Les éditions Qatifa viennent de faire paraître, dans leur collection «Parcours», un ouvrage collectif portant sur l'Union nationale des étudiants algériens entre juin 1965 et janvier 1971, date de sa dissolution par le pouvoir en place. Cet ouvrage, préfacé par le professeur agrégé de droit et ancien doyen de la faculté de droit d'Alger, Ahmed Mahiou, nous livre quelques «fragments d'histoire» à travers les contributions et les témoignages des acteurs directs des luttes pour un syndicat autonome. Les coordonnateurs de l'ouvrage nous avertissent dans l'avant-propos de leur intention : «Il était pour nous de la plus haute importance, au travers de cette histoire de l'UNEA écrite par ses militants ou par ses adhérents, de renouer le fil avec un pan d'une histoire oubliée vécue par des étudiants de notre pays, d'une histoire effacée volontairement de la mémoire de générations d'étudiants par les pouvoirs qui se sont succédé depuis 1971. En restituant ces fragments d'une histoire confisquée, en ravivant la mémoire, et en la réactivant pour évoquer cette période de l'histoire d'un syndicat étudiant démocratique, il s'agissait pour les auteurs ayant vécu cette expérience historique, de relier leurs luttes avec celles du présent, et de dire enfin aux étudiantes et étudiants d'aujourd'hui que les combats qu'ils mènent pour une Algérie de progrès, une Algérie libre et démocratique, ouverte sur le monde, ont été aussi les leurs, il y a un demi-siècle passé.» La lecture de l'ouvrage m'a plongé dans le temps ancien de ma jeunesse me rappelant de nombreux camarades et amis disparus. A cette époque, j'étais étudiant à Paris où j'avais fait tout mon lycée où j'étais le seul Algérien et passé mon deuxième bac en 1965. Inscrit en fac de droit à Assas, j'ai adhéré à l'UNEF (l'Union nationale des étudiants de France), surtout pour avoir la réduction sur les polycopiés des cours, m'étant toutefois renseigné au préalable que c'était un syndicat étudiant de gauche. Je garde en mémoire la première réunion dans le grand amphi où des «fachos» de la corpo nous balancèrent de gros pétards. C'est aussi à cette époque que je fis la connaissance d'étudiants algériens. C'est en allant au Foyer musulman, restaurant universitaire situé au 115 boulevard Saint-Michel, que j'ai appris l'existence de l'AEMNA (l'Association des étudiants musulmans nord-africains), fondée en novembre 1927. Cette association regroupait les trois syndicats étudiants, algérien, marocain et tunisien. Elle était présidée à tour de rôle par chacun des syndicats. J'ai adhéré à l'UNEA en 1968 pour bénéficier des prix réduits des voyages en Algérie mais aussi pour fréquenter d'autres Algériens. Je ne partageais pas les idées de la plupart des membres que je traitais de révisionnistes étant porté le maoïsme. J'avais abandonné le droit pour la sociologie. Ma fibre nationaliste m'a toujours empêché d'adhérer à des groupes politiques français. Je m'étais tourné vers le PRS (Parti de la révolution socialiste) de Boudiaf, dont le journal al Jarida s'orientait vers une ligne marxisante me semblait-il. A vrai dire, au bout de six mois j'écrivis une lettre à mes camarades leur signifiant mon désaccord sur la manière dont ils envisageaient la politisation des travailleurs algériens en France. Mais c'est surtout le fait que la plupart des militants ne s'intéressaient pas à la poésie. La poésie était la seule chose qui comptait pour moi, d'où mon attitude libertaire. J'étais profondément attaché à la vision marxiste du monde que j'avais progressivement intégrée en écoutant les amis à mon père Mohammed Khadda et Mustapha Kaïd. Cependant, je n'ai jamais adhéré à aucun parti politique pour conserver cette liberté de dire nécessaire à l'écriture poétique. La poésie était et reste mon militantisme. Rentré en Algérie, pendant la période où j'ai enseigné à l'université de Constantine, j'ai cotisé au SNES (Syndicat national des enseignants du supérieur), car pour moi, un syndicat libre a toujours été une garantie pour la bonne marche du secteur concerné. Dans ce syndicat, que ce soit à Constantine, à Alger ou à Oran, se trouvaient la plupart des militants de l'UNEA dont il est question dans l'ouvrage. Sans tomber dans une hagiographie sans grand intérêt pour les étudiants d'aujourd'hui, je dirai simplement que toutes ces figures évoquées avaient à cœur l'avenir du pays qu'ils espéraient démocratique, moderne ouvert à la pluralité et au monde sans complexe ni vantardise. La lecture de cet ouvrage par les étudiants d'aujourd'hui qui vivent eux aussi un moment historique du pays ne peut que les inciter à persévérer dans le combat pour la liberté, la démocratie dans un Etat de droit débarrassé de la mainmise de toutes les forces obscures qui enténèbrent le devenir du pays. Par Habib Tengour Ecrivain Vendredi 27 août 2021