Le mouvement populaire pacifique de revendication pour un changement radical bouclera bientôt une année. Véritable lame de fond, il aura bouleversé une vision statique d'une Algérie frappée d'immobilisme à telle enseigne que certains esprits à la pertinence douteuse s'évertuent à parler de l'homme malade du Maghreb tandis que d'autres pointaient du doigt ce géant qui tarde à se réveiller. L'on peut épiloguer longtemps sur les appréciations des uns et des autres quant au bien-fondé de la pertinence ou de la profondeur de leurs analyses sauf que l'irruption du peuple dans la rue et leurs revendications ils ne les avaient pas prévues. A l'évidence à ce tsunami populaire personne ne s'y attendait, ce qui a mis à nu la coupure et du pouvoir et des associations politiques traditionnelles de la base populaire. Mieux, cette dernière ne veut plus être une masse à disposition que l'on nourrit de promesses. Elle met par elle-même son propre cahier de doléances et qui est en soi une rupture par rapport aux modes de pensée anciens et donc appartenant au passé. Et surtout cela met au jour l'inadaptation de la classe politique quant à la perception de la nouvelle société qui s'exprime tout au long des vendredis populaires et des mardis estudiantins. Il n'est donc pas étonnant qu'elle soit pour un temps (qui dure) tétanisée et qu'elle n'arrive pas à établir des ponts de communication avec le Hirak. Bien au contraire, elle se retrouve dans une situation d'expectative tandis que le mouvement citoyen n'en finit pas de clamer avec force, banderoles haut brandies aux yeux de tous y compris par ceux d'autres contrées devant une démarche inédite dans l'histoire de l'humanité. La tentation de se débarrasser de ses démons partisans est grande et cela ouvre les portes aux entreprises de récupération. Partis et personnalités politiques, pour ne pas être en reste, chercheront à s'identifier aux revendications de ce mouvement citoyen qui a renversé de nombreux tabous en rompant avec des modèles socio-économiques successifs expérimentés et dont l'échec est retentissant comme le démontre le malaise qui s'est saisi des différents pans de la société. De façon encore diffuse, le Hirak invente une façon nouvelle d'appréhender l'avenir. Et ce n'est pas une «lubie» d'une partie de la population qui «vendredit» puisque jeunes et vieux, hommes et femmes de tous âges et appartenances sociales se mobilisent hors d'un quelconque encadrement idéologique ou tout autre embrigadement, c'est en cela que le Hirak tire sa force qui ne faiblit pas au fil des mois. La dynamique ainsi introduite charrie dans son sillage fondamentalement des idées de justice, de liberté et le droit de prétendre construire un monde en adéquation avec le monde du 21e siècle. Du coup, c'est toute l'ancienne génération qui est aux affaires qui est sommée de faire ses valises et au demeurant elle aura vécu le déclenchement de l'immense contestation de son système comme un séisme. Bien évidemment les plus malins chercheront à faire leurs les revendications de changement radical du système. Les opérations de charme et de récupération, toute honte bue, s'expriment à travers des prises de position largement médiatisées, mais elles auront vite fait de montrer les limites de leur impact. Avec cette nuance près que la volonté de s'approprier le mouvement est une trop grosse entreprise pour qu'elle ait une quelconque chance de succès. Les cinq candidats à la présidentielle du 12 décembre ont fait des revendications du Hirak des chapitres de leur campagne électorale. Tous sans exception. Mais comme le ridicule ne tue pas par les temps qui courent, il s'est même trouvé un chef de parti, en l'occurrence Bengrina, qui se proclame l'initiateur du mouvement du 22 février. C'est cependant le candidat libre Abdelmadjid Tebboune, aujourd'hui élu à la tête du pays, qui aura à traduire dans les faits ses engagements, plutôt que des promesses, dira-t-il, à l'endroit des revendications du Hirak. La jeunesse, les femmes ont été ses sujets de prédilection en ce que cela semble procéder d'une conviction profonde car il prenait à chaque fois à témoin Dieu et les hommes. Et dire que Abdelmadjid Tebboune a eu à essuyer les foudres de la bande à Bouteflika, la dernière mesure prise contre lui a été de le débarquer de son poste de Premier ministre, lui qui, en tant que ministre de l'Habitat, a été décoré de l'ordre du mérite national par la même bande. Mais cette disgrâce qui n'aura pas duré longtemps sera suivie d'une réhabilitation qui verra revenir l'homme aux affaires. On comprend mieux pourquoi Abdelmadjid Tebboune n'avait de cesse de parler de Hirak moubarak. N'est-ce pas le Hirak qui a mis un terme à l'hégémonie et aux turpitudes de la «Issaba» dont l'étendue des méfaits n'a de meilleure illustration que ses principales têtes dans la prison d'El-Harrach. Osons dire donc que le nouveau président de la République doit son poste également au Hirak. Il s'agit alors pour lui de renvoyer l'ascenseur en envoyant des messages forts au Hirak et centralement la libération de tous les détenus, l'application des dispositions de la Constitution quant à la liberté d'expression et de la presse. La réponse du chef de l'Etat sera jaugée à l'aune du gouvernement qu'il est appelé à constituer. Sa composante reflètera-t-elle ses engagements électoraux comme il est fortement souhaité ? Aura-t-il les coudées franches pour ce faire ? En tout cas, pour lui c'est un formidable challenge car c'est de sa capacité à redonner de la crédibilité à ses engagements qu'il est sans doute possible d'entrevoir une sortie de crise. La «main tendue» pour un dialogue inclusif qui semble prématuré pour certains n'aura de perspectives positives que dans la réponse à brève échéance aux revendications pour un changement radical du système et une transition politique en douceur pour une Algérie nouvelle, pour reprendre ses propos. Monsieur le Président, la balle est dans votre camp… Brahim Taouchichet