En 2017, les 42 compagnies africaines, membres de l'AFRAA, ont transporté 83,3 millions de passagers (+12% par rapport à 2016), tous réseaux confondus, ne captant qu'un tiers du marché africain, la part du trafic intra-africain n'étant que de 26,9 millions de passagers. Sur 4,08 milliards de passagers transportés dans le monde en 2017 par les 189 pays membres de l'OACI, seulement 3% de ce trafic reviennent à l'Afrique. La situation de l'activité fret est identique, la même tendance est reproduite pour ce secteur, ne représentant que 2,5% du trafic mondial Le marché aérien de l'Afrique, bien qu'en continuelle expansion, n'a pas atteint son plein potentiel. Une étude de l'Association du transport aérien international (ATA) prévoit d'ailleurs une augmentation de 274 millions de passagers de plus par an jusqu'en 2036, faisant de ce marché régional un investissement prometteur. Le trafic aérien africain demeure cependant limité : 3% des passagers sont africains, tandis que le continent représente 17% de la population mondiale, provoquant un élan de convoitise parmi les compagnies aériennes. Ethiopian Airlines, notamment grâce à la rénovation de l'aéroport d'Addis-Abeba en 2003, domine actuellement la concurrence. Un autre joueur cherche à prendre la tête : Royal Air Maroc La compagnie marocaine, un temps en difficultés financières, se place actuellement quatrième du marché africain et entrera en 2020 dans l'alliance Oneworld, qui regroupe notamment American Airlines, British Airlines, Japan Airlines et Cathay Pacific. Une façon pour elle de contrebalancer les alliances de ses principales concurrentes, Ethiopian Airlines, Kenya Airways (Sky Team) et South African Airlines (Star Alliance). Rien que pour 2018, le continent a accueilli sur son sol 67 millions de visiteurs, soit une hausse de 7% par rapport à 2017, faisant ainsi du continent la deuxième région du monde la plus visitée. En dépit de tout cela, le transport aérien africain peine à tirer son épingle du jeu, eu égard aux nombreuses restrictions que sont : – les coûts élevés d'opération, (cherté du carburant, taxes élevées), Il fera noter que la part du carburant est de 25% dans l'exploitation d'une compagnie. Or, celle-ci peut aller jusqu'à 35% des charges, due à la cherté du carburant. Et ceci ne concourt pas à la rentabilité des compagnies. A ces travers s'ajoutent les redevances aéroportuaires qui pèsent lourd sur les charges des compagnies. Ils (carburant et taxes) représentent 55% du tarif proposé. Les problèmes de connectivité freinent par ailleurs l'essor des transports aériens africains. Le manque criant de connectivité fait perdre énormément d'argent aux compagnies africaines. Tout ceci faute de solidarité entre les compagnies qui, sur les mêmes lignes, desservent avec moins d'une soixantaine de passagers pour un avion de 200 passagers, voire plus. Et pendant ce temps, on peine à trouver un autre vol pour poursuivre son trajet. Donc, énormément de temps perdu et d'argent. Ou alors, faire un grand tour des pays. Ces chiffres, les enjeux de positionnement des compagnies et la levée de certaines restrictions démontrent les grandes possibilités existantes au niveau de ce marché qui est en train d'échapper à la compagnie nationale Air Algérie en dépit d'une présence historique et importante. Absente depuis plusieurs décennies, Air Algérie a péché par un manque de vision criant et coûteux. Air Algérie est resté assise sur une position s'appuyant sur un modèle d'affaires figé qui l'a reléguée parmi les compagnies africaines les moins entreprenantes. Dans ce contexte de libéralisation, de mondialisation fragilisée par la crise économique actuelle, les compagnies aériennes africaines éprouveront des difficultés : – à trouver des sources de financement ; – à renouveler leur matériel volant ; – à former leurs personnels ; – à mettre en place les technologies appropriées. D'autre part, elles subissent la concurrence effrénée exercée par les compagnies étrangères qui abusent de leur position dominante. Pour parer à cette offensive, les Etats africains se sont efforcés d'asseoir une «politique aéronautique» prenant appui sur la Déclaration de Yamoussoukro en 1988, puis de la Décision de Yamoussoukro de 1999 adoptées par les ministres des Transports. Le 7 octobre 1988, les ministres africains chargés