En arpentant les venelles des vieux quartiers de cette banlieue, le visiteur est ahuri : les métiers d'antan ont disparu comme par un enchantement maléfique. Les ateliers des maîtres vanniers, disposés autrefois en enfilade le long de la rue Mokhtar Kettou, ont cessé leur activité. Exaspérés par un revirement défavorable, plusieurs artisans ont mis leurs serpettes sous le paillasson pour se reconvertir en commerçants de détail. D'autres infortunés ont loué leurs bras dans le secteur du bâtiment pour assurer leur subsistance. Au détour d'un virage, en contrebas du lieudit Haouch Meziane, le même visiteur retrouve son sourire. Cette fois-ci, il se tient bien planté sur ses deux jambes au seuil de l'unique atelier de vannerie. A l'intérieur de cette vaste remise dont les murs sont peints en blanc, N. Akli, le propriétaire, considéré toutefois comme le dernier vannier de Birkhadem, trie les matériaux. « C'est un téméraire. Malgré sa précarité et une faible acuité visuelle, il a refusé de troquer ses outils qu'il conserve jalousement », a déclaré un banlieusard. Assis sur son tabouret, Akli l'artisan amincit les branches de prunier, matériau qu'il utilise dans la fabrication des corbeilles et des paniers. « J'avais 15 ans quand mon père m'apprenait le métier dans ce même atelier. Lui, c'était un maître qui exerçait depuis 1930. Il louait un atelier situé à Djenane Maâche », relate-t-il. D'après ses déclarations, la demande en matière de vannerie était importante. Elle a été maintenue jusqu'aux années 1970. Les mandataires qui exerçaient aux Halles commandaient des corbeilles qu'ils utilisaient comme emballage pour les légumes et les fruits qu'ils commercialisaient. « Rien que dans notre rue, une centaine de vanniers y activaient. L'endroit où est situé l'actuel poste de police fut une propriété d'une vieille Française. Le sous-sol abritait un immense atelier de vannerie », a précisé le façonnier. Et d'enchaîner : « Présentement, la demande est insignifiante. Exception faite pour celle qui nous parvient des boulangers nécessitant quelques corbeilles pour le pain. » Affirmation vérifiée. La Chambre de commerce et des métiers d'Alger enregistrait avant 1990 30 000 artisans. Ce chiffre a dégringolé pour atteindre 3000. Entre temps, à Birkhadem, les activités évoquant les coutumes et les légendes du vieux terroir ont disparu. D'autres activités qui n'ont aucun lien avec le paysage traditionnel ont conquis l'espace libéré. De part et d'autre des voies principales, des commerçants exhibent une marchandise importée qui nargue impunément les visiteurs. Pourtant à Birkhadem, localité si réputée jadis pour ses terres fertiles et ses vergers savamment entretenus, l'activité artisanale y était favorisée. « Vu que la terre de Birkhadem fut classée qualitativement comme la meilleure terre du monde par les scientifiques français, un réseau de métiers artisanaux lié à l'agriculture a été développé », a expliqué B. Khaled, un spécialiste en sciences de la terre. Ainsi, à la finesse paysanne, on a ajouté le doigté et l'habileté des artisans. Le tout formait une osmose. Toutefois, l'utilité de ces derniers fut prouvée à l'approche de la belle saison. Au moment de la fructification, les vanniers devaient produire suffisamment de corbeilles et de paniers en osier pour les agriculteurs. Malheureusement, l'harmonie qui régnait dans cette banlieue s'est dissipée. On dirait qu'une volonté perverse y a jeté son opprobre. Logique administrativo-bureaucratique aidant, le secteur agricole a été délaissé. Cela a entraîné le début d'une urbanisation anarchique. Des terres fertiles ont été rabotées. Les paysans ainsi que les artisans ont été vampirisés. Tout ce mouvement infernal a été provoqué pour aboutir à la réalisation d'habitations individuelles. Aux rez-de-chaussée seront intégrés des locaux favorisant l'écoulement de pacotilles introduites par le commerce d'importation considéré comme ravageur par un sociologue. « Des produits de l'artisanat local qui, en plus de leur valeur marchande, véhiculent une culture millénaire. Néanmoins, ils ne figurent plus sur les étals. Alors que certaines boutiques regorgent de ‘‘bonne camelote'', importée des pays asiatiques », a estimé le même sociologue. A l'instar des autres artisans, Akli, le vannier, est confronté aux mêmes difficultés. Le travail de l'artisan est fatigant mais peu rentable. La quantité pour preuve est exclue, car toutes les tâches sont minutieusement exécutées à la main. Mais ce qui semble consoler cet artisan, ce sont les poèmes qu'il compose au moment où il entame son ouvrage. « Un sentiment d'angoisse qu'il (l'artisan) ne parvient pas à faire dissiper », dit-il dans un de ses vers. Cependant en achevant l'ouvrage et en même temps le poème, il ne ressent plus l'angoisse qui l'oppressait. Qu'il s'agisse d'un produit artisanal ou d'un poème, l'importance est accordée à l'œuvre et à sa valeur intrinsèque.