L'Algérie est indépendante depuis 43 ans et sa frontière avec le Maroc est restée fermée 26 ans. Performance en cours. Le dégel printanier entre Alger et Rabat a très vite buté sur la question de la frontière terrestre entre les deux pays. Son ouverture incarne plus que tout autre la réconciliation entre les deux pays. Problème, elle est aussi une carte « essentielle » de la négociation politique. Entre les mains de qui ? Le régime algérien vit sur l'idée que la fermeture de sa frontière ouest punit l'économie marocaine d'un bon point de son PIB - ce qui correspond aujourd'hui environ à un manque à gagner de 500 millions de dollars dans les richesses créées moyennement par année. Accepter de rouvrir correspondrait donc à « signer » un chèque annuel de 500 millions de dollars au trésor royal et, sans doute, de plus en plus au fil du temps. Cette conviction commande toute la diplomatie algérienne dès qu'il s'agit de traiter de la normalisation avec le Maroc. Cela est manifeste dans les propos de Bouteflika lorsqu'il soumet la réouverture de la frontière à un certain nombre de conditions, pas toujours réalistes. Mais que sait-on exactement en 2005 sur l'impact des flux économiques à travers une frontière terrestre ouverte en l'Algérie et le Maroc ? En réalité, pas grand-chose. L'approche algérienne fait date. Elle repose sur une situation économique algérienne - celle de la fin des années 1980, lorsque la frontière a été rouverte - qui a disparu. Les prix intérieurs algériens étaient nettement plus bas que ceux du Maroc pour tous les biens de première nécessité et d'autres soutenus dans le système public de production. L'offre de produits de l'économie-monde sur le marché algérien, encore largement protégé, était dérisoire, alors qu'elle était déjà abondante au Maroc. Il était intéressant de faire toutes sortes de courses au Maroc. En outre, les écarts en revenus par habitant - en faveur des Algériens - étaient significatifs entre les deux pays. La conséquence de tout cela est que le Maroc a fonctionné comme une pompe aspirante d'argent algérien - celui du Trésor public ou celui du particulier - sans retour comptable. De tout cela, il reste si peu de chose aujourd'hui. A quatre ou cinq produits près, les produits algériens se sont ajustés à leur « vérité des prix ». Le marché algérien est aussi bien, sinon parfois mieux approvisionné de produits étrangers soumis souvent à une concurrence des prix acharnés entre importateurs. Et les Algériens sont désormais à peine plus riches que les Marocains onze années plus tard. Une frontière ouverte sera encore un mieux pour l'économie marocaine, parce qu'il y aura un afflux de visiteurs algériens. Mais auront-ils les mêmes comportements de consommation qu'au début des années 1990 ? Vont-ils faire profiter surtout l'Est marocain - séjour commercial court - comme le pensent les Marocains eux-mêmes ou ressembleront-ils plus aux autres touristes comme le sont les Algériens en Tunisie ? Aucune étude ne nous le dit, alors que les politiques raisonnent toujours comme il y a quinze ans. Surtout aucune projection ne travaille sur le manque à gagner de l'économie algérienne devant une frontière ouest fermée. Il était presque nul avant ; l'est-il encore aujourd'hui après plus d'une décennie d'émergence du secteur privé algérien hors protection ? Et si les entreprises oranaises perdaient autant que les hôteliers de Fès ? Sans parler de tous les investissements étrangers - comme la fameuse unité de montage automobile de Tiaret - qui lient leur engagement au seuil critique de marché accessible. « 60 millions d'habitants n'est pas équivalent à 30 millions », répètent depuis des années experts et managers dans les forums euroméditerranéens. Une évidence : dans l'affaire de la frontière ouest, Alger reste plus sensible à la nuisance « infligée » par Rabat. Il est temps d'évaluer la nuisance subie par l'économie algérienne émergente.