La presse privée algérienne doit beaucoup à l'émergence ces dernières années d'un marché publicitaire porté par de gros annonceurs privés. La tendance va s'accentuer dans les années qui viennent, nous disent les spécialistes. L'industrie de la presse devrait en profiter..., mais tout le monde.Malika revient d'un rendez-vous professionnel important, « le patron d'une marque d'électronique algérienne ». Elle dirige le service commercial d'une « jeune boîte de communication » et ne cache pas son dépit : « C'est décourageant. Je lui ai bien montré que ses concurrents dépensent beaucoup plus que lui, et sur des supports médias très variés. Il m'a poliment expliqué que les retombées de sa campagne publicitaire axée sur la télé lui suffisent tels qu'ils sont. » En réalité, Malika proposait d'acheter des espaces publicitaires sur un nouveau magazine d'économie qui prépare son numéro zéro et dont sa boîte assure la régie publicitaire. « Il m'a dit qu'il connaissait trop bien les journaux et les périodiques qui sortent dans un tirage confidentiel et qui disparaissent souvent au bout de quelques numéros. Il dit qu'il n'a pas besoin d'eux pour faire connaître ses produits. » Les budgets des annonceurs et leur nombre enflent d'année en année en Algérie. « 60% de progression annuelle du marché publicitaire », selon l'estimation de Riadh Aït Aoudia de Medialgéria, mais cette expansion de l'argent de la pub ne profite pas beaucoup à l'extension du paysage médiatique si l'on exclut les journaux soutenus par l'Etat et dont l'impact est quasi nul sur l'opinion et les lecteurs-clients des annonceurs. Les quatre ou cinq meilleures recettes publicitaires dans la presse quotidienne sont les mêmes depuis sept ou huit ans : « El Watan », « Liberté », « El Khabar », « Le Matin » avant sa crise, « Le Soir d'Algérie » et, plus récemment, « Le Quotidien d'Oran ». Une situation paradoxale qui a fait observer un jour à Nourredine Khellassi, journaliste algérien établi en France, que « l'argent de la pub peut être révolutionnaire lorsqu'il permet à la presse privée de s'émanciper de la tutelle politique de l'Etat et devenir conservateur lorsqu'il n'est plus capté que par les mêmes supports selon une logique implacable du marché ». C'est le scénario algérien. Tout le monde s'accorde à reconnaître que l'arrivée en force des opérateurs privés sur le marché algérien dans la seconde moitié des années 1990 a contribué à sauver l'expérience de la presse libre, à un moment où la lutte contre le terrorisme avait rétabli - trop vite - les réflexes autoritaires du Pouvoir. La meilleure preuve en est encore la dernière décision imposée aux entreprises publiques de passer obligatoirement par l'ANEP pour leur communication commerciale. Elle n'a pas vraiment touché les grands journaux privés. Riadh Aït Aoudia explique pourquoi « on estime dans la profession la part de l'ANEP à moins de 20% du marché. Le gros des annonceurs est dans la téléphonie, l'automobile, l'électronique, l'agroalimentaire. Ils sont privés et ne passent pas par l'ANEP. Finalement, cette mesure gêne plus les entreprises publiques que les journaux ciblés. Mobilis, par exemple, va payer plus cher sa campagne d'annonce que ces concurrents, car la commission de l'ANEP est de 30%, alors qu'en moyenne elle est de 7% chez les autres agences de publicité ». Qui va profiter du boom de la pub ? Les ressources mobilisées dans le marché de la publicité en Algérie graviteraient autour de 5 milliards de dinars en 2004, selon le chiffre avancé par un conférencier français lors d'un séminaire international à Paris. Une partie de ces ressources va, sous forme de recettes, aux médias qui diffusent les messages publicitaires des annonceurs. Les indicateurs sont unanimes. Dans un marché qui représente moins que la moitié du marché marocain et qui détient un potentiel économique plus grand, les recettes publicitaires des médias vont nécessairement grossir à une allure voisine. Qui en profitera le plus ? Dans un marché rationnel, les médias à fort taux de pénétration. Mais sommes-nous dans un marché rationnel ? De plus en plus, disent les professionnels. Le temps où l'annonceur répond d'« un bon de commande faxé » au « coup de fil » de son ami directeur de journal s'éloigne peu à peu. L'obligation de résultats s'incruste chez les directeurs de communication des annonceurs. Il manque pourtant toujours un outil essentiel de médiamétrie, l'OJD, cet