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Colloque international à Oran sur Rachid Boudjedra
La critique au-delà des « prétextes » linguistiques
Publié dans El Watan le 19 - 04 - 2005

Le Centre national de recherche en anthropologie sociale et culturelle de la ville d'Oran (CRASC) est dirigé par Mme Benghabrit-Remaoun Nouria, directrice efficace et « agitatrice culturelle ». Le CRASC a, en effet, organisé les 9 et 10 avril 2005 un colloque international sur l'écrivain algérien Rachid Boudjedra.
Le thème du colloque était intitulé « Rachid Boudjedra et la productivité du texte » et a attiré une audience remarquable. Le comité d'organisation de ce colloque dirigé par Daoud Mohamed a tenu à ce que cette rencontre scientifique se fasse dans les deux langues : arabe et français. Faire tomber le mur linguistique pour une meilleure compréhension des uns et des autres est certainement à la base de cette décision. A ce niveau, les échanges se sont établis naturellement, sans problème particulier, chacun s'exprimait dans la langue qu'il désirait, ce qui prouve que la question arabe/français, arabophones/francophones est un débat dépassé aujourd'hui. En revanche, une discussion intéressante s'est installée sur la question de la qualité de l'approche critique du texte, la production de la critique littéraire dans les deux langues : arabe et français. Suite à un commentaire de Rachid Benmalek sur la meilleure qualité de la critique littéraire en arabe, par rapport à celle en français, un débat houleux s'en est suivi où MmeZoubida Belaghoueg a réagi de façon scientifique apportant la preuve non seulement de l'efficacité mais aussi de la qualité de la critique en français des œuvres de Rachid Boudjedra, critique qui est à la pointe de ce qui se fait dans le monde dans ce domaine précis où les Roland Barthes, Gérard Genette, Jacques Derrida, Michel Foucault, George Lukacs et autres grandes pointures de la critique littéraire sont utilisés et ce depuis fort longtemps. J'avais dit, moi-même, que ce débat comparatif sur qui est mieux que l'autre est absolument négatif car il affaiblit la critique littéraire algérienne dans son ensemble. Il est bien entendu que d'autres universitaires arabisants comme Oualid Boudila de l'université d'Alger ou Zaoui Laâmouri de l'université de Médéa s'inscrivaient dans une optique plutôt positive, reconnaissant la qualité non contestable de la critique littéraire dans les départements de français des universités algériennes. Les critiques littéraires universitaires des département de français et des départements d'arabe doivent unir leurs points de vue pour une meilleure approche du texte qu'il soit écrit en arabe ou en français, dans la traduction de l'une vers l'autre langue. Dans le monde global dans lequel nous vivons, l'ensemble des universitaires présents ont conclu que ce genre de débat est réducteur, voire dévastateur. Des universitaires de France, d'Allemagne, de Tunisie, du Maroc et de toutes les régions d'Algérie étaient présents, ce qui a donné un colloque chaleureux, exceptionnel d'autant plus que Rachid Boudjedra était présent dans la salle tout le temps des travaux. Intéressé, curieux de ce qui se disait sur son œuvre, souvent étonné par certaines interprétations, Rachid Boudjedra a été d'une discrétion exemplaire acceptant avec intelligence les critiques littéraires les plus dures. Il est vrai qu'il est difficile de parler d'un auteur et de son œuvre en sa présence. D'ailleurs, il a cité l'exemple de William Faulkner qui, lors d'un colloque sur son œuvre, s'est retourné vers le fond de la salle pour vérifier si on ne parlait pas de quelqu'un d'autre. Dans le respect des points de vue, il a parfois rectifié certains faits concernant sa vie ou expliqué sa vision de ce qu'il a écrit. Mais il est clair que la fonction du critique est justement de déceler ce que l'auteur ne dit pas ou n'écrit pas dans son texte. De quoi a-t-on discuté ? L'Allemand Erntpeter Ruhe de l'université de Würwburg, qui a travaillé longtemps sur Rachid Boudjedra a parlé des convergences et des excès du cheminement de l'écriture boudjedréenne en décortiquant le dernier roman Les Funérailles définissant la place de ce nouveau texte dans l'ensemble de l'œuvre, étant la fin d'un cycle, annonciateur peut-être d'une nouvelle forme d'écriture chez Rachid Boudjedra. Zoubida Belaghoueg de l'université