Aujourd'hui, 23 avril 2005, nous ne pouvons passer outre à un double événement qu'Algériens et Espagnols festoyons ensemble. Le 23 avril 1616, le père de Don Quichotte, Don Miguel de Cervantès y Saavedra, s'éteignit laissant un legs dont nous jouissons tous encore et qui vit le jour en 1605 : L'ingénieux Hidalgo Don Quijote de la Mancha. Pendant vingt-quatre heures, l'Espagne et l'Amérique latine écouteront plusieurs milliers de lecteurs rendre un vibrant hommage à l'auteur et à l'œuvre par sa lecture publique. Cet article se veut une participation à cette grande fête. Cervantès est un patrimoine culturel que l'Espagne partage avec l'Algérie. L'auteur est né en 1547 à Al Khala Nahar (le château de la rivière), aujourd'hui connue sous le nom d'Alcala de Henares. Il vécut, captif, à Alger entre 1575 et 1580 et combattit à Oran. Témoin d'une époque, il nous narre le monde du pourtour méditerranéen. Alger a fait de lui l'écrivain que nous connaissons et ses expériences algéroises font partie inhérente de son œuvre : Les Bains d'Alger, Le traitement d'Alger et surtout les chapitres de Don Quichotte intitulés « Le captif ». EN 1605, le chevalier servant, le « chevalier à la triste figure », commença à sillonner les terres de Castille sur son fidèle Rocinante, accompagné de son écuyer Sancho Panza. Aujourd'hui, Don Quichotte continue à traverser l'imagination de tous ses lecteurs. Son utopisme pathétique, empli d'humanité, le place dans un monde parallèle à la quête d'une mission presque messianique, fruit d'une imagination fébrile nourrie par des livres de chevalerie riches en valeurs et codes d'honneur. Pour s'échapper d'une réalité déplaisante, Don Alonso de Quijano devient Don Quixotte et s'invente un monde chimérique, obsessionnel. Lors de leurs différents périples, Don Quichotte et Sancho Panza voient passer devant leurs yeux toute une galerie de personnages. Cervantès fait de son œuvre non seulement une critique sociale, mais aussi un manuel sur la nature humaine. L'Homme Pourfendu : l'idéalisme du Quichotte et le prosaïsme de Sancho Panza. L'existentialisme de l'homme luttant entre « être » et « devoir être ». L'expérience initiatique, qui fait d'Alonso de Quijano un Don Quichotte pour ensuite recouvrer son identité première, mène notre héros à lutter contre des rivaux fictifs, des moulins à vent convertis en géants, des outres de vin métamorphosées en ennemis, des troupeaux de moutons convertis en armées. Comme disait Thomas Mann : « Don Quichotte vit la gloire de sa propre glorification. » Toutes ces expériences qui suscitent maintes réflexions, peut-être plus que jamais, méritent d'être récupérées dans le but d'éviter de tomber dans le piège de Don Quichotte : une fantaisie fiévreuse enrobée de grands principes qui finit par créer des Cyclopes, des adversaires imaginaires. Cervantès rend un vif hommage au rationalisme et au pragmatisme en introduisant le personnage de Sancho Panza, égoïste, mesquin, poltron, mais surtout avec le discours dernier, espèce de « mea culpa » du Quichotte, mourant, qui retrace son voyage existentiel : « J'ai récupéré la raison, libre et claire, sans l'ombre caligineuse de l'ignorance, qui mit sur elle la lecture des détestables livres de chevalerie. » Cervantès reconnaît le pouvoir de la plume et montre, avec toute son ironie, comment un livre innocent, voire infantile, de chevalerie peut générer d'étranges conséquences menant l'homme à confondre imaginaire et réalité. Don Quichotte est donc encore bien vivant et jeune malgré ses quatre cents ans. Il ressuscite chaque fois qu'un lecteur en ouvre les pages et plonge dans ses aventures souvent comiques, parfois pathétiques, parfois dramatiques. Nous rions, nous compatissons, nous ressentons mille sensations au rythme de la plume de Cervantès. Mais Don Quichotte et Sancho sont tellement universels qu'ils voyagent jusqu'à notre époque. Un Cervantès moderne algérien, Wassiny Laredj, fait promener dans Alger la Blanche un descendant du grand auteur espagnol(1), Don Vasquez de Cervantes de Almeria, dont le compagnon s'appelle maintenant H'sissen. Le portrait d'une Algérie des années 1990 qui inspire la littérature comme dit Leïla Sebbar. Wassiny Laredj, lui-même, nous raconte pourquoi il a choisi un descendant de Cervantès comme personnage central de son roman : Don Quichotte et son discours de dérision lui ont appris à comprendre le monde comme ambiguïté, non comme vérité absolue. Ce qui est central pour cette interrogation sans parti pris qui est la littérature ; sans doute, le grand legs que nous a laissé Cervantès avec son grand roman Don Quichotte. Juan Lena Ambassadeur d'Espagne (1)La Gardienne des ombres