responsabilités ; – les causes liées à l'absence d'une méthode d'évaluation objective et indépendante de l'Exécutif. Les causes induites par le manque de maîtrise des outils de conception d'un modèle économique ou d'une stratégie de développement et de croissance ont conduit à des stratégies qui ont coûté très cher à l'économie algérienne (par exemple, retenir l'évaluation financière comme seul critère d'évaluation d'un plan de relance, exprimée en taux de consommation des crédits). Nous savons que la définition d'une stratégie de développement repose sur une vision à long terme et tient compte des forces et faiblesses de l'économie et des opportunités et menaces de l'environnement politique et économique. La définition d'une stratégie s'appuie également sur la concertation avec les acteurs économiques et sociaux et les experts des différents domaines. L'ignorance de ces principes a conduit, en premier lieu, à la définition d'objectifs irréalisables qui dépassent notre ingénierie des projets et nos capacités techniques et managériales. En outre, cette démarche a sous-estimé la complémentarité entre les régions, les interactions entre les activités et ignoré l'apport de la sous-traitance. Les précédents plans de relance n'ont jamais retenu la création de pôle de compétitivité comme moyen pour encourager la collaboration entre l'entreprise et l'université et favoriser l'innovation et la compétitivité de nos produits. Ils ont ignoré les possibilités d'exportation et favorisé les importations des produits étrangers au détriment des produits locaux. Les concepteurs de ces plans de relance ont opté pour la facilité en s'appuyant totalement et exclusivement sur le facteur «hydrocarbures». Ces erreurs ont conduit l'économie algérienne à l'impasse et à des coûts faramineux qui n'ont pas donné de résultats palpables. La deuxième cause principale qui a contribué fortement à l'échec des plans de relance trouve son origine dans la nature de la gouvernance et de ses institutions. L'absence de démocratie, de concertation et l'exclusion des spécialistes dans la prise de décisions stratégiques, dans l'évaluation, dans la correction des dysfonctionnements a multiplié et aggravé les erreurs. Toutes les institutions qui caractérisent un système démocratique existaient, mais aucune ne remplit correctement et pleinement son rôle. La dilution des responsabilités, la composante humaine, l'excès de procédures ont transformé les institutions en facteurs de blocage au lieu d'être un facteur déterminant dans le succès des plans de développement. La manière de gérer le pays où tout le monde était suspendu à la décision «venant d'en haut» a réduit le rôle des institutions. Elles ne possédaient aucun pouvoir réel pour faire évoluer les choses, les évaluer ou les corriger. En outre, l'évaluation des plans de relance économique et du suivi sur le terrain a privilégié l'aspect politique, voire démagogique au détriment d'une démarche technique qui s'appuie sur les étapes de réalisation d'un projet : définition des objectifs avec le planning de réalisation, délimitation des responsabilités, application, évaluation, mesures correctives. L'évaluation était purement physique, exprimée en termes du nombre de projets, de logements, d'usines ou écoles réalisées. L'évaluation était quantitative. Elle ne prend pas en compte les indicateurs sur la rentabilité des investissements, sur la qualité de la réalisation, sur l'apport et l'impact de ces réalisations sur l'économie ou le social. Les objectifs doivent être ciblés à long terme avec des étapes intermédiaires. Par exemple, atteindre le niveau d'une économie émergente en 2030 et définir des objectifs économiques sur des échéances à moyen terme, donc 2024, 2028, 2030. L'Union européenne a défini depuis des décennies les objectifs qualificatifs à atteindre en 2030 et ciblé les moyens et les démarches à suivre pour les atteindre. Actuellement, ses experts travaillent sur les objectifs 2050. Les résultats de ces démarches erronées sont aujourd'hui connus et constatés : la dépendance aux hydrocarbures est la même depuis une vingtaine d'années, nos produits sont très peu compétitifs, les exportations hors hydrocarbures sont insignifiantes, nos universités, notre système de santé, le secteur bancaire et le climat des affaires sont très mal classés par rapport aux économies émergentes. Ce type de gouvernance a conduit l'économie algérienne à l'impasse. Alors qu'elle ambitionne de rejoindre, assez rapidement, le niveau d'une économie émergente. Le pays avait les moyens, aussi bien sur le plan des ressources que sur les plans humains et financiers pour atteindre cet objectif. Les expériences d'une croissance élevée et continue montrent que cette stratégie ne relève pas du miracle, mais relève d'une démarche étudiée et volontairement appliquée en réunissant un large consensus. Le hasard n'a pas de place dans le processus de développement d'un pays. La réussite d'un plan de relance économique nécessite une révolution dans notre manière de gérer, dans les comportements de tous les acteurs. Espérons que la rencontre des acteurs économiques et sociaux des 18 et 19 août aboutira in fine à une nouvelle démarche, à des objectifs réalisables, réalistes et mesurables, des voies et moyens pour concrétiser ces objectifs pour rendre l'économie algérienne performante et la placer le plus rapidement possible sur la trajectoire d'une économie émergente. Par Brahim Lakhlef Email : [email protected] ——————– NB : Pour plus d'informations sur ce thème, voir : Rapport sur la croissance : stratégie à l'appui d'une croissance durable et d'un développement équitable. Banque mondiale. «Qualité des institutions, réformes et résultats économique» de Brahim Lakhlef, les éditions : Alger- Livres- Editions, 2013