Vu la cherté des prix alimentaires, la majorité des Algériens mangent de plus en plus mal ces derniers mois. Alors que les responsables de famille trouvent beaucoup de mal à remplir leur couffin, les femmes, quant à elles, doivent jongler pour tenter de cuisiner quelques mets appréciés. Au vu de son prix qui oscille actuellement entre 25 (petit calibre) et 35 DA, la pomme de terre, traditionnellement produit de large consommation, se raréfie sur les tables, alors qu'elle est considérée comme la « reine des légumes ». L'oignon, autre produit de base, avec 30 DA le kilogramme, est utilisé d'une manière très parcimonieuse et fait souvent défaut dans les marmites. En ce mois d'avril 2005, la tomate fraîche est proposée à 120 DA, plus chère qu'une variété de pomme vendue, ces jours-ci, à 80 DA. Le navet, « le plus méprisable des légumes », est affiché à 70 DA. La salade verte a atteint le prix de 60 DA, laissant les ménages dans l'incapacité d'accompagner les plats de résistance comme les soupes de haricots secs, lentilles ou pois cassés. Or, affirment certains commerçants à Alger, « même ces légumes secs sont considérés comme chers pour des pères de famille au point qu'ils nous demandent souvent de leur vendre des quantités de moins de 250 grammes ». Des ingrédients, notamment l'huile de table et la tomate concentrée, ne sont utilisés maintenant que par « doses bien mesurées », indiquent des mères au foyer rencontrées dans les marchés populaires de la capitale. « On est obligées aujourd'hui de sacrifier un petit peu le goût de nos plats car un bidon d'huile de 5 litres à plus de 500 DA coûte vraiment cher, surtout quand le salaire dépasse à peine 10 000 DA », soutiennent certaines d'entre elles. Les foyers algériens, réputés pour leur grande consommation des pâtes tous produits confondus, perdent graduellement cette réputation. La semoule à 35 DA le kilogramme ou les spaghettis à 30 DA (paquet de 500 grammes) reviennent également chers pour les petits budgets. « Les plats traditionnels comme le couscous, la galette, lem'hadjeb... disparaissent du menu à mesure qu'augmentent les prix comme la semoule et l'huile », font observer des mères au foyer. En cela, le pain devient sans contexte le seul maître à table, encore faut-il qu'il soit disponible en « nombre » assez suffisant. Dans le cas d'une famille de 7 personnes, la moyenne de consommation se situe autour de 10 baguettes par jour. C'est donc une facture mensuelle qui s'élève à 2400 DA sous réserve de situations exceptionnelles comme recevoir, par exemple, des invités. A ce produit se greffe systématiquement le lait dont l'apport nutritif actuel est jugé douteux si on se fie à la teneur d'eau importante que les consommateurs ne cessent de relever. A ce sujet, les discussions sur les lieux publics indiquent que « certaines familles ne boivent du lait qu'à l'occasion du petit-déjeuner et se sont donc résignées à oublier ce produit pour le café de l'après-midi ». Il arrive aussi que, dans de nombreux cas, ce ne sont plus les verres bien remplis de lait qui sont servis, mais de simples petites tasses de café qui sont aujourd'hui utilisées pour satisfaire tous les membres de la famille. Les enfants se voient privés de cet aliment tant nécessaire pour leur croissance. De moins en moins sont les ménages qui se permettent d'acheter plus de deux sachets de lait sachant que cela revient à 50 DA. Dans cette équation à plusieurs inconnues, les solutions de rechange sont pratiquement impossibles à trouver pour ceux dont les revenus ne dépassent pas les 15 000 DA. Au point que l'on essaye de réduire les dépenses en achetant, par exemple, du sel non iodé parce qu'il coûte 10 DA le kilogramme, faisant ainsi fi des risques touchant à la santé (goitre). Devant également l'impossibilité financière à acheter des viandes rouges fraîches, de larges franges de la population se rabattent sur le surgelé. Mais plus particulièrement sur la viande hachée, car elle permet, aux ménagères, de la disperser d'une façon équitable sur toute la famille. Or, les vétérinaires et les médecins déconseillent vivement d'opter pour cette forme de viande, car les répercussions sont assez graves sur la santé des consommateurs. Cela est vécu ainsi, alors que les sardines sont actuellement hors de portée pour l'écrasante majorité de citoyens. Entre 120 et 140 DA, la seule variété de poisson d'habitude compensatrice des autres déficits en alimentation se voit du coup écartée des envies de manger des Algériens. Les dernières statistiques indiquent que la consommation des poissons est de 5 kilogrammes par habitant et par année, selon le ministère de la Pêche et des Ressources halieutiques. Un expert japonais, présent la semaine dernière à l'hôtel Sofitel d'Alger, ne s'est pas empêché de faire remarquer : « Contrairement aux Algériens, chez nous, au Japon, tout le monde mange du poisson, surtout les pauvres. » Autre signe de la flambée de la mercuriale, la hausse du prix de la banane : 140 DA ! Il y a moins d'un mois, ce fruit était offert à 60 DA et même à 50 DA. Il constitue depuis quelques années pratiquement le seul fruit accessible pour tous quand on voit que les oranges sont à 60-70 DA le kilogramme ou les dattes à 180-200 DA le kilogramme. Deux produits qui ont pourtant bien gavés les panses des citoyens pendant très longtemps. Faut-il pour autant s'étonner quand on sait que désormais un nombre assez important de travailleurs se privent de manger à midi ?