de l'aviation civile se sont réunis afin d'établir un cadre de coopération entre Etats africains et une intégration de leurs compagnies aériennes, en libéralisant notamment les droits de 5e liberté avec des structures devant déterminer : – une politique tarifaire commune ; – la création d'une société de financement et de location d'aéronefs ; – l'acquisition de systèmes de distribution. C'est ainsi qu'est née la Déclaration de Yamoussoukro. C'est sur cette base qu'a été rédigée la Décision de Yamoussoukro le 14 novembre 1999, adoptée par les ministres chargés de l'aviation civile et entérinée par la Conférence des chefs d'Etat et de gouvernement de l'OUA en juillet 2002 à Lomé. Le contenu de cette Décision, outre le libre exercice des droits de trafic, la libre fixation des tarifs et des capacités non limitées, est de favoriser : – le désenclavement du continent africain ; – le développement des liaisons intra-africaines ; – la participation du secteur privé. En pratique, il s'avère que la mise en œuvre de cette Décision est mitigée car elle est source d'interprétations divergentes et parfois même de tensions entre certains Etats. L'application de la décision de libéralisation du ciel africain telle que préconisée par Yamoussoukro s'est heurtée au problème de souveraineté des pays, motif premier de blocage de l'initiative. En revanche, la libéralisation a été offerte à des compagnies hors Afrique (Air France). Les 29 et 30 mai 2006, s'est tenue à Tunis une réunion de haut niveau des compagnies aériennes sous l'égide de l'Union africaine en collaboration avec l'AFRAA, le représentant du NEPAD, de la Banque africaine de développement pour essayer d'étudier les moyens à mettre en œuvre pour impulser le trafic aérien africain et passer en revue l'état dans lequel se trouvent les compagnies aériennes africaines. Parmi les constats, il a été relevé que seule une douzaine de compagnies africaines continuent d'opérer, celles qui ont disparu étant victimes de la libéralisation. Tous les intervenants se sont accordés à encourager la mise en œuvre rapide de la Décision de Yamoussoukro, mais beaucoup de différends ont émergé en raison des intérêts nationaux. Il a été suggéré d'établir un espace unique et de créer des compagnies régionales ou continentales. Enfin, il a été proposé de s'organiser en communauté afin de négocier, avec l'aide de l'Union africaine d'égal à égal avec des institutions telles que l'Union européenne sur la question des accords aériens. Mais la présence de la BAD et donc la question financière n'a pas eu l'écho attendu de la part des participants, tant l'attitude des représentants de cette Banque est demeurée frileuse sur les éventuelles aides qu'elle pourrait octroyer aux compagnies ; en effet, tout le monde s'est accordé à affirmer que les opérateurs africains souffraient d'un manque de moyens financiers pour se doter des équipements nécessaires à leur développement et au renouvellement de leurs flottes respectives, mais ce n'est pas pour autant qu'une réponse claire leur a été apportée. Au sein de l'AFRAA, si les compagnies de l'Afrique du Nord, du Sud et de l'Est connaissent une situation relativement acceptable, supportée plus souvent par les pouvoirs publics respectifs, celles de l'Afrique de l'Ouest et Centrale se trouvent dans une zone de turbulences où le trafic est faible et les opérateurs peu fiables. A l'image de la compagnie de Côte d'Ivoire et Air Sénégal, des redressements sont mis en œuvre et une ambition est affichée par plusieurs compagnies aériennes africaines. La libéralisation en gestation depuis 30 ans, le Marché unique du transport aérien africain (MUTAA), un projet phare dans le cadre de l'Agenda 2063 de l'Union africaine (UA), visant à libéraliser et unifier les espaces aériens africains a été lancé durant la 30e Session ordinaire de la Conférence des chefs d'Etat et de gouvernement de l'UA le 28 janvier 2018 à Addis-Abeba. Cette libéralisation offre une vision et une feuille de route pour une Afrique intégrée, prospère, pacifique, axée sur les personnes et stable. Le MUTAA devrait augmenter la connectivité sur le continent et promouvoir le développement du secteur de l'aviation, le tourisme et le commerce. A ce titre, l'initiative devrait contribuer à la réalisation du Plan d'action pour le renforcement du commerce