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La chanteuse algérienne Thouraya : Une grande dame qui fut l'étoile d'une belle époque
Publié dans El Watan le 08 - 09 - 2020

Il y a cinq ans, le 8 juin 2015, nous l'avions rencontrée à la salle Ahmed Bey (Zénith) de Constantine lors de la soirée hommage organisée à la mémoire de la regrettée diva Warda El Djazaïria à l'occasion de la Journée nationale de l'artiste. Elle était souriante, affable et d'une grande modestie.
Des qualités qui ont fait sa personnalité durant toute sa carrière artistique. «Vous m'avez malheureusement oubliée», nous avait-elle lancé, en guise de reproche adressé à la presse, mais surtout à la population de Constantine, sa ville natale.
Des regrets pour cette grande dame qui était l'une des invitées d'honneur de cet événement inédit. Malheureusement pour elle, après une très longue absence, elle était passée complètement inaperçue, au moment où les caméras des chaînes privées algériennes se disputaient un entretien avec l'actrice égyptienne Ilhem Chahine. Un constat amer, car après des années passées en Tunisie et en Egypte, la chanteuse algérienne Thouraya (dont paradoxalement le prénom en arabe veut dire étoile, en référence à la constellation des pléiades, très connue en astronomie) avait beaucoup souffert de cet éloignement durant des décennies.
Bien que les générations des années 1960 et 1970, notamment les femmes, se rappellent encore de ses célèbres chansons passées à la radio et à la télévision à l'époque du noir et blanc, et alors qu'il n'y avait pas encore d'invasion des chaînes télévisées étrangères à travers les célèbres antennes paraboliques, qui ont fait leur apparition au début des années 1990, elle demeure inconnue chez les jeunes. Mis à part les émissions d'antan qui s'intéressaient aux chanteuses de sa génération nées dans les années 1930-1940 à l'instar de Seloua, Nora, Warda El Djazaïria et d'autres, un travail de mémoire pour la valorisation de la culture algérienne faisait énormément défaut à la télévision algérienne durant deux décennies.
Il est tout de même utile de noter que Thouraya était à son époque et demeure à ce jour l'une des rares chanteuses algériennes à avoir touché à plusieurs genres musicaux, dont l'oriental, le moderne, le malouf, le religieux, mais aussi le chant patriotique. En fait, et malgré une carrière pleine et très riche, Thouraya n'a pas eu droit à un hommage digne de ce qu'elle a donné à la culture algérienne durant 60 ans. Même si elle avait été accueillie avec les honneurs en 2009 dans sa ville natale Constantine lors du Festival international du malouf.
Le dernier hommage lui a été rendu en 2018 par le ministère de la Culture et l'association culturelle El Hachemi Guerouabi, présidée par Chahira Guerouabi, à l'occasion du festival Djawhara des femmes créatrices. Ce qui est très peu pour une grande dame qui a marqué son époque depuis ses débuts dans les années 1950 jusqu'à l'apogée de son parcours artistique dans les années 1970-1980. C'est la télévision algérienne qui lui a finalement consacré, il y a quelques années, une émission spéciale produite et présentée par Assia Talbi, dans laquelle elle est revenue sur sa vie et son parcours depuis sa ville natale, Constantine.
Une passion immodérée pour la chanson
De son vrai nom Thouraya Bendriss, elle est née le 15 janvier 1931 dans une maison à la vieille ville de Constantine, située à la rue Baba Hnini, dans le quartier de Souika, exactement à l'entrée du côté droit de la rue principale Mellah Slimane, juste à proximité du pont Sidi Rached. Une maison qui se trouve malheureusement dans un îlot de bâtisses menaçant ruine.
Elle avait grandi avec sa sœur et son frère dans une famille conservatrice, et avait été élevée dans la pure tradition constantinoise. Après avoir fréquenté l'école coranique de la zaouia Taïbia, dans le quartier de Sidi Bouannaba, où elle passait la journée chez sa tante qui y habitait, elle avait suivi les cours de l'école de l'association Essalem jusqu'à l'âge de 10 ans, quand son père décide de mettre fin à sa scolarité. «Comme les jeunes filles de l'époque j'adorais faire de la broderie avec ma mère, une tradition bien ancrée au sein des familles constantinoises, mais la chose qui me passionnait le plus était de chanter ; j'écoutais beaucoup les chansons orientales, mais j'aimais beaucoup celles d'Oum Keltoum et d'Asmahane que je reprenais toujours à la maison», confiait-t-elle lors d'une émission télévisée.
Tous ses proches et ceux qui l'ont connue dans sa jeunesse témoignaient qu'elle avait une belle voix. Toujours avide d'apprendre, elle avait rejoint en 1944, alors qu'elle avait à peine 13 ans, l'association Toulouaâ El Fedjr (Lever de l'aurore), fondée en 1937 par Mohamed Derdour (1909-1979). La même association qui avait accueilli dans ses rangs le défunt maître du malouf, cheikh Mohamed-Tahar Fergani.
