Autrefois agglomération pimpante et florissante au cœur de la riche plaine de la Seybouse, Zerizer, dans la daïra de Besbès, est devenue, au fil des ans et des lubies des responsables qui ont eu à présider à sa destinée, une bourgade de 15 000 habitants, difforme et sans âme comme toutes ses semblables de la wilaya d'El Tarf. Façades lépreuses, chaussées défoncées, urbanisme disloqué et surtout cet immense cloaque de 8 h (!) qui s'est formé depuis deux ans par les épandages d'eaux usées qui fuient de la station de relevage et qui se répandent jusque dans les maisons où elles jaillissent du sol. Et ce n'est pas le plus dangereux pour la population du village, excédée et au bord de la révolte populaire dans le quartier bien nommé d'El Merdja (le marigot) et celui d'El Takana (la caserne), ancien lieu de détention et de torture de l'armée française. L'eau de la nappe sous-jacente est contaminée. On continue pourtant de la distribuer à la population qui, bien entendu, ne s'en sert pas pour la boisson. On boit de l'eau minérale en bouteille pour ceux qui peuvent se le permettre quotidiennement ou on l'achète à 1 DA/l à des vendeurs qui vont la puiser le plus loin possible. « Cette situation n'a que trop duré », clament des habitants qui menacent « de prendre d'assaut le siège de l'APC, de renvoyer le maire et ses adjoints, en guéguerre permanente, et de chasser le wali à coups de pierres s'il vient une fois encore les ensorceler avec des engagements sans lendemain ». De l'argent, il y en a et beaucoup, nous disent nos interlocuteurs, anciens moudjahidine dépités « par ce qu'ils ont fait à l'Algérie ». Comment, en effet, s'interrogent-ils, comprendre le bien-fondé des dépenses qui sont ordonnées par le maire pour faire et refaire la clôture d'un jardin public ou pour installer un réseau de caméra de surveillance à l'APC dix ans après les temps les plus forts du terrorisme dont a eu à souffrir la population de Zerizer ? Pourquoi au lieu de ce caprice de monarque, on n'a pas réparé l'éclairage public qui fait défaut dans toute l'agglomération ? De l'argent, il y en a encore, sinon comment une si petite commune peut-elle se payer deux stades de foot ? Si au moins les jeunes en profitaient. Les jeunes ? « Ah, les jeunes ! », s'exclament ceux qui les voient grandir, pousser et prendre de très mauvaises habitudes. Ils tournent en rond toute la journée. Du travail, ils en auront à la belle saison s'ils ne répugnent pas à faire des travaux agricoles. Sinon, ils restent, malgré leur âge avancé, à la charge des parents qui, eux-mêmes, sont des laissés-pour-compte de l'industrialisation à la hussarde de la zone toute proche d'El Hadjar. Longtemps, Zerizer a été l'une des cités-dortoirs qui ceinturaient la zone industrielle de Annaba. Les gens ont connu des jours meilleurs ici. Même à l'époque des pénuries. Mais jamais, jurent-ils, ils n'ont atteint ce stade de déchéance morale provoquée par l'environnement délabré dans lequel ils sont contraints de vivre. Il est vrai que les APC aussi efficaces qu'elles soient ne peuvent remédier à tous les problèmes des citoyens parce qu'elles manquent de moyens et aussi parce qu'elles sont tétanisées par l'administration. Mais, ajoutent des responsables des formations politiques locales, Zerizer, c'est spécial ! L'APC en tant qu'assemblée n'existe pas. Il n'y a pas d'exécutif dûment désigné et reconnu et encore moins de commission des finances. C'est pour cette raison qu'on ne sait pas comment se décident, s'établissent et s'exécutent les projets et surtout les marchés et les crédits qui leurs sont consacrés. On en veut pour preuve cette satanée station de traitement des eaux qui ne fonctionne toujours pas malgré les masses de crédits qui lui ont été consacrés pour la remettre en état. « Nos élus ne siègent plus depuis quelques semaines, nous dit le responsable du RND local comme ceux d'El Islah parce que le P/APC fait participer aux réunions un SG qu'il a récupéré et imposé à l'assemblée alors que ce dernier a été limogé de ce poste par le wali suite à un soulèvement de la population qui lui reprochait ses agissements. Nous avons saisi les autorités à ce sujet et nous attendons leur verdict sinon nous serons contraints d'agir par nos propres moyens. » Les griefs retenus contre le P/APC sont nombreux mais celui qui revient le plus a trait à son inertie et qu'il imprime à toute la commune. Il n'a de souci que pour son douar d'origine, la ferme Meradi. « Il n'y a qu'à voir la liste des attributions des 60 logements qui est bloquée depuis deux ans à cause de ce favoritisme patent. » On raconte aussi à qui veut l'entendre à Zerizer qu'un élu de la liste FLN est installé en France depuis deux ans et y travaille alors qu'il continue de percevoir sa prime de membre de l'APC. Un petit vent se lève par cette belle journée de printemps. Il soulève la poussière des rues défoncées et il se forme vite un épais nuage qui brûle les yeux et bloque la respiration. Il ne manquait que cela à l'image de désolation, de ruines et d'abandon qu'emporte le visiteur en quittant l'agglomération.