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Exploitation de l'or en coopérative dans le sud Algérien : Inquiétude des uns et réserves des autres
Publié dans El Watan le 05 - 11 - 2020

Autorisation de formation des coopératives pour les jeunes pour l'exploitation et l'exploration de mines d'or dans le Sud Algérien. Une annonce qui a séduit les jeunes investisseurs mais pas les écologistes. Certains spécialistes à qui nous avons posé la question, l'écosystème environnemental dans la région d'Ahaggar est très fragile et la biodiversité est menacée. Ils affichent leurs inquiétudes sur le devenir de la biodiversité des zones désertiques et sur l'occupation des sols.

En juillet, Mohamed Arkab, ministre des Mines, a annoncé qu'une formation d'une coopérative va désormais être possible afin que des jeunes spécialistes puissent procéder à des exploitations et l'exploration de mines d'or dans le Sud algérien. Selon lui, «le projet le plus imminent est le lancement de l'exploitation artisanale au niveau les filons aurifères du Hoggar, de Tamanrasset et d'Illizi», a-t-il confié.
Le responsable a toutefois insisté sur la nécessité de respecter le cahier des charges lié à l'exploitation artisanale de l'or, en vue de préserver cette richesse minière. Si cette annonce a ravi certains, l'environnement risque, quant à lui, de pâtir encore bien plus longtemps de la pollution causée par l'extraction de l'or.
Pour Fares Kessasra, hydrogéologue, l'impact se mesure sur une échelle plus globale qui dépasserait le site lui-même. «On l'intègre dans un territoire régi par des processus intégrés et générant des répercussions qui toucheront l'ensemble des compartiments environnementaux», ajoute-t-il.
A titre d'exemple, le spécialiste explique qu'on l'intègre au sein d'un bassin-versant où l'eau, considérée comme vecteur de diffusion de la pollution et du transfert des polluants par excellence, joue son plein rôle. «L'écosystème est donc soumis à des pressions qui provoquent dans le temps des déséquilibres de fonctionnement», prévient-il.
De leur côté, Chakali Gahdab et Brahim Bouchareb, du département de zoologie agricole et forestière à l'Ecole nationale supérieure agronomique d'Alger assurent qu'au Hoggar, l'écosystème environnemental est très fragile, assurant que la diversité biologique qui, dans son ensemble, est composée de diverses espèces endémiques reste très menacée par divers facteurs biotiques et abiotiques.
Sur la base de ces données, les experts assurent que la dégradation ou l'exploitation de ces milieux aura sans doute un impact négatif irréversible sur toute la biodiversité des zones désertiques et sur l'occupation des sols. «L'exploitation des gisements a incontestablement ses répercussions sur l'écologie du milieu», prévient-il.
Gisements
La raison : L'extraction d'une once d'or à partir de minerais peut entraîner 20 tonnes de déchets solides et une contamination importante au mercure et au cyanure. Mais pour bien comprendre l'impact de l'extraction de l'or sur l'environnement, il faut bien connaître sous quel état se trouve-t-il dans la nature. Youcef Bouftouha, professeur en géologie minière à l'université de Jijel explique : «Dans la nature, l'or peut se trouver sous forme de métal natif, contenant généralement des impuretés d'argent ou parfois de mercure (amalgamé avec le mercure). Il peut également être présent comme sous-produit de minerais sulfurés, en particulier les sulfures de cuivre».
Ce dernier précise que l'or natif primaire se trouve soit sous forme de petits grains, libre dans la gangue ou sous forme de remplissage de petites fractures (sous forme de veines et veinules) traversant la gangue. «Dans le cas des gisements d'or du Sud algérien, la gangue est formée par des filons de quartz», explique-t-il.
L'expert ajoute que la désagrégation mécanique (destruction mécanique de la roche) va donner des fragments d'or (pépites d'or) de taille très variables. Ces fragments d'or vont être transportés par les agents naturels de transport (eau, vent et gravité) et seront concentrés par gravité dans le même endroit (car les grains d'or ont la même densité) pour former ce qu'on appelle des «placers» ou concentration alluvionnaire d'or.
D'ailleurs, en ce qui concerne les gisements d'or algériens, M. Bouftoutha assure que le pays en compte deux types. Il y a les gisements d'or natifs du Hoggar (gisements de Amesmessa, Tirek et Tiririne) et de l'Ahaggar (Isselfène Sud 1, Seldar et Iderksi), qui sont sous forme de filons de quartz aurifères ou de placers et les gisements de type volcano-sédimentaire (sulfures massifs volcanique) où l'or se présente sous forme de sous-produit des minerais sulfurés, en particulier les minerais de sulfures de cuivre comme le gisement de sulfures de plomb, zinc, cuivre de Boussoufa, El Aouana de Jijel. M. Bouftouha précise néanmoins que les gisements les plus importants et les plus répandus sont les gisements filoniens et les placers du Sud algérien.
