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Khalfallah Abdelaziz. Moudjahid et auteur : «Notre histoire doit être engagée contre l'amalgame et la déformation...»
Publié dans El Watan le 07 - 12 - 2021

Abdelaziz Khalfallah alias Boutemira Mostefa est un battant, un ancien combattant au long parcours, un moudjahid, un révolutionnaire, natif de la ville de Constantine, un enfant de la wilaya II (Constantine), ayant pris les armes avec ses frères «d'âmes» lors de la Révolution anticoloniale française de novembre 1954. Contre l'oubli, il apporte son témoignage dans un ouvrage La Wilaya II historique : l'ombre de Constantine, paru aux éditions Chihab.

Entretien réalisé par K. Smaïl

-Comment a germé l'idée de l'ouvrage ?
Il faut dire qu'au lendemain de l'indépendance j'ai été tellement déçu par la tragique tournure prise par notre combat que je me suis juré de ne plus parler de la Révolution. D'ailleurs, mes enfants, mes connaissances et mes collègues de travail ignoraient ou avaient une vague idée de mon engagement actif durant la lutte armée. Ce n'est que bien plus tard que j'ai pris conscience qu'il était de mon devoir de laisser un témoignage qui viendrait s'ajouter à d'autres aux fins de la reconstitution des faits historiques qui ont marqué le vaillant combat du peuple algérien en ouvrant, en particulier, le volet longtemps ignoré de la Wilaya II historique.
-C'est un témoignage contre l'oubli ?
Je ne sais pas s'il s'agit d'un oubli. Il y a lieu de plutôt croire qu'il y avait bien eu une intention délibérée d'étouffer l'expression de la vérité historique. La plupart des «gens »de l'extérieur ne voyaient en l'Algérie qu'un prodigieux butin à s'en emparer. Pour ce faire, il faudra évidemment prendre de force le pouvoir afin d'éliminer les dirigeants politiques issus du mouvement nationaliste, des hommes vertueux, comme Benyoucef Benkhedda. C'est de cette façon qu'on avait ouvert la voie aux opportunistes et aux «martiens 1» qui sont à l'origine de la falsification de l'histoire, de la dilapidation des biens de l'Etat et publics et de la déliquescence de l'Etat de droit.
-Ecrire et décrire l'histoire ?
Il aurait fallu un pouvoir révolutionnaire pour inscrire, dès les premiers jours de l'indépendance, l'enseignement du combat séculaire du peuple algérien au programme scolaire de nos enfants afin de leur inculquer les notions d'une authentique identité nationale. Au lieu de cela, du moins pour ce qui concerne la Wilaya II, il a été procédé à la destruction de documents historiques précautionneusement et soigneusement mis à l'abri. Il y a eu l'histoire officielle, celle du pouvoir en place, qui a servi de propagande pour endoctriner nos jeunes enfants et parfois pour les dresser contre ces combattants assimilés à de simples quémandeurs de pensions et autres avantages sociaux, dont ont plutôt plus profité les fraudeurs. Décrire l'histoire, c'est rapporter les faits réels à partir du vécu des témoins engagés dans la lutte sur la base de documents qui en feraient foi. C'est ce que je me suis efforcé de restituer dans mon ouvrage par référence à ma modeste participation à ce glorieux combat du peuple algérien. Enfin, je ne crois pas à l'histoire neutre et insipide dite objective. L'histoire de notre Révolution doit être écrite avec passion et avec nos tripes. Notre histoire doit être une histoire engagée pour ne pas laisser de place à l'amalgame et à la déformation qui ouvre la voie à de fausses interprétations de notre histoire, telles que celles qui rattachent notre Révolution au «Badissisme» et au panarabisme.
-Un essai sur transmettre aux jeunes générations sur le combat sacré de la Révolution anticoloniale française de Novembre 1954 ?
C'est en tout cas, mon vœu. Bien que je ne sois pas un littéraire, j'espère avoir usé d'un vocabulaire simple et didactique afin de rendre la lecture de mon récit assez attractive pour une élite de moins jeunes qui, je l'ai constaté en suivant les discussions et échanges à travers des réseaux sociaux comme cela apparaît dans la page «La glorieuse Wilaya II» activée par Chitour Mehdi, montre tout l'intérêt que porte la jeune génération pour la restitution de faits historiques du combat révolutionnaire livré par ses grands aînés.
-Pourquoi l'ombre de Constantine ?