organisme indépendant qui évalue les tirages des journaux et périodiques et renseigne public et annonceurs sur la réalité de leur diffusion. « L'OJD est indispensable, mais nous avons aussi besoin d'études plus fines pour mesurer les lectorats, les habitudes de lectures, les duplications entre titres. Nos clients annonceurs n'achètent pas systématiquement d'études », déplore Aït Aoudia. Ou encore les études demeurent confidentielles, car souvent elles risquent de casser une idée reçue sur la performance supposée d'un média. Une chose est certaine : dans un contexte de concurrence plus fort, les gros budgets d'annonces vont de plus en plus être gérés au plus près. Cela est une bonne nouvelle pour les professionnels du secteur avant d'en être une pour les médias. Ainsi, Medialgeria, que dirige Riadh Aït Aoudia, offre, en plus du conseil et du médiaplanning, un service de veille concurrentiel et de monitoring pour vérifier ce que fait la concurrence et si tous les espaces achetés ont bien été honorés comme convenu. « Si un client dépense un milliard de centimes dans une campagne et que 30 passages sur les 1000 prévus ne sont pas assurés, cela fait déjà 30 millions de gaspillés. » Les annonceurs devraient devenir plus attentifs à la performance de leur communication « au retour sur campagne ». Ailleurs, dans le monde, ils se regroupent en association afin d'étudier la situation du marché et arrêter des démarches communes. Ce n'est pas encore l'heure en Algérie où le marché n'a pas encore pris sa configuration de maturité. Ainsi, si de grandes marques internationales comme Coca-Cola ou Danone ont amené en Algérie Mac Cann, leur boîte de communication attitrée, d'autres multinationales n'y sont pas encore arrivés de sorte que les parts de marché de la pub restent encore très éclatées en Algérie. Plus de 4500 « boîtes de communication » sont recensées au registre du commerce. Le hors média et la télé, concurrents des journaux La forte expansion prévisionnelle du marché publicitaire promet une partie de la presse écrite - à tirage respectable - à un bel arrosage en recettes publicitaires. Tout n'est pourtant pas acquis dans ce scénario de la montée du financement par la pub de l'industrie des médias en Algérie. En effet, de nombreux professionnels de la pub estiment que l'offre de supports médiatiques n'est pas assez diversifiée afin de cibler des catégories précises de lecteurs-clients. La presse spécialisée demeure faible. Le format news magazine, qui peut jusqu'à concurrencer l'annonce télévisée par sa valeur ajoutée « image », tarde à émerger. « Nous avons besoin d'un lectorat segmenté, pas d'un lectorat fragmenté », résume un professionnel. Si le tarif des insertions publicitaires est beaucoup monté - 100% en six ans - ces dernières années, cela est bien le signe que l'offre bouchonne devant des supports qui suffoque. La presse écrite tarde à s'adapter. La quadrichromie est arrivée il y a trois ans, mais ne touche que la diffusion au centre du pays, « alors que la page en couleur est facturée à 200 000 DA hors taxe », rappelle Malika, qui a des clients mécontents de voir leur communication, payée « couleur », diffusée en noir et blanc à l'est et à l'ouest. Les imprimeries régionales privées arrivent, mais la manne supplémentaire annoncée de la pub peut être captée ailleurs entre-temps : dans la publicité hors médias, qui est très faible en Algérie, alors qu'elle équivaut à 50% des budgets d'annonces en Europe et dans le support le plus prestigieux des médias : la télévision, si le secteur venait à s'ouvrir. Le boom de la pub de ces dernières années a déjà largement profité à la télévision. Brahimi Madjid a été responsable dans la commerciale à l'ENTV durant longtemps avant de diriger la filiale de ART, la télévision arabe, à Alger. Pour lui, le marché publicitaire n'est pas en l'état actuel encore mûr en Algérie pour assurer le financement de nouvelles chaînes privées, mais cela peut changer très vite. A bien y regarder, les plages de publicité sont très longues dans le prime time de l'ENTV, peut-être à cause d'un tarif maximal encore abordable de 150 000 DA en hors taxe pour 30 secondes. A défaut de pouvoir siphonner le budget des annonceurs, les recettes de publicité à la télévision n'arrivent pas à couvrir plus de 5% des charges de l'Unique. A des années-lumière du taux de couverture des charges par la pub chez les ténors de la presse écrite.