Depuis des mois, ce qui a gagné la société, c'est cette anxiété et cette angoisse permanentes, et pas seulement dues à la crise sanitaire. Une sorte de flottement planait, et nulle initiative hardie n'est venue la rassurer, impulser l'économie, ni donner l'illusion du changement attendu. On sait que chez nous, depuis longtemps, le pouvoir n'inspire plus confiance, déconsidéré qu'il est par ses gouvernances successives contestées et ses dérives condamnées, et qui a conduit à une distanciation préjudiciable avec le citoyen. Cette ère du vide, cet effondrement des règles et la disparition du principe de responsabilité ont donné lieu au scepticisme, au désintérêt national et à l'évasion civique. Déjà peu enclins à croire en la politique, qui leur a montré jusqu'où elle peut aller, dans les dérives et les forfaitures, lorsqu'elle sort de son cadre éthique, les citoyens se sont réveillés, brutalement, en constatant le lourd préjudice causé à la Nation par la îssaba, et l'amère facture qu'ils doivent payer. On sait qu'en plus des mesures d'apaisement, consistant en la dissolution de la Chambre basse et la libération des détenus, le président de la République a appelé les citoyens à investir le champ politique, en relançant la société civile, en léthargie. Pas question de reproduire celle qui a sévi et qui n'était qu'un alibi du pouvoir déchu, qui en a fait un trompe-l'œil. Car la société civile souhaitée doit, absolument, être en dehors des partis et des démembrements des structures officielles. Elle ne peut être qu'une confédération d'associations activant dans tous les domaines et agissant pour le renouveau. Elle doit être assez forte pour ne pas tomber dans les mailles de la confiscation de la classe politique officielle. Concernant la libération des détenus, il y a lieu d'être quelque peu optimiste quant à l'ouverture, attendue crescendo, de l'espace politique longtemps ligoté. Mais il faudra déjà tenter de se passer de cette épée de Damoclès, suspendue au-dessus des têtes. En éclairant sur la nature du délit, objet de l'incarcération, et la nécessité absolue d'expliquer ce que le sociologue Mohamed Mebtoul appelle «la judiciarisation à l'extrême de l'action politique» pour que tout un chacun sache où commence et où se termine une opinion politique afin d'éviter toutes les fluctuations politiciennes, comme l'ingérence de l'Exécutif dans les affaires judiciaires. Il faut en finir avec les pratiques passées, qui exacerbent les colères et qui risquent de faire lever des ferments dommageables. Le citoyen libéré veut avancer, et l'avenir ne se lit pas dans le rétroviseur. Il faut nécessairement réformer les institutions, repenser profondément la fonction politique et créer une pratique nouvelle du pouvoir, en rompant avec des survivances ridicules et folkloriques qui se perpétuent. L'essentiel est de savoir comment restituer une morale publique, en imposant à la vie collective de nouvelles obligations, en libérant les libertés, sous l'égide de la Constitution. Car les libertés sont au cœur de la démocratie, et sans lesquelles les crispations, les méfiances des uns et des autres constitueront, à n'en pas douter, un frein au sursaut national pour la construction d'un Etat de droit fort et respecté. La révolution citoyenne du 22 février 2019 est à marquer d'une pierre blanche dans le beau registre des luttes nationales, politiques et sociales qui ont traversé le temps. Ceux qui se sont soulevés à cette date ont manifesté une profonde aspiration au changement, aux ruptures qui forgent le destin national. S'ils l'ont fait, c'est qu'ils n'en peuvent plus de subir les affres d'un système dépassé, qui s'est attaché à préserver sa survie par tous les moyens, au lieu de s'ouvrir sur la société, tenue en marge de son sort. Advertisements