C'est une ville chargée d'histoire, et sans aller plus loin, c'est une ville qui a repoussé une première fois l'armée coloniale et livré une deuxième foi un vaillant combat de rue lors de l'assaut de cette même armée en 1837. Ensuite, par sa position géographique, elle est une place pivotante dans l'est du pays où la population dite indigène y est prépondérante. Après la Seconde Guerre mondiale, Mohamed Belouizdad, fondateur de l'Organisation Spéciale (OS) du mouvement nationaliste, y décela un premier foyer de militants volontaires pour la lutte armée comme Mohamed Méchati qui revenait de guerre et qui fut désigné comme instructeur pour les premiers groupes paramilitaires de l'OS. Au cours de la préparation du 1er Novembre, une majorité de responsables locaux constituèrent le groupe des «22» qui déclenchèrent la lutte armée. Enfin et «not the least» durant la lutte armée, elle fut la banque de la wilaya et la réserve de tous les produits et équipements approvisionnant la wilaya. Et bien qu'elle fut la ville la plus barbelée d'Algérie, par l'intense et incessante activité de ses fidayines, elle fut dénommée la citadelle du Fida. Elle fut surtout le cœur de la wilaya qui n'avait jamais cessé de battre, et ce, jusqu'au jour où, de faux frères encadrés par des troupes venues des frontières l'ont l'encerclée en assassinant et en malmenant lâchement ses vaillants combattants et militants.
-Vous avez conçu un questionnaire adressé à des responsables sélectionnés pour leurs connaissances des faits et événements marquant la lutte armée dans le Nord constantinois…
Ce fut une occasion unique pour reconstituer l'histoire de cette wilaya qui avait gardé presque toutes ses structures au complet au jour du cessez-le-feu. En effet Boumediène, après son putsch de juin 1965, venait de récupérer la plupart des cadres de cette wilaya qui étaient persécutés par Ben Bella. Il désigna alors Boubnider Salah, dit Sawt el Arab comme membre du Secrétariat exécutif du parti FLN. Je voyais en cela une opportunité unique pour constituer une compilation des témoignages des principaux acteurs de notre wilaya. Mal m'en a pris,car cela allait à l'encontre de l'image que Boumediène voulait se faire de lui-même en voulant effacer, à l'instar de Big Brother, du roman de fiction 1984, toutes les traces des faits historiques. Pour preuve, rappelons qu'il avait tenu au secret le corps de deux figures historiques nommément Aït Hammouda dit Amirouche commandant de la Wilaya III et Ahmed Ben Abderrazak dit Si El Haouès, commandant de la Wilaya VI, et éliminer physiquement ses principaux opposants. En fait, Il tenait à occulter l'histoire du mouvement nationaliste et celle des combattants de l'intérieur, car ils lui faisaient de l'ombre. C'est dans cette ligne qu'il érigea de grandes mosquées en hommage à certaines figures historiques comme celles de l'Emir Abdelkader à Constantine et celle d'Ibn Badis à Oran pendant qu'à l'école on leur réserva une large place pour faire oublier la véritable histoire d'un nationalisme algérien qui a pris ses origines dans une banlieue ouvrière parisienne.
-Vous dites : mon témoignage va peut-être soulever des pans de zones d'ombre concernant l'été 1962…
Effectivement, on a voulu escamoter toute cette phase de l'histoire où la Wilaya II a été la principale cible des forces de l'armée des frontières. De manière stratégique, cette wilaya constituait le seul véritable rempart pour la prise d'Alger. Au cessez-le-feu, il ne restait que trois wilayas qui avaient sauvegardé leurs structures organiques. La Wilaya III était géographiquement enclavée et, donc, ne constituait pas un obstacle militaire. Quant à la Wilaya IV, elle s'était déclarée neutre. Ce fut une aubaine pour casser l'autorité légitime du GPRA et crier halte au wilayisme. Le chef de la Wilaya I, récemment promis par l'état-major des frontières, lui ouvrit son espace au gros des troupes venues des frontières tunisiennes et qui se basèrent à Aïn M'lila. De là, celles-ci donnèrent traitreusement l'assaut aux principales villes de la Wilaya II. Evidemment, Constantine, siège de cette wilaya, fut la principale cible. Enfin, il faut bien lire cette partie de mon témoignage pour comprendre ce qui s'était réellement passé.
1. Allusions faites aux faux patriotes de dernière heure par référence aussi bien au mois de mars qu'à la planète Mars.

Abelaziz Khalfallah
La Wilaya II historique : l'ombre de Constantine
Editions Chihab
293 pages
Prix : 1300 DA
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