Face au mur, au milieu d'une file de suppliciés, Brahim Kateb avait 12 ans, il est arraché à la vie par une salve. A ses côtés, son père Mohamed Kateb et sa mère Nefissa gisent au bord d'une petite rivière près de Guelma. La petite famille de trois personnes a été passée par les armes un matin de mai 1945. Pourquoi ces morts ? Pourquoi ce déchaînement de haine raciale ? Pourquoi cette hécatombe ? Pourquoi le gouvernement de la France libre a-t-il livré tout le Nord constantinois aux massacres et pillages avec une sauvagerie qu'on a du mal à imaginer ? On a des questions. On n'a pas de réponses. Pour justifier le crime, on a longtemps tenté de valider l'idée de l'« insurrection ». C'est faux. Aucun survivant des manifestations de Sétif ou de Guelma ne confirme le projet d'un soulèvement populaire. Mais tous se rappellent que les représailles ont été déclenchées à la seule vue du drapeau algérien. La masse compacte des manifestants a été tirée à la mitrailleuse presque à bout portant ! Dans les zones rurales, l'aviation a utilisé de terribles bombes à fragmentation conçues pour un usage spécifique de guerre contre une force ennemie d'égale mesure. Durant 50 jours, des troupes de choc, des tirailleurs sénégalais, des légionnaires, des gendarmes, des policiers et comme si cela ne pouvait suffire, des miliciens sont armés pour une tuerie fondée sur la différence ethnique. 45 000 personnes ont été tuées pour le seul motif de leur origine. Certaines familles comme les Seridi, les Abda, les Berkane, les Benkirat, les Khadri, les Rouabhia et tant d'autres ont vu mourir des dizaines de proches. Quand bien même nos aptitudes à la cicatrisation de nos blessures seraient-elles élevées, comment peut-on oublier une souffrance d'une telle ampleur ? La commémoration de ce soixantième anniversaire du 8 mai 1945 sera marquée par le devoir de mémoire. L'université Ferhat Abbès organise un colloque international sur ce thème qui réunit des historiens algériens, marocains, tunisiens et français. Les chercheurs ont défini plusieurs axes de travail, notamment « la lecture historique des événements du 8 Mai 1945 ». Pour rappel, il faut noter que les archives d'Aix-en-Provence ont été, cette année, ouvertes au public. Ce qui permettra aux étudiants et aux chercheurs d'accéder à des sources d'information susceptibles de donner de nouveaux éclairages sur les 50 jours de bain de sang qui ont blessé à jamais la mémoire collective algérienne.