Du moins il a essayé. Nous l'avons rencontré à haï Daya (Ex- Petit Lac), un quartier d'Oran où plusieurs familles sont en deuil à cause du départ d'un fils ou d'un frère qui n'a pas encore donné signe de vie. «Je me suis rappelé de Samir. Il est certainement mort noyé. J'ai paniqué à la dernière minute et j'ai perdu mon argent», confesse Tayeb, 30 ans. Il nous a raconté les préparatifs de son voyage avorté. A l'aube de l'été 2014, il a rejoint une dizaine de jeunes sur une plage la côte ouest du pays. Ils avaient déboursé chacun 100.000 dinars pour l'acquisition d'une embarcation de 7 mètres, de deux moteurs ainsi que quatre nourrices pour le carburant et un navigateur GPS. Il raconte : «Le temps n'était pas favorable à la navigation, la mer était un peu agitée. Nous étions plusieurs à laisser tomber. Ceci n'a pas empêché les autres d'embarquer. Ils sont arrivés sains et saufs. Ils ont appelé à leur arrivée et ont même posté des vidéos sur facebook». Contacté sur ce réseau social, l'un des jeunes qui ont réussi la traversée a déclaré qu'ils étaient arrivés à San José, un site pas loin de la ville espagnole Almeria. Certains étaient attendus et vivent encore en Espagne. Nous avons tenté de joindre un passeur pour comprendre comment ce circuit fonctionne. Nous apprenons finalement qu'il n'existe plus de passeurs comme auparavant. Rencontrés à Aïn Témouchent, des jeunes racontent : «Il n'y a pas de passeurs dans le sens classique. Un groupe de jeunes doit trouver un navigateur, un marin pêcheur souvent. Ils doivent se mettre d'accord et rassembler l'argent pour acheter l'embarcation qui ne coûte pas plus de 20 millions de centimes. Les moteurs, généralement deux fois 25 chevaux, sont achetés à 40 millions. Il faut bien sûr le GPS et les nourrices. Mais une fois arrivés, tout ce matériel est abandonné. Il n'y a donc pas de passeur proprement dit car le navigateur ne revient pas avec la felouque, c'est un harag comme les autres». Interrogé par ailleurs sur l'acquisition du bateau, ils nous ont expliqué qu'on n'a pas besoin d'enregistrer tout ce matériel à l'administration. C'est facile de s'en procurer. «Nous enterrons les moteurs dans le sable et laissons l'embarcation à découvert car elle est confondue avec les autres bateaux de pêcheurs. Ensuite, nous nous rassemblons discrètement et prenons le large», explique un autre jeune qui a été refoulé deux fois sans écoper d'aucune peine. Un commerçant a confirmé que les acquéreurs ne sont pas obligés d'enregistrer tout le matériel puisque l'idée est de ne pas se faire attraper. Concernant la vente des embarcations, il fait savoir que le commerce n'a pas trop changé. «Le taux de ventes est le même depuis quelques années. Il y a une évolution normale», a-t-il déclaré. A Aïn Témouchent, un journaliste ayant enquêté sur le phénomène explique qu'il y a une nette régression des tentatives d'immigration clandestine. Notre confrère explique : «Sur la plage appelée Guitara à Terga, on voyait des dizaines de petites barques qui n'appartenaient pas forcément à des pêcheurs. Une fois la mer calme, ces embarcations disparaissaient et ne revenaient jamais. Elles appartenaient à des haraga. Aujourd'hui, il y a beaucoup moins de tentatives en raison de la densification des contrôles des garde-côtes qui ciblent principalement le trafic de drogue. Mais il faut croire que les mesures de lutte contre le chômage permettent au jeune à présent de créer sa propre entreprise et de multiplier ses chances d'avoir un visa vers l'Europe». Par ailleurs, un autre vendeur a confessé que les ventes ont explosé pour plusieurs raisons: «La tendance aujourd'hui est de passer son permis de pilotage de bateau à Mostaganem par exemple et de monter un microprojet pour acquérir une barque. Mais rien ne garantit que ces embarcations ne servent pas à traverser la Méditerranée. On achète de tous genres et je ne crois pas qu'un commerçant comme moi irait jusqu'à admettre qu'il vend une galère vers l'enfer à des jeunes désespérés. Le marché a explosé. C'est une réalité».