L'Observatoire de la laïcité, dirigé par l'ancien ministre socialiste Jean-Louis Bianco et Nicolas Cadène, a publié ce qui pourrait être le dernier rapport de l'instance sous sa forme actuelle, en raison des critiques prononcées sur son fonctionnement et son utilité. La grande question posée par l'Observatoire de la laïcité est : qu'est-ce que la laïcité ? En effet, ce concept plus qu'être le reflet de la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat (9 décembre 1905), est tourné dans tous les sens sur des faits d'intrusion de la religion dans la sphère publique, sans que cela soit forcément en rapport avec la loi votée en France au début du XXe siècle. «BUZZ ET CLASH», LES MEDIAS MIS EN CAUSE Face à cela, l'Observatoire de la laïcité met en avant son action de collecte des faits délictueux en dressant une longue liste, dont les procureurs sont saisis pour mettre en cause «chaque fois que nécessaire les auteurs de comportements contraires aux exigences minimales de la vie en société». Ce que craint surtout l'Observatoire, ce sont «les confusions toujours aussi courantes autour du principe de laïcité, qui conduisent parfois à son rejet ou à son instrumentalisation. Dès lors, il est important d'appeler les prescripteurs d'opinion, qu'ils s'expriment dans les médias ou sur les réseaux sociaux, à la responsabilité pour ne pas diffuser de fausses informations. Cela d'autant plus qu'une banalisation du discours xénophobe se constate, sans que les directions éditoriales concernées ne réagissent, semblant préférer la course à l'audimat via le ‘‘buzz'' et le ‘‘clash'' ». Jean-Louis Bianco et Nicolas Cadène précisent à ce sujet : «Si chacun a toujours tendance à identifier sa propre vision subjective à la laïcité dans l'absolu, il n'y a qu'une seule définition juridique de la laïcité... » Ils rappellent les principes essentiels : «C'est le principe politique et juridique qui garantit, vis-à-vis des convictions, la traduction en actes de la devise républicaine ‘‘Liberté, égalité, fraternité''. En effet, la laïcité garantit la liberté de conscience et la liberté de religion et de culte, de laquelle découle la liberté vis-à-vis de la religion, et celle de manifester des convictions, quelles qu'elles soient – religieuses ou non –, mais toujours dans les limites de l'ordre public. En France, l'on peut ainsi pratiquer et promouvoir une religion, mais l'on peut aussi la contester et la critiquer, dans les limites fixées par loi (incitation à la haine, discriminations, etc.) ». SUR LA SIMPLE PRATIQUE DE L'ISLAM, «UN DEBAT QUI S'HYSTERISE » Mais lorsqu'interviennent des attentats islamistes comme ceux d'octobre 2020, avec «la mort d'un enseignant de façon atroce, vendredi 16 octobre, puis celle de trois fidèles catholiques le jeudi 29 octobre», comment réagir en tant que défenseurs de la laïcité sans empiéter sur un domaine qui dépasse les règles de la loi. L'Observatoire de la laïcité appelle à «la nécessité de garder notre sang-froid.» Estimant d'ailleurs ce qui leur est reproché en haut lieu gouvernemental, que «la question de la radicalisation islamiste (...) sort de notre champ». L'instance reconnaît clairement que «comme pour l'ensemble des sujets sociaux et sociétaux actuellement, les tensions et les crispations sur la laïcité et les religions suscitent un émoi important. En raison, notamment, du contexte des attentats islamistes qui perdure, des confusions douteuses avec la simple pratique de l'islam conduisent à une concentration de ces crispations sur le culte musulman en général, à travers, trop souvent, un débat qui s'hystérise et qui accentue les oppositions. Au-delà de la seule laïcité, ce sont d'abord les exigences minimales de la vie en société qui continuent d'être remises en cause par certains groupes ou dans des zones d'habitation qui connaissent le plus souvent une forte ségrégation». «UNE EXPRESSION ACCRUE DANS L'ESPACE PUBLIC DE CERTAINS COURANTS» RELIGIEUX Les responsables de l'Observatoire en déduisent que sur la question laïque, il s'agit de savoir rester objectif, «garder la tête froide et ne pas céder à la surenchère». L'Observatoire de la laïcité, affirment-ils, permet de «fournir des informations objectives remontant du terrain, de prévenir et de souligner les dérives contraires à la laïcité, de laisser s'exprimer les différentes tendances des mouvements de promotion de la laïcité ». Ils constatent depuis une vingtaine d'années, en France et ailleurs dans le monde, «des replis sur soi, des replis sur des valeurs traditionnelles et religieuses plus rigoureuses, des replis à caractère identitaire, des pratiques religieuses parfois réinventées, et des pressions, voire des provocations contre la République — souvent plus médiatisées qu'auparavant —, en particulier dans des zones périphériques, dans des zones rurales et dans des quartiers où le sentiment de relégation sociale est très fort». Dans l'ambiance générale, et parfois délétère, qui axe le regard essentiellement sur l'islam, les rédacteurs de l'Observatoire de la laïcité estiment que «la polarisation de la société française actuelle sur le sujet de l'expression et de la visibilité des religions et des convictions, accentue la nécessité d'un débat serein». Ainsi, «si la visibilité de courants du culte musulman, notamment via leurs signes extérieurs, est la plus importante, il se constate une visibilité et une expression accrue dans l'espace public de certains courants dans toutes les autres religions. Ainsi, par exemple, il se constate une augmentation de processions, de manifestations religieuses, du port de tenues ou de signes religieux chez certains catholiques (multiplication de prières de rue notamment à l'occasion de la pandémie de la Covid-19, réapparition du port de la soutane chez certains jeunes membres du clergé par exemple) ou chez certains juifs, ou encore un prosélytisme public croissant de cultes protestants évangéliques (le protestantisme évangélique étant la religion la plus en expansion aujourd'hui en France». «L'OPPOSITION ENTRE PERSONNES QUI, DES LORS, NE SE COMPRENNENT PLUS» Si le regard louche vers l'islam, l'Observatoire de la laïcité déplore «une trop faible mixité sociale qui conduit à l'opposition entre personnes qui, dès lors, ne se comprennent plus ; en raison d'une surreprésentation de la population de confession musulmane dans des catégories socio-professionnelles peu qualifiées et en raison, enfin, de la relation complexe entre la France et l'islam, du fait notamment de son histoire coloniale. Il faut également évoquer une exacerbation de l'identité religieuse à travers des courants rigoristes issus de l'islam dont le développement auprès de jeunes publics a été largement facilité par des ingérences étrangères, en particulier issues de pays du Golfe, depuis les années 1990». C'est face à cela que l'Observatoire, que les contre-discours et offres alternatives devraient être plus fortes, dans le contexte «d'un affaiblissement des idéologies séculières et de l'éducation populaire, ainsi que du départ de services publics de certaines zones d'habitation». Lyon/ De notre correspondant Walid Mebarek
L'Observatoire de la laïcité met à disposition du grand public de nombreux documents et outils pédagogiques, librement téléchargeables depuis son site Internet www.laicite.gouv.fr. Advertisements