Une ère nouvelle semble s'ouvrir devant les Libanais après le retrait des militaires syriens de leur pays, le projet d'établissement de relations d'un type nouveau avec le voisin, une marche pour la libération d'un seigneur de la guerre, Samir Geagea, et la levée des charges qui pesaient jusque-là sur le général Michel Aoun, éphémère chef d'Etat chassé du pouvoir et réfugié dans la capitale française. Autant de signes d'un départ nouveau, mais lequel au juste devrait-on dire, tant le Liban se heurte pour sa modernisation à un système confessionnel que l'écrivain Ghassan Salamé a qualifié de régime du XIXe siècle. C'est dire sa caducité et son obsolescence. Tout s'est précipité mercredi quand le président syrien Bachar Al Assad et le Premier ministre libanais, Najib Miqati, qui venait d'effectuer une visite à Damas, ont annoncé la création d'une commission pour examiner les accords conclus entre les deux pays ainsi qu'une autre chargée du dossier délicat des prisonniers libanais en Syrie. Une commission conjointe sera chargée d'« examiner des accords conclus entre les deux pays de manière (...) à ce qu'ils soient appliqués dans le respect de la souveraineté et de l'indépendance des deux pays », a indiqué M. Miqati lors d'une conférence de presse, à l'issue d'un entretien avec M. Assad. Ces accords seront « révisés afin de supprimer toute (injustice) qu'une des deux parties pourrait ressentir, et ce, en faveur de relations plus transparentes et dans l'intérêt des deux pays », a affirmé un communiqué conjoint syro-libanais publié à la fin de la visite de M. Miqati. La Syrie et le Liban sont liés depuis 1991 par un traité de fraternité et de coordination qui stipule une étroite coopération dans les domaines politique, économique et de sécurité entre les deux Etats. M. Miqati était arrivé dans la matinée à Damas pour sa première visite dans ce pays depuis sa nomination le 19 avril et la fin du retrait syrien du Liban. Le 26 avril, la Syrie a achevé le retrait de son armée et de ses services de renseignement militaires du Liban après 29 ans de présence au pays du Cèdre, comme l'exige la résolution 1559 du Conseil de sécurité de l'Onu. Les deux parties ont décidé en outre de créer une commission sur les détenus libanais en Syrie, un dossier qui avait été considéré comme clos après la libération en décembre 2000 par Damas de 54 Libanais détenus en Syrie. Mais la question des Libanais détenus arbitrairement en Syrie ou disparus dans ce pays a refait surface à la faveur de la crise née de l'assassinat en février à Beyrouth de l'ex-Premier ministre Rafic Hariri, qui a débouché sur le retrait des troupes syriennes. Ainsi pour la première fois, un responsable syrien a exprimé le point de vue de son pays sur cette épineuse question. Dans une interview au quotidien espagnol El Pais, le chef du gouvernement Mohammad Naji Otri a affirmé que les Libanais détenus en Syrie étaient « des terroristes ». « Il s'agit d'une question vieille de 25 à 30 ans, pendant la guerre civile » libanaise, a-t-il dit. Il a assuré que ces Libanais étaient des membres de l'Armée du Sud-Liban commandée à l'époque par le général libanais Antoine Lahad et collaborant avec l'armée israélienne qui occupait alors cette région. « Ces personnes combattaient avec Israël et ont tué des soldats syriens », a indiqué M. Otri. M. Miqati a précisé avoir parlé avec M. Assad de questions communes « sans jamais évoquer les questions intérieures libanaises », comme par exemple les élections législatives prévues à partir du 29 mai. La résolution 1559 demande également le respect de la souveraineté, de l'intégrité territoriale, de l'unité et de l'indépendance politique du Liban. Aux yeux de M. Miqati, qui s'est félicité des « relations personnelles et de l'amitié » qui le lient aux dirigeants syriens, notamment le président Assad, tous les problèmes entre les deux pays seront réglés « par la bonne volonté ». Un débat est ouvert, et il est le fait des Syriens avec les déclarations de leur Premier ministre. L'on attend, bien entendu, la version des Libanais, et de là pourraient se développer des relations normales, c'est-à-dire telles qu'elles sont généralement admises en relations internationales : une reconnaissance mutuelle entre Etats, ce qui implique le respect de leur souveraineté et de leurs institutions.