Comment relancer l'économie nationale sans investissements ? Il est vrai que depuis une année s'est posée l'épineuse question de leur financement, mais d'aucuns s'interrogeaient surtout où le gouvernement pourrait-il aller chercher l'argent pour «oxygéner» une économie au bord de l'asphyxie après l'amenuisement considérable de la manne pétrolière ? Mais là n'est pas la question pour de nombreux opérateurs et experts. Le problème est aussi ailleurs et n'est certainement pas à chercher uniquement dans la crise sanitaire qui frappe le monde entier. Il lui est antérieur. Beaucoup de monde pensait alors que le gouvernement allait considérer l'urgence de régler les problèmes de l'économie nationale de manière rapide, mais à contre-courant du rythme qui devait être imprimé aux réformes et à l'affranchissement de la décision économique des pesanteurs bureaucratiques. Le gouvernement et les responsables en charge de l'économie se sont encore fait prendre en tenailles des réflexes bureaucratiques. Le Conseil national de l'investissement ne s'est pas réuni depuis plus d'une année. Le Comité d'assistance à la localisation et à la promotion des investissements et de la régulation du foncier (Calpiref), qui a été réactivé en août 2020 après sa dissolution en 2015 par le gouvernement de Abdelmalek Sellal (aujourd'hui en prison), est mis en veilleuse. Selon des sources locales, il existe des wilayas où cette structure n'est pas encore opérationnelle au moment même où l'on songe à un nouveau mode opératoire du côté du ministère de l'Industrie. Le Calpiref était censé pourtant organiser le foncier industriel et encourager l'investissement en facilitant l'accès au foncier aux opérateurs économiques. De même, l'Agence nationale d'intermédiation et de régulation foncière (Aniref) n'a pas accompli la tâche qui lui était dévolue. L'Agence nationale du développement des investissements (ANDI)se retrouve également en congélation. On attend toujours la redéfinition de ses missions, comme l'avait promis Ferhat Aït Ali Braham il y a quelques mois déjà. La machine est sérieusement grippée. Et l'investissement est presque à l'arrêt. «On a eu à traiter une centaine de dossiers d'investissement au niveau de notre cabinet conseil en investissement, Invest Design Consulting, beaucoup n'ont pas pu aboutir», fulmine son manager général, Mohamed Sayoud, qui est également patron de Moder Design, une société spécialisée dans le rayonnage et les équipements destinés aux hôtels et grandes surfaces, rencontré dans les locaux de son entreprise à Bab Ezzouar. «Des projets d'investissement dans plusieurs domaines, l'agroalimentaire, le plastique, la métallurgie, le mobilier et le bois, sont bloqués depuis 2017», dénonce notre interlocuteur. Qu'est-ce qui bloque ces investissements ? Mohamed Sayoud, qui parle de milliers de dossiers qui sommeillent au Calpiref, affirme que les raisons de ces blocages sont multiples. «La question du foncier et des zones industrielles est inextricable», dit-il. Elle vient en tête des entraves que rencontrent les investisseurs. «Les zones industrielles ne répondent à aucune norme», explique encore le manager général d'Invest Design Consulting, qui révèle que pour avoir la concession et le permis de construire, il faut attendre deux ans. Quand le CNRC ignore la suppression de la règle 51/49 Selon lui, «les autorisations imposées à l'investisseur font que pour lancer un projet cela demande des années». En plus des affres bureaucratiques de l'administration locale, du Calpiref et la libération de la concession qui prend plusieurs années, la viabilisation des zones industrielles, elle aussi, demande beaucoup de temps. Il faut prendre son mal en patience quand il s'agit de doter ces zones en équipements indispensables pour l'investisseur, la construction de routes, l'installation du réseau d'électricité et gaz et l'eau. «Moi-même, j'ai mis quatre ans pour démarrer mon projet», dénonce encore Mohamed Sayoud, en affirmant que sur les 30 investisseurs étrangers et nationaux que son cabinet conseil a accompagnés ces dernières années, aucun n'a pu démarrer son projet. Selon lui, «même la décision de supprimer la règle 51/49 n'est pas appliquée sur le terrain. Au Centre national du registre du commerce (CNRC), on dit que ce n'est pas encore en vigueur, tant qu'on n'a pas reçu de notification». Pourtant les deux dernières lois de finances qui contiennent cette décision ont été publiées au Journal officiel de la République algérienne. Mohamed Sayoud ne comprend pas pourquoi on fait autant de mal à l'économie nationale en bloquant l'investissement. Pour lui, «on n'a même pas besoin d'un code des investissements». «Peut-être est-il nécessaire pour les secteurs stratégiques», indique le patron de Modern Design, qui a créé sa première entreprise en Allemagne, avant d'aller investir en Tunisie où le lancement de sa ligne de production s'est fait en un clin d'œil. Aujourd'hui, il exporte vers 14 pays à partir du pays voisin. «On n'a pas besoin d'autorisation pour créer de l'emploi, de la richesse et de la croissance», peste notre interlocuteur, avant de souligner qu'«on n'invente rien, on n'a qu'à faire ce que font les autres pour réussir». «Le