de Constantine a tracé le cheminement littéraire de l'auteur, l'errance textuelle et la souffrance de l'écriture, abordant ainsi l'importance du premier roman La Répudiation, où l'image du père rejeté a été le fondement de toute l'œuvre de Rachid Boudjedra. Elle a démontré que les douleurs vécues l'excèdent et excèdent son écriture. J'ai abordé moi-même la question de la subversion dans l'écriture de Boudjedra en faisant référence à Antonio Gramsci, concluant après démonstration que ce romancier algérien répondait à la définition de « l'intellectuel organique » telle que conçue par Gramsci, c'est-à-dire s'impliquant complètement dans sa société avec une volonté délibérée de la raconter, de dénoncer ses travers, de tenter peut-être de la changer, s'inspirant de sa propre idéologie sociale, qui est celle de défendre les moins bien lotis, les pauvres, les démunis. La question de la femme a été aussi abordée, Boudjedra étant un défenseur acharné des droits des femmes. En effet, si l'on regarde l'évolution de ses personnages féminins, on s'aperçoit que la femme est passée de personnage secondaire dans ses premiers écrits au personnage principal dans ses derniers romans. Habib Sayah a parlé de l'écriture romanesque en langue arabe, ses enjeux et ses limites, quant à l'universitaire marocaine Tourya Filli, elle a fait une remarquable étude sur les traductions des romans de Boudjedra, entre langues et réécritures spéculaires. Le bilinguisme, l'écriture et la crise du moi ont été étudiés par Zaoui Laâmouri de l'université de Médéa. La Tunisienne Sonia Zlitni de l'université de Tunis s'est intéressée au texte, travaillant sur ce roman particulier qu'est La Prise de Gibraltar, établissant ainsi la relation entre l'image et le texte, de l'image à l'imaginaire dans ce roman. Djaâfar Yayouche a abordé avec brio les éléments isotopiques de l'imaginaire narratif chez Rachid Boudjedra et Oualid Bouadila de Azzaba, université de Skikda, a décortiqué la poétique de la femme dans Le Démantèlement. Abdelhak Belabed de l'université d'Alger a abordé la question de l'incipit et de la fin du texte chez Rachid Boudjedra, une question essentielle en littérature. Laâredj Wacini a été particulièrement émouvant lorsqu'il a parlé de la solidarité entre écrivains et particulièrement entre Rachid Boudjedra et lui lors des moments douloureux que l'Algérie a traversés, où la générosité de l'auteur a été soulignée. Laâredj Wacini a parlé du renouvellement de la question de la modernité chez Rachid Boudjedra, s'exprimant dans l'une ou l'autre langue, arabe ou français, avec dextérité et aisance, insistant que l'essentiel est dans le sens, dans le message de ce que l'on veut exprimer et non dans la langue qui ne reste finalement qu'un outil, que l'on travaille, certes, aussi. L'apport de Rachid Boudjedra en ce domaine est à souligner, car il a créé dans les deux langues, vu qu'il est parfaitement bilingue. On sait son apport en français, mais il est utile de rappeler qu'il a révolutionné l'écriture en arabe de par les thèmes qu'il aborde, les sujets qu'il décrit, parce qu'il appelle un chat un chat. Par exemple, les questions sexuelles ne sont pas taboues chez ce romancier qui ose, en effet, il dit le non-dit. Le colloque s'est terminé par une table ronde, où un débat s'est instauré sur l'influence de Rachid Boudjedra sur la culture algérienne, l'importance de la critique psychanalytique de l'œuvre de Boudjedra, et nous avons eu un témoignage intéressant de Bechir Mefti, jeune romancier algérois qui a parlé de l'importance et de l'influence de Rachid Boudjedra sur les jeunes écrivains, non seulement sur le plan de la thématique mais aussi celui du style, du phrasé, de la conception et du rôle de la littérature dans la société. Ainsi donc, ce colloque a montré, si besoin est que Rachid Boudjedra est un artiste subversif qui s'octroie le rôle du fou du roi, celui qui ose montrer ce que l'on veut cacher. L'engagement du romancier est subversif comme Djeha qu'il affectionne tant, héros de ses romans. Ce colloque d'Oran sur un auteur majeur et prolifique de la littérature algérienne démontre de la reprise d'une vie intellectuelle universitaire positive, celle qui va au-delà des clivages et des intérêts, dans un esprit scientifique et cartésien, la seule voie pour un pays qui se veut moderne.

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