Existe-t-il une industrie de la presse en Algérie ? Telle est la question posée à différents éditeurs. Si la plupart d'entre eux estiment qu'on n'en est pas encore là, ils n'en pensent pas moins que les premiers jalons pour constituer une industrie de la presse ont été posés. Voici leurs réponses. Hassan Bachir Chérif, directeur de la publication La Tribune : « Je considère qu'il existe une industrie de la presse à partir du moment qu'elle est visible du fait que les entreprises économiques existent. Nous sommes actuellement à la tête de véritables PME/PMI puisque chaque journal emploie en moyenne entre 120 et 150 personnes. Il faut absolument qu'on évolue vers une industrie semblable à celle qui existe en France ou aux Etats-Unis. Il faut à notre tour nous organiser en capitaines d'industrie pour pouvoir mettre ce qu'on appelle les instruments de régulation. Il faut mettre en place l'OGD, l'office qui renseigne sur le tirage, les invendus et la diffusion. Parallèlement, il faut avoir un instrument de mesure pratique pour savoir quel est le chiffre d'affaires d'un journal, combien celui-ci génère de bénéfices et crée d'emplois directs et indirects et combien il consomme de papier dans l'année. Il faut savoir que même les entreprises de presse sont concernées par l'OMC et l'accord d'association avec l'Union européenne. Il faut donc qu'elles soient performantes pour encaisser le choc. Il y a des entreprises de presse qui sont rentrées définitivement dans les normes universelles de la gestion et d'autres qui sont encore dans un stade artisanal. Il faut que nous nous mettions à niveau. Nous devons nous affranchir sans complexe du fait que nous étions des journaux à la recherche d'une aventure intellectuelle et qui sont devenus des entreprises privées mais qui, grâce à leurs moyens de diffusion, d'imprimerie et de recettes publicitaires, deviennent indépendantes de toutes sortes de lobbies politico-financiers. » Ali Djerri, directeur de la publication El Khabar : « Une industrie ? Non. L'expérience a commencé sous forme de coopératives au début des années 1990. Il y a eu donc une ouverture, mais entre-temps, sur un plan juridique, l'entreprise de presse n'a pas de statut spécifique. Elle est considérée comme n'importe quelle autre entreprise. En un mot, l'entreprise de presse est inexistante. Quand on dit entreprise de presse, on pense à des entreprises gérées selon des paramètres universels. Il y a autour des imprimeries, des sociétés de diffusion, la publicité, etc. A mon avis, la presse algérienne est encore un peu fragile. Elle est encore au stade de coopératives. Maintenant, est-ce qu'on va vers une industrie de la presse ? Ça dépend des lois qui garantissent l'ouverture du champ médiatique et audiovisuel. Il faut aussi encourager l'investissement dans le domaine et appliquer les règles commerciales. Je crois également que ça dépend des choix politiques. Si on choisit d'aller vraiment vers une économie de marché ; sinon on restera une petite presse. On ne sera même pas des sociétés de rédaction, mais de propagande et une presse militante. » Abderrahmane Mahmoudi, directeur de la publication Le Jour d'Algérie : « Nous n'avons pas une industrie de la presse, car ça implique un amont, un aval, des activités annexes, la sous-traitance. C'est-à-dire qu'il faut qu'il y ait un marché du papier, un marché de la publicité et un marché de la force de travail. Autant d'éléments qui ne sont pas encore cristallisés. C'est vrai, nous avons une presse. Il y a quelques titres qui peuvent constituer une locomotive pour une industrie de la presse, mais nous ne sommes pas encore une industrie au sens réel du terme, qui emploie beaucoup de gens et qui fait vivre des milliers de familles. Nous en sommes encore à l'artisanat de la presse. Il ne faut pas se faire d'illusions, mais les possibilités existent. Il faudrait toutefois restructurer ce qu'il y a actuellement comme presse de manière à construire l'épave économique qui peut donner lieu à une industrie. L'expérience d'« El Khabar » et d'« El Watan » est très encourageante sur ce point. Mais nous sommes loin des grands journaux français, dont le chiffre d'affaires est évalué à des dizaines de millions d'euros et qui ont des activités annexes très importantes, notamment en matière de diffusion, d'impression... Ça commence chez nous, mais il y a encore des conditions liées à l'environnement administratif et fiscal, qui empêche la presse algérienne de devenir un véritable pôle industriel. » Hadda Hazzam, directrice de la publication El Fedjr : « On essaye d'avoir une industrie de la presse. Mais dans le contexte actuel, on peut dire qu'il y a plutôt une régression. La conjoncture est contre nos orientations. Depuis sa création au début des années 1990, la presse indépendante évolue dans une anarchie qui est voulue. Dans le grand nombre de journaux que nous avons, 48 en tout, beaucoup ne se soucient pas de la qualité de sorte qu'il peut tenir tête à l'Etat ou au système. Ce dernier a voulu qu'on évolue dans l'anarchie pour qu'on reste faible et qu'il puisse garder sa mainmise sur la presse. Mais on est obligés d'évoluer vers une véritable presse qui soit solide. Pour y arriver, il faut mettre de l'ordre dans la profession et son environnement ; d'abord, nous, en tant qu'éditeurs, ou les journalistes, il faut qu'on se penche sur ça. Nous devons avoir des entreprises fortes de l'intérieur, et ce, à travers la formation, le respect des règles de déontologie. Les entreprises de presse doivent aussi être fortes sur le plan économique, ne pas avoir de dettes chez les imprimeries, ne pas être à la merci du Pouvoir pour éviter le sort du journal « Le Matin », dont l'expérience est à méditer. » Omar Belhouchet, directeur de la publication El Watan : « On ne peut pas dire qu'il y a une industrie dans la presse dans la mesure où nous sommes dans un processus qui est tout à fait nouveau, c'est-à-dire la presse privée. Il n'y a qu'une seule rotative privée qui est celle d'« El Khabar » et d'« El Watan ». Il y a quelques rotatives qui appartiennent à l'Etat, mais qui sont extrêmement anciennes et qui ont toutes les peines du monde à fonctionner, notamment à Constantine et à Oran. De ce point de vue, il y a encore beaucoup de travail à faire. Il faudrait que l'Etat libère des crédits pour permettre aux entreprises de presse de se doter de technologies, de moyens techniques et industriels importants pour arriver à la constitution d'une industrie de la presse. On peut y arriver à condition que les pouvoirs publics libèrent les crédits. Ça me paraît très important. Or, actuellement, le crédit pour l'investissement dans le domaine de l'impression est réglementé politiquement. On n'accorde pas facilement de crédit pour l'acquisition d'une rotative. Par rapport à nos voisins, la Tunisie et le Maroc, nous sommes très en retard en matière d'impression. »