intra-africain et la Zone de libre-échange continentale africaine. Sous le MUTAA, les compagnies africaines éligibles pourront desservir les liaisons «sur la base de leurs propres considérations économiques et sans aucune entrave». A terme, le marché intra-africain de l'aviation dispensera des accords bilatéraux du service aérien et fonctionnera sur un seul ensemble de règles. La CUA a été chargée par les pays signataires de présenter l'architecture d'un espace aérien africain unique qui devrait être opérationnel d'ici à 2023. Les mécanismes de contrôle et de sanction seront toutefois nécessaires pour assurer l'applicabilité de dispositions de cette libéralisation et éviter ainsi l'inertie des décisions précédentes. Par ailleurs, pour la plupart des pays en Afrique, la situation s'est aggravée avec la disparition de leurs compagnies nationales qui s'étaient effacées dans un premier temps au profit d'Air Afrique, puis avec la faillite de cette dernière, Ethiopian Airlines, la RAM et Air France ont pris des positions privilégiées et deviennent dominantes. La sous-capitalisation et même de la mauvaise gestion sont des obstacles à la création de compagnies africaines. Profitant de ce contexte morose, certaines compagnies d'Afrique du Nord ont saisi cette occasion pour pénétrer ce marché à travers les opérateurs de ces pays ou ce qu'il en restait : l'exemple de Royal Air Maroc en est la meilleure illustration. Royal Air Maroc est ainsi devenu un groupe très important en Afrique : en participant au capital d'Air Sénégal dans une première étape avant sa sortie, elle a procédé à la création d'Air Sénégal International, bénéficiant ainsi de toutes les synergies : – sur le plan technique ; – sur le plan opérationnel ; – et au niveau de la formation qui constituent des interventions à forte valeur ajoutée, en somme le bénéfice de l'expertise qui lui est nécessaire. Aujourd'hui, ce rapprochement peut être assimilé à un modèle payant à moindre coût. Ce développement ne s'est pas fait sans l'appui des pouvoirs publics de cette compagnie qui bénéficie, outre de l'aide nécessaire pour la concrétisation de cette politique d'insertion et de développement bénéficiant du support politique. Le groupe RAM est sollicité par d'autres pays africains afin de créer le même modèle : ainsi, elle a procédé à la liquidation d'Air Gabon pour donner naissance à Air gabon International avec l'appui de l'Etat gabonais. Ce modèle a fait des émules : L'exemple de la RAM est en effet aujourd'hui suivi par la Tunisie dont la compagnie nationale est en cours de racheter une partie du capital d'Air Mauritanie. Ifriqiya, compagnie libyenne nouvellement créée, affiche également les mêmes ambitions de conquête de ce marché, élan ambition réduite par le contexte politique, économique et sécuritaire du pays Cameroun Airlines a cherché des repreneurs parmi les compagnies africaines ou celles des pays industrialisés. La création de la Compagnie aérienne du Mali (CAM) a engendré un programme de vols sur Paris depuis le printemps 2006, exploités par un A319 en coopération avec Air Burkina, appartenant elle-même au groupe Agha Khan. De même qu'Air Cemac, une compagnie commune aux 6 Etats membres de la communauté économique de l'Afrique centrale. La dynamique amorcée par Royal Air Maroc est telle qu'elle inquiète même des compagnies comme Air France à laquelle elle réussit à détourner des parts de trafic via son hub de Casablanca. A titre d'exemple, entre novembre 2016 et février 2017, et sur les routes desservant l'Afrique de l'Ouest, Air France a perdu : – 6% de parts de marché sur Paris ; – 17% sur la province française ; – 25% sur l'Europe. Alors que dans le même temps, la RAM en a gagné respectivement 163%, 219% et 86%. Air Tunis, pour sa part, est en train de s'imposer par une politique de développement de son réseau intra-africain en investissant les transversales et surtout en usant de pratiques tarifaires défiant toute concurrence. Mieux encore, on assiste à l'entrée sur ce marché d'Etihad, compagnie des Emirats arabes unis, seul opérateur des pays du Golfe à avoir investi cette zone. Par Mahmoud Mehalli Consultant et expert en aviation civile Ex-Directeur regional Air Algérie à Damas (Syrie). Membre éminent de l'association britannique des consultants en aviation civile. Advertisements