22 juillet. Minuit trente. Une des plages de l'Ouest algérien. Le go fast s'ébranle, puis se lance tel un bolide en direction du pays de Cervantès. A bord, 12 jeunes migrants, sans passeport ni visa. Des harraga... Hafid tiendra parole, mais en bravant les lames de la Méditerranée... à bord du Rapide, une embarcation mettant quatre heures des côtes de Aïn Turck aux plages d'Almeria, celles de Murcia, aussi, en Andalousie. Aventure d'un jeune Algérien de 26 ans, qui avait tout ou presque pour vivre, dans sa ville Maghnia, sans trop de difficultés de son métier de peintre en bâtiment, un appartement et une fiancée, infirmière dans un établissement hospitalier étatique. Mais, sans avoir jamais lu Camus, encore moins son œuvre L'étranger, Hafid préférera sa mère à tout autre chose. Une maman mariée, en secondes noces, dans le sud de la France, après le décès de son premier époux, père de Hafid. «Je rejoindrai ma mère... à la nage, s'il le faut !» a-t-il juré, après trois tentatives d'obtenir légalement un visa du consulat français à Oran. «A chaque fois, mon dossier était refusé sans véritable motif, puisque je fournissais toutes les pièces exigées, notamment le certificat d'accueil, plus de 1000 euros, une attestation de travail, mon affiliation à la sécurité sociale..., en vain. Je suis indésirable sans raison pour l'Etat français.» Fortement déçu, mais nullement découragé, Hafid recourra au Tropico, l'embarcation rapide qui a pignon sur rue. «J'ai payé 800 000 DA, l'équivalent de 4000 euros, mais rien n'est cher pour un voyage qui m'éloignera d'un pays pour lequel je ne ressens plus grand-chose et qui me fera retrouver ma mère que je n'ai pas revue depuis cinq longues années», explique-t-il amèrement, tout en précisant qu'il ne connaissait aucun des onze autres harraga. «Je ne connais pas non plus le véritable intermédiaire qui m'avait appelé d'une cabine téléphonique pour m'informer que j'allais embarquer 24 heures plus tard. Avant cela, je devais remettre la moitié de la somme au courtier de ma ville, puis monter à Oran, 160 km plus loin, dans un lieu bien indiqué où on viendrait me chercher.» En 2020, près de 11 200 jeunes ont réussi à atteindre les côtes espagnoles. Arrivé à Oran avec pour seul bagage un sac à dos, il est conduit dans une fourgonnette dans une localité côtière avec cinq autres candidats à l'émigration. «On nous a emmenés dans le garage d'une villa où six autres jeunes y étaient déjà. On nous servit chacun une bouteille d'eau, une boîte de thon, une baguette de pain et une banane.» J'avais des appréhensions parce que, malgré les garanties données quant au voyage rassurant, comme toute aventure, il y avait des risques», confesse-t-il simplement, tout en précisant que dans son sac, il avait des dattes et une bouteille d'eau. Le jour même, les médias algériens passaient en boucle des images sur le naufrage d'une embarcation où 11 harraga avaient péri. Hafid et ses compagnons n'étaient pas tenus au courant, mais qu'est-ce que cela aurait changé dans leur décision de prendre la mer ? En 2020, 231 jeunes se sont noyés en Méditerranée, selon l'ONG espagnole Caminando Fronteras, beaucoup sont toujours portés disparus, mais selon la police ibérique, 11 200 migrants, partis des côtes algériennes ont réussi à atteindre les côtes espagnoles. Un chiffre encourageant pour les candidats, encore plus nombreux et déterminés qui font leur mot d'ordre ce proverbe «Qui ne tente rien, n'a rien». Tranquillement, le Glisseur avalait les lames, malgré une légère houle. Regardant l'horizon avec un sentiment mêlé de bonheur et d'inquiétude, Hafid s'essuyait le visage toutes les secondes «On recevait toute l'eau de la mer, à cause de la vitesse du bateau. Cela me revigorait, me donnait plus d'énergie. Je regardais mes autres compagnons, ils avaient tous la même attitude, regarder au loin sans mot dire. J'avoue que j'ai vomi une fois», se rappelle-t-il. Le Rapide croisait des navires de marchandises et faillit même renverser une felouque transportant une vingtaine de harraga. «La felouque semblait être en panne, elle n'était pas éclairée. J'ai faiblement vu des mains s'agiter et entendu des cris. Ils demandaient sûrement des secours, mais notre commandant ne semblait pas trop vouloir s'en apercevoir», raconte-t-il, quelque peu triste. De loin, un