Que ce soit dans le secteur du bâtiment ou dans celui des hydrocarbures, les travailleurs du Sud trouvent du mal à finir convenablement leur journée de travail en ce mois sacré de Ramadhan. En effet, le soleil de plomb et les vagues de vent de sable, conjugués à l'obligation de jeûner, semblent avoir agi sensiblement sur leurs capacités physiques. Au niveau des chantiers d'In-Salah ou de Ghardaïa, d'Adrar ou de Laghouat, les mêmes images décrivant la souffrance des ouvriers des chantiers se ressemblent. Elles vous renvoient aux prisonniers condamnés à des années de travaux forcés. Affaiblis par les efforts fournis, leurs visages ridés témoignent de la nécessité de se réhydrater, mais ils se contentent de s'asperger avec de l'eau. Contrairement à la période d'avant le Ramadhan, alors qu'ils contournaient, pour leur majorité, les aléas climatiques en s'enveloppant la tête et le visage dans un turban, laissant une petite ouverture au niveau des yeux leur permettant la visibilité, une astuce désormais inefficace du fait que la faim et la soif, indescriptibles, sont venues se greffer à la canicule. La foi et la croyance ont pris le dessus. “Le plus dur, c'est la soif”, soutient M. Sebti, 42 ans, employé depuis six ans dans une société de forage de la région d'In-Salah. À Noumerate, 20 km au sud du chef-lieu de Ghardaïa, un manœuvre nous a indiqué que si ce n'était la nécessité de nourrir ses enfants et sa femme, enceinte de 5 mois, il n'aurait jamais accepté de travailler en ce mois sacré de Ramadhan dans des conditions aussi pénibles. “La soif, ça vous prend le matin et vous torture jusqu'au coucher du soleil, elle n'est pas facile à oublier, surtout quand on voit nos enfants”, dit Omar, qui soulève de lourds sacs de ciment à longueur de journée. “Mais au fil du jeûne, notre volonté se conforte avec le sentiment d'avoir accompli un véritable effort sur soi-même et d'avoir respecté un enseignement essentiel de notre religion”, ajoute-t-il. Sur les chantiers du BTP, “il y a même des personnes qui sont prises par des malaises ou se blessent”, affirme Rachid, maçon. Son ami nous a indiqué qu'au bout de six heures de travail, durant le deuxième jour du Ramadhan, gagné par un malaise, il a failli perdre connaissance. Un autre travailleur dans une entreprise du secteur du bâtiment nous a confié, en préférant garder l'anonymat, que beaucoup d'entre eux ne sont pas déclarés à la Sécurité sociale par leur employeur. On retrouve le même scénario à Adrar et à Tamanrasset où ces manœuvres travaillent sous une chaleur dépassant parfois les 43 degrés, ou à In-Salah où elle atteint 48. En plein milieu du désert, sur notre route vers les installations extrêmes des zones industrielles de Hassi-R'mel et de Hassi-Messaoud, les silhouettes d'enfants, en très bas âge, semblent faire du stop. Arrivés à leur niveau, tenant des bouteilles vides dans la main, ils déferlent vers la porte de notre voiture, nous priant de les approvisionner en quelques litres d'eau. Sous un soleil de plomb, ils guettent les automobilistes dans l'espoir d'être approvisionnés de ce précieux liquide. Pour les jeûneurs des régions du sud du pays, le mois de Ramadhan est aussi une période de fréquentation plus intense des mosquées et de célébration avec d'autres membres de la famille de l'Iftar. Mais ils s'inquiètent de ne pouvoir fêter dignement la rupture du jeûne des derniers jours du Ramadhan pour faire face aux dépenses de la fête de l'Aïd, en raison de leur faible pouvoir d'achat. La flambée des prix s'en mêle Comme à l'accoutumée, la flambée des prix inquiète les bourses moyennes dans les régions du sud du pays. Pour F. Ali, débarqué d'Oran en famille pour servir son entreprise dans les durs travaux des chantiers pétroliers, “le Ramadhan censé être celui de la piété est devenu, à la faveur de l'absence du contrôle de l'Etat, le mois où tout est permis pour les spéculateurs. Ils s'enrichissent sur le dos du consommateur qui ne sait plus à quel saint se vouer”. En effet, que ce soit au niveau des marchés hebdomadaires ou des magasins (alimentation générale), les prix sont excessivement élevés. À Hassi-R'mel, chef-lieu de daïra, distant de 120 km de Laghouat, les prix ont doublé, voire triplé dans certains cas. La pomme de terre, qui reste l'élément de base (l'hem el-guelil), est cédée entre 50 à 60 DA le kilo. Le citron, de très mauvais calibre, est cédé à Hassi-R'mel entre 200 et 350 DA, soit plus cher que le raisin ! Les travailleurs du Sud sont désabusés du fait que la tomate, le haricot vert et l'oignon n'en ont pas échappé. Un constat amer d'un mois de la rahma ! qui a un avant-goût de ce que sera la rentrée des classes qui intervient à un moment