Mais Thouraya était tellement ambitieuse qu'elle tenta sa chance en se produisant pour la première fois en 1947 à la radio à Constantine, en interprétant la célèbre chanson Ala baladi El Mahboub, de Mohamed Abdelwahab. Mais cette passion immodérée pour la chanson n'était pas du goût d'un père conservateur très attaché aux traditions, qui lui avait interdit toute activité ou prestation artistique à une époque où une femme qui chantait était très mal perçue. Thouraya n'était nullement prête à lâcher, préférant contre vents et marées faire un dur sacrifice pour poursuivre sa carrière. La mort dans l'âme, elle avait quitté le domicile familial pour rejoindre sa sœur en Tunisie en 1951. C'était finalement durant son séjour dans ce pays qu'elle avait trouvé les conditions favorables pour s'émanciper et développer son talent prometteur qui lui ouvrira les portes de la célébrité.
Le début d'une longue carrière
A peine une année passée au sein de la célèbre association Errachidia, dirigée par Khemais Ternane, Thouraya côtoie les grands noms de la chanson en Tunisie, à l'instar de Salah El Mahdi, Redha El Kolai, Oulaya, Saliha, Naâma et autres.
C'est dans ces circonstances qu'elle avait décroché un contrat avec une troupe tunisienne pour une tournée artistique à Paris et Marseille. Cet événement sera salutaire dans sa vie artistique. Elle réalisera son rêve en enregistrant grâce à Mohamed El Djamoussi son premier album 78 tours en juillet 1952 à Paris chez Barclay. Elle avait à peine 21 ans, et ce sera le début d'une riche carrière. Les succès suivront avec sa célèbre chanson Ya lalla goulou loummi, œuvre de Abdelkrim Lahbib. Mais c'est sa rencontre à Paris en 1959 avec le talentueux et brillant compositeur Amraoui Missoum qui marquera un tournant décisif dans sa carrière, avec de nombreuses chansons qui feront sa célébrité.
La même année marquera pour elle un pas important dans l'histoire quand elle rejoint la troupe artistique du FLN dirigée par le défunt Mustapha Kateb. «Je garde des souvenirs inoubliables de notre tournée à Moscou où le drapeau algérien avait flotté dans le ciel de cette ville ; c'était une grande fierté pour moi d'être parmi les membres de la troupe du FLN, avec de grands artistes comme Ahmed Wahby», a-t-elle révélé. Thouraya connaîtra l'apogée de son art après l'indépendance où elle sera la vedette des tournées dans plusieurs pays, à l'instar de la France, l'Italie, la Suède, la Hollande, l'Egypte, le Maroc et la Tunisie. Elle chantera pour Mustapha Sahnoune Ouyouni ma chafet, alors que Lahbib Hachelaf lui composera en 1963 sa célèbre chanson Mdinet Qcentina.
Elle travaillera également avec Mahboub Bati, Cherif Kortebi et Tayssir Aqla. Elle chantera entre autres Ya chari dala, Ala ouled el khala, Aleche ya nari, mais son plus grand succès demeure sans conteste sa chanson Narek ya bounarayne, qui a dépassé les frontières, quand Thouraya l'interprétera avec le célèbre orchestre égyptien El Massia.
La belle histoire de la chanteuse avec le malouf commencera dans les années 1970. «En raison de mes origines constantinoises, on me demandait souvent pourquoi je ne chantais pas le malouf ; c'est ainsi que j'ai décidé de vivre cette belle aventure qui avait connu le succès grâce à des maîtres incontestés du malouf qui m'ont beaucoup appris, je citerai cheikh Kaddour Darsouni, cheikh Abdelkader Toumi, cheikh Brahim Amouchi, sans oublier cheikh Mohamed-Tahar Fergani qui m'avait beaucoup soutenue», a-t-elle témoigné en signe de reconnaissance.
Elle fera ses meilleures prestations avec Ma andi zella, Ya bahi El jamal, Acheq memhoune et beaucoup d'autres titres célèbres puisés de ce patrimoine musical. Thouraya avait également montré de vrais talents de comédienne, mais elle fera son unique apparition dans le film El Ihmal (La négligence), réalisé en 1972 par Mohamed Houidek, dans lequel elle avait joué aux côtés de la défunte Fatiha Berber.
Depuis les années 1980, Thouraya semblait avoir connu une retraite forcée bien qu'elle pouvait donner encore plus à la chanson algérienne, malgré son âge. Elle sera victime d'une amnésie qu'elle sentira durement durant des années.
Du haut de ses 89 ans, elle mérite toujours les honneurs dignes d'une grande dame qui fut l'étoile d'une belle époque, tant qu'elle est encore vivante.


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