La guerre civile au Liban s'est déclarée le 13 avril 1975 faisant des milliers de morts et d'autres milliers d'exilés ou déplacés. Trente ans après les débuts de la guerre, quinze depuis l'accord de paix de Taëf (Arabie Saoudite) en octobre 1990, l'histoire balbutie et semble se répéter au pays des Cèdres où la situation n'a jamais été aussi préoccupante et dans un Liban qui, longtemps, a été la vitrine démocratique et économique du Moyen-Orient. Au moment où le Liban se remémore ces années de feu et de sang, le risque est grand de voir le pays rechuter dans la violence et les luttes fratricides. Hier, comme aujourd'hui, la Syrie se présentait comme un abcès de fixation pour une population qui ne sait plus s'il faut exécrer ce pays voisin, qui les étouffe par sa pesante protection, ou l'aduler, pour avoir, à maintes reprises, volé au secours d'un pays au bord de la partition. Les relations entre le Liban et la Syrie ont été, tout au long de ces décennies, faites d'amour et de haine. Un amour répulsion qui n'a pas d'équivalent ailleurs, dans le monde. De fait, on ne peut comprendre l'histoire récente du Liban sans la replacer dans le contexte plus large ayant présidé aux décolonisations intervenues au début des années 40. Pour ce qui est du Liban, le ver était dans le fruit dès l'entame de ses premiers pas d'Etat souverain, par le contenu même de la Constitution du pays, concoctée en 1943 par l'ancien colonisateur français et fondée sur le confessionnalisme. Le régime ainsi institué par la France a, depuis, largement montré ses milites. De fait, l'un des points essentiels de l'accord de Taëf, a été la «déconfessionnalisation» du régime libanais, -qui réservait la présidence aux maronites (chrétiens), le Premier ministère aux sunnites et la présidence du Parlement aux chiites-. Or, cet accord n'a pas été suivi d'effet et les choses sont restées en l'état, les dirigeants continuant à être choisis selon leur confession et leur appartenance clanique. De fait, selon un ancien ministre libanais, Ghassan Salamé, «l'idée de réconciliation, ce nouveau pacte national, ne pourra se faire que par le dépassement du système confessionnel et la marche vers la laïcité, porteuse d'une vrai citoyenneté. Même si cela va à l'encontre de l'ambiance au Proche-Orient». Outre le confessionnalisme, ce qui bloque l'avancée du Liban vers son unité, ce sont ces bastions claniques, avec des fils qui héritent la charge politique du père, avec l'existence de petits royaumes, véritables Etats dans l'Etat, dont le chef de guerre Bachir Gemayel fondateur des Forces libanaises, (FL), l'un des mouvements qui ont lancé en 1975 la guerre civile, est l'archétype. Bachir Gemayel, fils de Pierre Gemayel fondateur des Kataëb (phalanges chrétiennes), est élu président dans la foulée de l'occupation du Liban par Israël en 1982, mais est assassiné avant même d'avoir occupé ses nouvelles fonctions. Bachir Gemayel aurait été assassiné par un membre d'un parti proche de la mouvance syrienne, mais a pu, plus vraisemblablement, être assassiné par le Mossad israélien, le président libanais s'étant déclaré, peu avant sa mort, prêt à témoigner du rôle de l'actuel Premier ministre israélien Ariel Sharon dans les massacres des camps palestiniens de Sabra et Chatila, lors de l'invasion israélienne du Liban en 1982 (800 à 2000 morts en deux jours, selon les estimations.). Les Frangié, les Geagea, les Hobeika, sont les autres grandes «familles» qui joueront un rôle néfaste dans les événements qui marquèrent le pays des Cèdres durant la noire période des années 70 et 80. Un autre «hériter», Walid Joumblatt, fait figure aujourd'hui de chef de l'opposition au gouvernement pro-syrien d'Emile Lahoud, et est l'un des opposants les plus déterminés à exiger le départ des troupes syriennes. Walid Joumblatt succéda à son père, le grand militant druze de la cause libanaise, Kamal Joumblatt, assassiné en 1977 pour avoir, déjà, réclamé le départ des troupes syriennes, arrivées en 1976 à la demande... des Etats-Unis. En effet, un an après le début de la guerre civile, les troupes syriennes pénètrent au Liban avec le feu vert de Washington pour «secourir les milices chrétiennes menacées d'effondrement» face à la coalition des Palestiniens et des progressistes. En réalité, cette guerre intercommunautaire semble avoir été encouragée, sinon suscitée de l'étranger, les analystes ne manquant pas de relever que l'argent et les armes n'ont jamais fait défaut aux belligérants. Aussi, durant les trente dernières années, l'unité du pays a vacillé à plusieurs reprises, et le récent assassinat de l'ancien Premier ministre sunnite, Rafik Hariri, un des rares hommes politiques libanais à n'avoir pas été un «seigneur de la guerre», n'a guère favorisé un climat d'entente, ouvrant en revanche une crise politique aiguë, avec notamment la démission du cabinet Karamé. D'aucuns estiment que les leçons de la guerre civile, qui a ravagé le pays des Cèdres de 1975 à 1990, n'ont pas été tirées ou suffisamment mises en exergue et la «tutelle» syrienne n'explique pas tout. De fait, le départ des contingents - et des renseignements - syriens, lequel doit s'achever d'ici au 30 avril, clarifie la donne politique au pays des Cèdres. Or, la vacance du gouvernement se prolonge alors que le Premier ministre désigné, Omar Karamé, n'arrive pas à finaliser la mise en place de son cabinet. Annoncée pour hier, la formation d'un nouveau gouvernement bute sur des «obstacles de dernière minute» indique une source proche du gouvernement qui ajoute, sous le couvert de l'anonymat que «la formation d'un nouveau gouvernement, attendue ce jour (hier), a été retardée par des divergences sur la loi électorale, et le Premier ministre désigné tente d'aplanir les obstacles qui ont surgi en dernière minute». En attendant la formation du gouvernement, des manifestations ont été organisées, notamment à l'appel du «courant du Futur» proche du clan Hariri. Ainsi, la députée libanaise, Bahia Hariri, soeur de l'ancien Premier ministre assassiné Rafik Hariri, a lancé dimanche les festivités de «l'unité» en appelant les Libanais à manifester leur refus d'un retour à la guerre civile qui a ravagé leur pays. Toutefois, cette unité passe inévitablement par l'application de l'accord de Taëf, à même de redonner au pays des Cèdres la place d'avant-garde qui était la sienne avant la guerre civile de 1975.