crucial, avant la fête de l'Aïd. À cet état de fait vient se greffer la prolifération des commerces illicites qui squattent les trottoirs des villes du sud du pays. Les denrées alimentaires sont excessivement chères, la canicule aidant, elles risquent parfois de porter préjudice à la santé du consommateur qui est loin d'être “roi” face au diktat des spectateurs. Pour donner du crédit à leur basse besogne, ils fixent librement leurs prix au nom de l'offre et la demande. Toute velléité de jouer la règle de la concurrence est étouffée dans l'œuf. Approché par Liberté, un marchand de légumes, venant de Ghardaïa pour écouler sa marchandise à Hassi-R'mel, mardi passé, a été sommé par les faux commerçants et autres intermédiaires locaux, de s'aligner aux prix pratiqués (élevés) sur le dos du consommateur et de céder ses aubergines à 45 DA au lieu de 15 DA. Un cadre d'un parti d'opposition, bien implanté à Laghouat, a déploré l'absence d'une société civile active. Pour sa part, les espaces commerciaux et la nécessaire protection du consommateur sont au centre des réunions avec les militants et les sympathisants de son parti. Il nous a signalé que “ces rencontres visent essentiellement à la mobilisation des citoyens pour s'organiser autour d'associations fortes, par leur représentativité, pour la défense du consommateur”. F'tour dans une base de vie de Sonatrach Les restaurants relevant des sociétés pétrolières et parapétrolières, que nous avons visités, sont remplis par les travailleurs en exercice non soumis à la relève (en régime célibataire). Approchés après la rupture du jeûne, ils évoquent tous et spontanément la sacralité du Ramadhan, la religion, la ferveur, la convivialité, la famille et le fameux jeûne, observé du lever au coucher du soleil. Pour D. Hamid, la “chorba en famille est irremplaçable”. Par ailleurs, “après s'être privés toute la journée, beaucoup de travailleurs mangent en grande quantité le soir et souvent plus sucré et plus gras qu'à l'ordinaire”, ironise un travailleur. Ce qui lui fait dire que ce mois sacré est loin d'être diététiquement correct pour cette catégorie de gens. En effet, de nombreux travailleurs avouent prendre quelques grammes, voire quelques kilos à chaque Ramadhan. Chaque Ramadhan, c'est la même chose. “Je prends entre 2 à 3 kilos en un mois”, explique Belaïd, une quarantaine d'années. “Comme je suis plus fatigué, j'arrête mes 2 heures de courses hebdomadaires. En plus, je dîne tous les soirs au restaurant “Stone” de Sonatrach pour la rupture du jeûne et c'est dur de résister aux pâtisseries et autres sucreries ! Je ne mange jamais autant en temps normal...” Ici, si les hommes semblent moins concernés par cette prise de poids fortuite, la gent féminine résidant dans les bases de vie échangent leurs recettes de cuisine pour éviter de déprimer sur la balance, nous confie F. N. Certaines remplacent la harira ou la chorba par des soupes aux légumes sans gras et se contentent de gâteaux allégés ou au yaourt à la place des pâtisseries dégoulinantes de miel ou fourrées de pâte d'amande, etc. Mais la majorité d'entre elles préfèrent cuisiner dans leur chambre. Pas de programme spécial cette année Côté ambiance, rien de nouveau pour cette année. “Notre séjour est monotone”, nous confie R. A. ingénieur de son état. Contrairement aux Ramadhans précédents où les bases de vie étaient animées par un programme “spécial Ramadhan” relativement acceptable, cette année rien n'est proposé après la rupture du jeûne (el-Iftar), pour ces centaines de travailleurs loin de leurs familles, qui n'ont généralement que la mosquée pour les uns et la rue à arpenter pour les autres. Le nombre d'adeptes de jeux de société s'est nettement rétréci. Les foyers se sont transformés en “quasi-commerces” avec des marges bénéficiaires illégales. La grande majorité des bases de vie du Sud son dépourvues d'espaces culturels où passer le temps avec les amis, échanger, et se cultiver. Les ouvrages et les romans des rares bibliothèques existantes, ne sont pas renouvelés. Enfin, “les conditions sont réunies pour repousser l'atmosphère de convivialité d'antan et aller dans le sens de l'abrutissement”, nous dira un jeune T. S. Pour fuir la monotonie, et pour se décompresser après une longue journée de pénibles efforts physiques, et de se dégourdir les jambes, beaucoup de travailleurs se dirigent vers les quelques cafés à la cité OPGI à Hassi-R'mel, pour s'adonner à une bonne partie de dominos avec leur clique, autour d'une tisane ou un thé à la menthe. Il faut dire que la modernité a fait son effet en enfonçant cette population de travailleurs dans un égocentrisme où chacun tente de vivre dans sa chambre préférant le “zapping”