phare tournoyait dans le ciel. «Notre bateau ralentit. On longea un chalutier, puis le commandant nous rassura : ''On est arrivé''. La première fois où il nous avait adressé la parole, c'était pour au départ, pour nous installer et ordonner d'un ton ferme de ne pas discuter pendant la traversée», se souvient-il. Arrivés sur la côte, au pied de ce qui ressemblait à une montagne, Hafid et ses compagnons de circonstance devaient remonter une pente, traverser une route pour se trouver dans la ville d'Almeria. «Comme en transe, on a sauté du bateau, avec une forte envie de crier, Je me rappelle avoir pris dans mes bras tous mes compagnons du voyage. Ensuite, sans trop tarder, j'ai grimpé la montée comme un véritable escaladeur pour redescendre et me retrouver à cinquante mètres de l'asphalte.» Des navires de marchandises, des chalutiers croisaient notre bateau Hafid s'empressa de passer de l'autre côté de la route et ouvrit, en tremblant, son What Aapp. Deux jours avant son départ, Djamel franco-algérien lui avait transmis un message : «A votre arrivée, le port commercial sera à votre gauche. Traverse la route et monte en direction de la ville. A la première lueur du jour, tu demanderas la mosquée, le café du Marocain est juste en contrebas. Ne t'inquiète pas, dans ce quartier, il y a plus d'Arabes que d'Espagnols. Si tu ne trouves pas, cherche un endroit où il y a le Wifi pour me contacter.» Djamel avait pour mission de ramener Hafid à Marseille dans son véhicule immatriculé dans les Bouches-du-Rhône. «C'est un cousin, accompagné de son épouse française, qui étaient venus me chercher. Ma mère avait payé tous les frais d'essence et du péage de l'autoroute. Tout était réfléchi pour que le passage de La Jonquera à Perpignan se fasse sans désagrément», explique-t-il encore. Et d'ajouter, très ému : «Bien qu'arrivé sain et sauf, je me sentis perdu tout d'un coup, la peur aidant, je risquais d'être arrêté par une patrouille de police, et ç'aurait été vraiment bête d'être transféré dans un centre de rétention avec des lendemains incertains.» Le jour s'était presque levé. L'enseigne d'un café bar attira son attention. Il se met à proximité et nota le nom de l'établissement : «Je suis près de Los Sobrinos, ça doit être un bar restaurant. Viens vite s'il te plaît», écrit-il à l'adresse de Djamel, paniqué, désorienté. Son passeur avait répondu qu'il arriverait dans une Mégane bleu-ciel. «Je ne devais pas bouger de l'endroit indiqué, coûte que coûte. Je n'ai pas attendu plus de 15 minutes, lorsqu'un véhicule s'immobilisa en face de l'établissement. Je surveillais les voitures qui passaient. Une s'arrêta en face du bar et quand le conducteur prononça mon prénom, toute Almeria a dû entendre ma voix. ''Ouiiii !'' avais-je crié. Je ne connaissais pas Djamel, mais c'était lui. J'étais sauvé !» Le harrag se souvient avoir enlacé son sauveur et être monté automatiquement à l'arrière du véhicule. «Je ne réalisais pas vraiment que j'étais de l'autre côté de la Méditerranée. Djamel me remit un maillot de l'Olympique de Marseille, me demanda de l'enfiler et me conseilla, encore endormi, repose-toi, on s'arrêtera à Valence. Il m'offrit des biscuits et du café dans un thermo. J'ignorais où se trouvait Valence, mais je m'en balançais.» «Tout se passera bien, tu dîneras chez ta mère inchallah», me rassura-t-il. «J'ai répondu inchallah. Je ne sais pas si j'avais dormi, mais j'étais comme hypnotisé tout le long du trajet. On a dû s'arrêter une heure ou moins dans un village pour nous soulager et prendre des sandwiches. Je regardais le ciel à travers la vitre. De temps en temps, Monique, que j'avais presque oubliée, se retournait pour me demander avec un sourire si j'allais bien. Puis, je m'étais assoupi.» Hafid parlait d'un ton saccadé. Un vent souffla sur son visage. «Réveille-toi, on est en France», prononça une voix à peine audible. Je devais rêver. «Allez, réveille-toi !», me prononça la voix. C'était celle de Djamel. Je rouvris subitement les yeux. Il faisait déjà nuit. «Les gendarmes n'y ont vu que du feu», plaisanta Djamel. «On était passés comme une lettre à la poste. 320 km plus loin, m'attendait ma maman.» Les étoiles scintillaient, comme pour éclairer le chemin de Hafid, heureux de conquérir le sud de l'Hexagone...Un harrag à l'horizon incertain. Advertisements