Rwanda et l'Ethiopie font mieux que nous», dit M. Sayoud, qui se demande pourquoi on ne prend exemple sur la Chine. Selon lui, «on ne démarrera jamais si on ne met pas en place un écosystème, qui intégrera des zones industrielles clés en main, et un système financier très réactif». Le manager général d'Invest Design Consulting estime en effet que «tel que fonctionnent les choses ici, on perd des années pour réaliser un projet». Selon lui, «le gouvernement ne donne pas la valeur au temps, et on en a perdu énormément». Pourquoi pas des zones industrielles clés en main ? Beaucoup de temps perdu dans la confection d'un code des investissements, qui n'arrive toujours pas, et dans l'élaboration des cahiers des charges et la gestion bureaucratique de l'économie. «Vous ne pouvez pas imaginer à quel point cela peut freiner le développement du pays», estime notre interlocuteur, qui cite l'exemple d'un projet concernant la production du MDF pour les meubles, bloqué par l'administration. Le MDF est une matière dont le coût d'importation varie entre 15 et 20 millions d'euros par an. Selon lui, en raison d'un problème de terrain et de bureaucratie, l'investisseur, qui comptait financer son projet sur ses fonds propres, a fini par abandonner trois ans après pour continuer dans le métier qu'encourage visiblement l'administration : l'importation. D'autres projets dans la production du verre de sécurité et des profilés en PVC pour la fabrication des portes et fenêtres ont été également bloqués. Les affres de la bureaucratie n'ont pas épargné non plus un investisseur de Boumerdès. Le projet concerne la réalisation d'un important investissement portant la fabrication de postes de transformation de puissance et leurs équipements, des produits que l'Algérie importe à coups de millions de dollars. Son promoteur a saisi par écrit le ministre de l'Industrie et le Premier ministre, vainement. Sa demande d'une assiette de terrain pour installer son projet, qui est le fruit d'un partenariat entre sa société et le leader mondial Germani-turque Astor, n'a pas eu d'écho. Dans l'une de ses correspondances à l'adresse des autorités du pays, le promoteur affirme que le partenaire Astor financera sa part sur fonds propres, alors que lui, il a obtenu l'accord de principe de deux grandes banques algériennes, qui croient au projet et sont prêtes à financer l'investissement. La capacité de production de l'usine atteindra, selon la même source, 1000 transformateurs mensuellement, sachant que les besoins au niveau national varient entre 10 000 et 20 000 annuellement. «Pour fabriquer ces transformateurs en Algérie, nous utiliserons plus de 80% de matières premières locales», ajoute le promoteur du projet, qui souligne que l'usine aura un besoin impératif de 300 travailleurs pour la phase de démarrage. A court terme, dit-il, «nous prévoyons la création d'un minimum de 500 postes d'emploi, avant de porter ce nombre à 1000. Cela fait dix ans que ce projet attend d'être concrétisé sans que cela aboutisse». Beaucoup de projets ont connu le même sort. Qui bloque l'investissement en Algérie ? Le grand ratage de l'Aniref Créée pour faciliter l'accès au foncier pour les opérateurs économiques et les investisseurs, l'Agence nationale d'intermédiation et de régulation foncière (Aniref) a été plutôt un frein pour le développement de l'économie nationale. Dans son rapport annuel de 2020, la Cour des comptes l'accable à juste titre. Elle avait en charge de réaliser 50 zones industrielles. Entre 2011 et 2018, aucune n'a été concrétisée. Ainsi, le contrôle effectué par la Cour des comptes a révélé que le programme de création de 50 nouvelles zones industrielles n'a donné lieu à aucune concrétisation de ZI, à fin 2018, alors que sa réception est fixée à avril 2018, malgré le montant colossal dont a bénéficié le programme, qui est de plus de 290 milliards de dinars. Jusqu'à 2018, aucune zone n'a été aménagée. Le rapport de laCour des comptes précise qu'en cette période, le taux d'approbation n'est que de 62% pour les études d'environnement et de 76% pour les études géotechniques et seuls 7 contrats d'aménagement ont été conclus, soit un taux de 14%. – Les IDE ne devraient pas dépasser un milliard de dollars Dans son dernier rapport, la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) avait indiqué que les flux des investissements directs étrangers (IDE) à destination de l'Algérie ont enregistré une légère baisse en 2019. Ils s'étaient établis à 1,382 milliard de dollars, contre 1,466 milliard de dollars en 2018. La Cnuced, qui rapporte que «l'Algérie a introduit un ensemble d'incitations fiscales pour attirer les investissements étrangers dans le pétrole et l'industrie du gaz», estimait que les flux mondiaux des investissements directs étrangers sont appelés à se réduire fortement en 2020 où ils devaient reculer de 40% par rapport à l'année précédente. Ils seraient inférieurs à 1000 milliards de dollars pour la première fois depuis 2005. Ils devraient encore baisser en 2021, de l'ordre de 5 à 10%. – Aniref : 240 milliards de dinars pour aménager 50 zones industrielles : zéro résultat – Un projet d'investissement de 1000 emplois bloqué depuis dix ans Advertisements