Le président tunisien Kaïs Saïed répond désormais avec assurance concernant la feuille de route de la nouvelle transition : «Recherchez les cartes dans les livres de géographie. Je ne dialogue pas avec les putschistes.» Les observateurs concluent du ton de ces propos, qu'après le 25 juillet et, surtout, après s'être assuré de sa maîtrise des rênes du pouvoir, le président Saïed n'utilise plus le terme de corrompus, mais celui de putschistes, en parlant des islamistes. Riadh Sidaoui, le directeur du Centre arabe de recherches et d'analyses politiques et sociales (Caraps), basé à Genève, vient de publier une vidéo sur YouTube donnant une lecture des dessous du 25 juillet. Scénario Riadh Sidaoui parle d'un putsch visant le président Kaïs Saïed. Les composantes du putsch prévu par le président de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP), Rached Ghannouchi, seraient, d'abord, l'ex-chef du gouvernement, Hichem Mechichi, étant l'ex-chargé du ministère de l'Intérieur. Il y aurait également l'ex-ministre de la Défense, Brahim Bartji, et l'ex-chargé du ministère de la Justice, Hasna Ben Slimane. Le groupe projetait ensuite, selon l'expert Riadh Sidaoui, de tenir une réunion chez Ghannouchi afin d'annoncer la prise du pouvoir, alors qu'une unité militaire s'emparerait du palais de Carthage et maîtriserait le président Saïed. La chaîne El Jazeera, le site Middle East Eye et des médias tunisiens étaient prévus pour assurer le bras médiatique de ce putsch. Toutefois, les généraux Mohamed Ghoul, chef d'état-major de l'armée de terre, et Habib Dhif, patron de la Sécurité militaire, se sont opposés à ces manœuvres et ont averti le président de la République, qui a alors décidé l'élargissement de ses pouvoirs, le gel de l'ARP, la suspension du gouvernement et la fermeture du bureau d'Al Jazeera à Tunis. L'expert Sidaoui assure que les renseignements militaires tunisiens détiendraient même des preuves de l'implication des renseignements qataris et d'Al Jazeera dans cette tentative de putsch. «C'est ce qui explique le prompt silence d'Al Jazeera après la communication téléphonique du 27 juillet entre le président tunisien Saïed et l'émir Hamad du Qatar», explique Riadh Sidaoui, qui pense que «les chancelleries étrangères n'auraient accepté les justifications du président tunisien qu'en évoquant de gros dépassements de la part de Ghannouchi et Mechichi, pouvant aboutir à leur éviction. Autrement, il y aurait eu plus de rigueur contre Saïed de la part de la communauté internationale». Indices Les islamistes d'Ennahdha étaient surpris de se retrouver lâchés par leur réseau et leurs sympathisants au lendemain du 25 juillet, alors qu'ils croyaient avoir le soutien des Américains. Une interrogation s'impose toutefois concernant l'absence de sanction de la part de la présidence de la République et le parquet face à un acte aussi grave. Les islamistes auraient même essayé de créer des différends entre les présidents tunisien, Kaïs Saïed, et algérien, Abdelmadjid Tebboune, en glissant dans les médias de fausses informations sur l'acceptation par le président Saïed de la présence des troupes libyennes proches de Khalifa Haftar sur les frontières avec la Tunisie. Kaïs Saïed a tout expliqué dans une communication téléphonique avec Abdelmadjid Tebboune, le lendemain du 25 juillet. Ce dernier a parlé de «secrets» et exprimé tout son soutien à son homologue tunisien. Le ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, a fait deux passages en Tunisie dans la semaine suivant l'extension des pouvoirs du président Saïed pour exprimer le soutien de l'Algérie au président tunisien. Par ailleurs, l'expert Riadh Sidaoui a cité le colonel-major à la retraite Mokhtar Ben Nasr, disant que «des événements d'une extrême gravité étaient prévus le 25 juillet». L'ex-porte-parole du ministère tunisien de la Défense a laissé la latitude de les divulguer aux bons soins de la présidence de la République. Ce qu'a dit l'expert tunisien Sidaoui serait un début de réponse aux multiples interrogations des observateurs, locaux et internationaux, sur la réaction molle de Ghannouchi et d'Ennahdha suite à la suspension du gouvernement et au gel de l'ARP, ainsi qu'à l'absence de condamnation de la part de la communauté internationale des agissements du président Saïed. Aujourd'hui, les dernières arrestations, mises en examen, assignations à résidence, fins de mission de députés, ministres, gouverneurs, ainsi que celles concernant l'ex-président de l'Instance de lutte contre la corruption (INLUCC) indiquent la largesse du chantier entamé par le président Saïed et son équipe. «La mission ne sera sûrement pas facile avec de gros dossiers, comme les assassinats politiques, l'envoi des jeunes Tunisiens en Syrie, la corruption dans les rouages de l'Etat, etc.» explique l'activiste et ex-membre de l'ISIE Sami Ben Slama, qui pense que «la Tunisie a besoin d'actions d'envergure, comme celle du juge Antonio Di Pietro et son opération ''mains propres'', qui a conduit à l'arrestation de plus de 5000 responsables en Italie». Des jours chauds attendent la Tunisie. Mourad Sellami Advertisements