730 000 tonnes de minerai d'or
A cet effet, Tayeb Serraj, de l'Institut des mines de Moscou, docteur d'Etat en sciences minières et enseignant-chercheur à l'université Badji Mokhtar d'Annaba précise qu'au Hoggar, il y a 730 000 tonnes de minerai d'or au gisement Tirek, Amessmessa en contient 2,5 millions de tonnes, les deux à teneur moyenne de 18 g/t, soit environ 2,4 millions d'onces d'or. Et enfin, deux autres gisements sont à Tiririne et à In Abgui. «La mine de Tirek est une mine d'or située dans la wilaya de Tamanrasset et exploitée par l'Entreprise nationale d'exploitation des mines d'or (Enor).
La mine d'Amesmessa, quant a elle, est une mine d'or située dans la wilaya de Tamanrasset et est également exploitée par l'Enor. Ses réserves sont estimées à 2,5 millions de tonnes, avec une teneur de 18 g/t d'or», avance-t-il. Pour ce qui est des méthodes d'extraction, M. Bouftouha explique «qu'au niveau des gisements d'or d'amessemassa et de Tirek, l'ENOR a utilisé le procédé d'extraction de l'or par lixiviation et par traitement à sec (procédé par séparation magnétique)». L'expert affirme que l'or peut également être extrait par le procédé de lixiviation (utilisation d'une solution alcaline de cyanure pour dissoudre l'or). Cette solution est ensuite récupérée et l'or est concentré à partir de cette dernière.
Par ailleurs, la méthode d'extraction artisanale de l'or passe forcément par l'utilisation du mercure. Les minerais contenant de l'or sont d'abord passés au tamis pendant des heures dans l'eau, jusqu'à ce que la poussière d'or soit concentrée dans le dépôt. «Cette boue rocheuse contenant de l'or est ensuite mélangée à du mercure, qui forme un alliage liquide (amalgame) avec l'or», explique M. Bouftouha.
Cet alliage est ensuite chauffé. «Le métal lourd toxique s'évapore, ne laissant que de l'or pur», poursuit-il. L'expert prévient que les techniques d'extraction de l'or par les procédés chimiques (utilisation de cyanure et de mercure) peuvent, dans le cas où les normes de sécurité ne sont pas respectées, causer de graves préjudices à la nature (faune, flore et ressources hydriques) et même aux populations, car le mercure et le cyanure attaquent directement le système nerveux et les parties génitales. D'ailleurs, M. Kessassra affirme que «dans l'histoire des pollutions minières, on en a connu des défaillances de par le monde».
Etudes
Selon lui, quel que soit le degré d'optimisation des techniques d'extraction, d'exploitation, de traitement et de transport des minerais et de dépôt des morts-terrains, l'environnement n'échappe pas au souillage et aux diverses contaminations. «Qu'ils soient de mercure, ou autres Eléments trace métalliques (ETM), ou réactifs et amalgames chimiques utilisés, ces contaminants, considérés comme extrêmement toxiques, affecteront l'environnement», assure-t-il. Ajoutant que le cyanure et le mercure contaminent les sols et les nappes phréatiques à jamais. Mêmes lorsque les mines d'or sont fermées, les gravats traités au cyanure émettent des acides sulfuriques toxiques pendant des décennies.
De plus, M. Kessassra assure que dans ce genre de projet minier d'envergure, des études d'impact sur l'environnement (EIE) sont primordiales dans la progression de l'exploitation et même post-exploitation, surtout dans le volet réhabilitation et restauration du site minier. «J'ignore les issues de ces études pour les sites d'exploitation évoqués dans le désert.
Maintenant, si l'on revient à nos connaissances de terrain, le Sahara est à la fois riche et pauvre en eau», affirme-t-il. Riche en eau eu égard de l'extension spatiale des aquifères constituant les deux principaux réservoirs d'eau, en l'occurrence du haut en bas, le complexe terminal et le continental intercalaire, qui s'étendent de la frontière algéro-marocaine à la Libye à l'Est.
Ces réservoirs sont partagés entre trois pays qui sont l'Algérie, la Tunisie et la Libye. «Pauvre en eau, car, pour atteindre ces profondeurs qui parfois dépasseraient 1000m verticalement (600 m à Ain Salah avec un débit de 50,5 l/s), les moyens de forage à déployer sont considérables», explique-t-il. Le spécialiste affirme que tout forage destiné à exploiter les réservoir d'eau n'est pas réussi à tout les coups.
Techniquement compliqués, certains forages sont arrêtés en cours de travaux pour de multiples raisons liées à la nature des terrains traversés, la profondeur atteinte, la pression de l'eau… L'eau devient rare et précieuse sans contraintes anthropiques déjà.
