Chaque fois que Paris s'est retrouvé engagé dans une guerre, en 1871, en 1914 et en 1940, l'espoir de mettre à profit la conjoncture pour réformer le système colonial ou libérer l'Algérie s'est emparé des militants. Ce postulat est énoncé par l'historien Mohamed Harbi dans un article paru dans Le Monde diplomatique (n°614 de mai 2005). Toutefois, tient-il à préciser, « si en 1871 en Kabylie et dans l'Est algérien et en 1916 dans les Aurès, l'insurrection était au programme, il n'en allait pas de même en mai 1945 ». Car, pour Harbi, « cette idée a sans doute agité les esprits, mais aucune preuve n'a pu en être avancée, malgré certaines allégations ». Il rappellera que le 8 Mai, le Nord constantinois, délimité par les villes de Bougie, Sétif, Bône et Souk Ahras et quadrillé par l'armée, s'apprêtait, à l'appel des Amis du manifeste et de la liberté (AML) et du Parti du peuple algérien (PPA), à célébrer la victoire des Alliés. Les consignes étaient claires : rappeler à la France et à ses alliés les revendications nationalistes par des manifestations pacifiques. Là, Harbi fait observer qu'aucun mot d'ordre n'avait été donné en vue d'une insurrection. Car, ajoutera-t-il, on ne comprendrait pas sans cela la limitation des événements aux régions de Sétif et de Guelma. Ce qui le mène d'ailleurs à s'interroger : Dès lors, pourquoi les émeutes et pourquoi les massacres ? En abordant le nombre des victimes, Harbi fait remarquer que le bilan prête d'autant plus à contestation que le gouvernement français a mis un terme à la commission d'enquête présidée par le général Tubert et accordé l'impunité aux tueurs. En cela, il explique que si on connaît le chiffre des victimes européennes, celui des victimes algériennes recèle bien des zones d'ombre. C'est pourquoi, note-t-il, les historiens algériens continuent légitimement à polémiquer sur leur nombre. Ceci d'autant plus que les données fournies par les autorités françaises n'entraînent pas l'adhésion, écrit-il. Comment peut-il en être autrement puisque, souligne Harbi, les civils européens et la police avaient rouvert les charniers et incinéré les cadavres dans les fours à chaux à Guelma pour empêcher toute enquête. Auparavant, ils s'étaient livrés à des exécutions massives et à des représailles collectives. D'où le constat de cet historien que « le compromis tant recherché entre le peuple algérien et la colonie européenne apparaît désormais comme un vœu pieux » à cette époque-là. Une occasion également pour Harbi de requalifier un fait d'histoire qui n'a pas livré encore tous ses secrets. Désignés par euphémisme sous l'appellation d'« événements » ou de « troubles du Nord constantinois », les massacres du 8 mai 1945 sont considérés rétrospectivement comme le début de la guerre algérienne d'indépendance, écrit-il. Pour ce dernier, la défaite de la France en 1940 a modifié les données du conflit entre la colonisation et les nationalistes algériens. Avec le débarquement américain, le climat se modifie, ajoutera-t-il, puisque les nationalistes prennent au mot l'idéologie anticolonialiste de la Charte de l'Atlantique (12 août 1942) et s'efforcent de dépasser leurs divergences. Mieux encore, notera Harbi, le courant assimilationniste se désagrège. Ceci avant de conclure que « la guerre d'Algérie a bel et bien commencé à Sétif le 8 mai 1945 ».