Et Pour M. Kessasra, la contrainte industrielle imposée par les exigences en termes d'exploitation, de traitement du minerai en question, accroîtrait la pression sur ces nappes. «D'autant que Tamanrasset et sa proche région est sujette à une raréfaction et pénurie d'eau qui a poussé les autorités à entamer le gigantesque projet de transfert de l'eau sur 600 km depuis la région d'In Salah au Nord.
Ceci dans l'objectif d'alimenter en eau potable la ville de Tamanrasset qui connaît une croissance démographique compromettant la disponibilité de l'eau dans la région», ajoute-t-il. Sur un autre volet, la qualité de l'eau pompée est, selon M. Kessassra, fort médiocre, le taux de minéralisation souterraine, assez élevée naturellement lui procure cet aspect saumâtre et sa déminéralisation est une étape obligatoire.
«Au-delà du coup financier, l'industrie a besoin également d'une eau épurée de tous les excès de sels minéraux et autres impuretés qui affecteraient la qualité du minerai. On n'utilise jamais en eau acide pour traiter le minerai de fer par exemple», explique-t-il.
Conséquences
Finalement, pour M. Kessassra, la quantité et la qualité d'eau qui rentrent dans le processus de production de l'or dans une région aride, qui souffre déjà de rareté et de sécheresse, sont de véritables challenges économiques mais surtout environnementaux. «Rarement, les considérations économiques, financières, sociales, environnementales et sanitaires n'ont connu d'intégration durable réussie dans ce genre de projets», se désole-t-il.
Selon lui, l'intégration de ces facteurs est soumise à d'autres contraintes, précisant qu'aucun pays, aucune stratégie, aucun projet n'a eu zéro impact sur les ressources naturelles. «Je parlerai des pays miniers développés, soucieux du volet environnemental et sanitaire et dont ils disposent d'un riche arsenal juridique, d'une législation et d'une application rigoureuse, tels que l'Australie, les Etats-Unis, le Canada, l'Afrique du Sud etc., on ne croirait jamais qu'un pays sous-développé puisse réussir ce défi aux multiples issues», conclut-il.
Aussi, M. Serraj souligne que les opérations régulières dans les mines d'or ont des effets négatifs sur l'environnement de plusieurs manières. Par exemple, l'exploitation de gros équipements miniers nécessite du carburant et entraîne des émissions de gaz à effet de serre. «Cependant, les accidents et les fuites de mines potentielles représentent une menace encore plus grande pour les terres et les ressources en eau à proximité», précise-t-il.
Le spécialiste ajoute que les résidus contaminés, ou minerais résiduaires, doivent être stockés derrière un barrage ; la défaillance d'une telle structure entraînerait une libération généralisée de toxines. A cet effet, M. Serraj conseille : «Les mines doivent exploiter des usines de traitement des eaux usées pour éliminer le cyanure, le mercure et d'autres toxines de l'eau utilisée pour l'exploitation minière, et une défaillance de l'usine de traitement pourrait également entraîner une contamination catastrophique du paysage environnant».
En conclusion, si l'extraction de l'or contribue au déboisement et à la déforestation, à la dégradation des sols, à la pollution de l'air par la poussière et le monoxyde de carbonique, du sol conduisant par voie de conséquence à la perte de la biodiversité et la détérioration du paysage, est-il réellement possible d'allier extraction d'or et protection de l'environnement ? Chakali Gahdab explique : «En dépit du fait qu'aucun travail de ce genre n'ait été conduit en Algérie, une plus grande attention doit être menée pour conserver et protéger cet écosystème désertique régressif et très fragile».
Selon lui, l'idée d'exploiter et détruire, en même temps sans le vouloir, un écosystème est à reconsidérer dans toutes ses composantes. Ajoutant que les lignes directrices d'un programme d'exploitation de ce genre doivent être discutées en collaboration avec des écologistes pour prévoir l'impact à court et à long terme sur l'écosystème fragile et très précaire. «L'or en tant que minerai précieux pourrait générer une source indiscutable à l'amélioration des rentes annuelles de la nation et beaucoup de pays du monde arrivent aujourd'hui à consentir le développement durable de l'exploitation des ressources», poursuit-il.
Ce dernier conseille d'ailleurs de s'inspirer des modèles de pays qui ont réussi à exploiter et utiliser une partie de sa rente à la compensation des dommages causés à l'environnement.
Ce principe de rééquilibrage du prélèvement doit, selon lui, également définir les niveaux de servitude dans le temps afin d'alléger l'impact sur l'environnement mais surtout maintenir la productivité dans le temps pour ne plus compromettre la capacité des générations futures à s'en servir. «Il ne faut en aucun cas procéder à une exploitation minière de cette ressource mais surtout bien définir en amont les droits d'exploitation, les usagers ainsi que les niveaux de servitude au risque de générer d'énormes préjudices de toute nature», conclut M. Gahdab.

Par Sofia Ouahib
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